KİTAB KEŞFÜL ESRAR...Ruzbihan el-Baqli...Fransızca
PAUL BALLANFAT TARAFINDAN ARAPÇA'DAN SUNULAN VE ÇEVİRİ
LE DÉVOILEMENT
DES SECRETS
ET LES APPARITIONS
DES LUMIÈRES
JOURNAL SPIRITUEL DU MAÎTRE DE SHÎRÂZ
PRÉSENTÉ ET TRADUIT DE L’ARABE
PAR PAUL BALLANFAT
LE DÉVOILEMENT DES SECRETS ET LES APPARITIONS DES LUMIÈRES
Au nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux.
Première section
1
- Grâce soit rendue à Dieu, Lui dont l’existence ne
saurait donner lieu à aucun doute, ni à aucune conjecture ; Lui dont ni
l’essence ni les attributs ne sont sujets aux changements qui affectent les
phénomènes et les âges. Son antériorité n’a nul commencement dont on puisse
faire le compte, Sa surexistence ne peut être comprise dans une signification
définie. Son éternité sans commencement est pure de l’établissement de la
division des temps, Son éternité sans fin est pure, et de la division du moment
et des instants. C’est par Son essence et Ses attributs qu’il Se fait connaître
aux témoins de contemplation. Car, Lui, grâce à Ses attributs et à Son
essence, n’a pas besoin des preuves, ni d’exemples visibles pour Se faire
connaître. Et les substances et les accidents disparaissent sur les esplanades
de l’unité divine, de même que les esprits et les intelligences sont annihilés
sur les aires de la gloire du pouvoir divin. Il S’est isolé en Son essence à
l’écart des allusions subtiles propres aux facultés de conjecture1,
et Ses attributs se sont sanctifiés, échappant à la représentation des
intelligences et des compréhensions. Il existait par la qualification de la
divinité avant que n’existe quoi que ce soit, et II demeurera par la détermination
singulière de la munificence après (qu’aura disparu) toute chose limitée. Aussi
loin que parviennent les perspicacités, elles ne sauraient atteindre la vérité
de Sa réalité ultime, et l’on ne saurait atteindre la sainteté de Ses attributs
par la pénétration des intelligences. On ne peut se frayer un chemin de
soi-même jusqu’aux secrets de Sa majesté, ni atteindre par la représentation
les lumières de Sa beauté. Les gloires de Sa superbe ont anéanti les regards,
et les fureurs de Sa magnificence ont aboli les pensées. La munificence de Sa
simplicité2 s’est refusée à l’observation des réalités phénoménales.
La fureur de Son unicité S’est élevée de sorte que l’espace ne puisse le
toucher. Il possède les attributs sublimes, les plus beaux noms et les
épithètes éclatantes. Lui, Savant par Sa science, Puissant par Sa puissance,
Vivant par Sa vie, Audiant par son entente, Voyant par Sa vision, Parlant par
Son verbe, Voulant par Sa volonté, de toute éternité et pour l’éternité ! Il
est, mais non par le surgissement propre aux phénomènes, existant non issu du
néant, objet de vision grâce à Son essence et à Ses attributs. Unique sous tous
Ses aspects, Son unicité ne dérive ni de la réunion ni de la dispersion. Il n’a
pas créé le monde à cause de Sa solitude. Les corps ne Lui ressemblent pas,
non plus que les créatures ne peuvent lui être comparées, Lui dont, par la
qualité de l’éclat, ne peut être produit une image par ressemblance et
similitude, Lui qui, isolé dans la splendeur de la permanence, est libre des
représentations imaginaires, des descriptions formelles et des contradictions.
On ne saurait faire allusion à Lui par la voie de l’analyse. On ne saurait
demander à l’effort personnel de chercher à devenir un serviteur [de Dieu]3.
Il leur a fait atteindre la condition créaturelle et la gnose et II les a
invités par Sa puissance de contrainte à la soumission pieuse et à la foi.
2
- Il a fait du trône et du piédestal les trésors de
Son royaume et y a disposé l’égalité de Son pouvoir et le lieu de la révolution
des anges et des esprits. Puis, Il créa le feu pour les malheureux et le jardin
du paradis pour les bienheureux. Il a tendu les cieux par les courroies de la
proximité, et il les a parés des lumières que jettent les feux célestes. Il en
a fait le point vers lequel s’oriente la prière, et le lieu des pensées des
adeptes de la louange. Il a déployé les terres pour les hommes et pour être une
contrée habitée. Il les a fermement établies par la dureté des rocs et des
piliers [qui la soutiennent], et il les a parées des douceurs des arbres. Il a
fait s’écouler en elles les sources et les fleuves. Il a distingué les êtres
de nature spirituelle par la sainteté et la pureté et II a élu les prophètes,
les envoyés par l’inspiration prophétique et la mission. Il a choisi les amis
par les visions d’extase et la sainteté. Il a rapproché [de Lui] les véridiques
par le désir, l’amour et l’amour divin. Il a honoré les envoyés et les
prophètes par la contemplation et la vision mystique. Il a ouvert les yeux des
consciences secrètes des amis par le dévoilement et l’évidence, et il les a
placés différents les uns des autres dans les degrés, les ascensions mystiques
et les étapes spirituelles. Que Dieu bénisse Muhammad, le plongeur des océans
des connaissances mystiques et des dévoilements, des étrangetés, des sagesses
et des grâces subtiles, le prince des envoyés et des prophètes, le modèle des purs
et des amis, et qu’il bénisse sa famille, les très purs, et ses compagnons, les
meilleurs serviteurs.
3
- Pour en venir au sujet, Dieu - qu’il soit exalté et
loué - S’est fait connaître Lui-même aux envoyés, aux prophètes, aux anges et
aux amis par les spécificités de Ses versets [présents] du trône jusqu’à la
terre. Ils le connurent par les signes aux commencements, et ils L’aimèrent à
considérer [Ses] bienfaits et grâces. Puis, Il ne se contenta plus de ce qu’il
leur avait accordé car Il est la cause des principes qui régissent la condition
créaturelle. Alors, Il fit apparaître pour eux les lumières de Sa présence et
il oignit leurs yeux avec le collyre du royaume de la puissance pour leur faire
voir les rayons des soleils du monde de Son royaume angélique. Alors ils
L’aimèrent de l’amour propre à l’élite. Mais en vérité, cet amour était l’amour
du commencement du terme. Puis II leur dévoila les gloires de Sa beauté et de
Sa majesté par la qualification de l’épiphanie de Son essence et de Ses
attributs. Ils Le connurent alors par Lui-même et L’aimèrent de l’amour le plus
grand et le plus vrai qui n’est pas transformé par le changement qui frappe les
phénomènes ni par la descente des tourments et de l’épreuve. Et ils le
contemplèrent d’une contemplation de la vérité sans voile. Puis II S’adressa à
eux et leur confia les étranges merveilles des sciences et des sagesses. Il
leur enseigna les fastes de Ses noms et leur fit connaître les subtilités de
Ses déterminations et de Ses qualifications. Il leur fit respirer les brises
parfumées qu’exhale la rose des intimités et les aromates des proximités et
des unions mystiques. Puis II les égaya par Ses entretiens spirituels les plus
doux. Il leur dévoila Ses secrets. Il les emplit d’amour pour Sa beauté, et II
en fit les amants de Sa majesté. Dans ces degrés spirituels, ils portèrent ce
qu’ils purent supporter du poids des tourments que provoquent les mortifications
et les combats spirituels qu’ils avaient maintenus dans l’obscurité. Ils
devinrent les épouses de Sa présence et régnèrent sur Son royaume et Son monde
angélique. Certains d'entre eux sont les adeptes des aspirations, d’autres les
adeptes des saintetés ; certains sont les adeptes des signes divins, d’autres
sont les adeptes des discours, des consultations [avec Dieu], et des entretiens
spirituels ; certains sont les adeptes des dévoilements, d’autres les adeptes
des contemplations, des présentations ; certains sont les adeptes des
connaissances mystiques et des subtilités; certains sont les adeptes des
sciences d’inspiration divine et des sagesses, d’autres les adeptes de
l’unification du dépouillement et de l’esseulement; certains sont les adeptes
de la qualification, d’autres sont les adeptes de l’unification. Lorsqu’ils
arrivent alors qu’ils ont traversé l’océan des éternités sans commencement et
des éternités sans fin, ils sont ivres et frappés de stupeur. Lorsqu’ils se
sont stabilisés et demeurent fermes dans le cours des calamités issues du monde
caché en fait de dévoilements et d’extases, ils deviennent les adeptes de la
sobriété. Lorsqu’ils atteignent le site de la rectitude spirituelle après
avoir été soumis à la coloration des états, Dieu le Très-Haut en fait les
lampes du temps, les signes de la gnose, les demeures de la vérité, les
étendards de la loi divine - que Dieu nous établisse ainsi que vous-mêmes au
nombre des adeptes de ces états mystiques et de ces stations spirituelles.
4
- Quant à notre propos, un amant animé d’un amour
parfait [pour Dieu] qui compte parmi ces hommes sincères qui ont abandonné les
réalités douées d’être et les réalités phénoménales au moyen de l’abstraction
à la recherche de la connaissance mystique et de l’affirmation de l’unicité,
m’a demandé que je lui décrive les dévoilements et les mystères des contemplations
qui se sont produits en moi, les fiancées du royaume du plérome angélique et
les merveilles des lumières du royaume de la puissance qui se sont dévoilées,
les spécificités de la théophanie et de l’imminence divine dans l’étape
spirituelle de l’équivocité, et les purs dévoilements des gloires de l’essence
divine qui apparurent au cours de mes extases, de mon ivresse, et de ma
sobriété, de nuit comme de jour, et enfin ce que Dieu le Très-Haut m’a octroyé
des sciences d’inspiration divine, vraies et occultes, afin que ce soit pour
lui les emblèmes qui guident sa route, et son confident intime dans le secret
de son cœur et de son esprit vers l’univers du monde caché. J’ai accédé à ce
qu’il voulait, et j’ai achevé l’objet de sa demande. J’ai dit : « Ceci m’est
particulièrement difficile parce qu’il y a, à manifester ces étapes
spirituelles, une souffrance extrême du fait que les gens qui en restent aux
représentations extérieures de la science ne peuvent les concevoir. Ils nous
calomnient, nous en blâment et ils tombent dans l’océan du tourment. Et je
crains pour la communauté de Muhammad - les bénédictions de Dieu soient sur lui
- qu’elle ne s’enfonce dans le reniement et l’affrontement et qu’elle ne
périsse. En effet, qui n’accorde pas foi aux dévoilements qui échoient aux
véridiques ne croit pas aux signes propres aux prophètes et aux envoyés - la
bénédiction et la paix soient sur eux - car les océans de la sainteté et de la
prophétie s’interpénétrent. Dieu le Très-Haut a dit : « Il a fait confluer
les deux océans : ils se rejoignent4. »
5
- Maintenant, dans la manifestation des visions de la
communauté [des soufis] surviennent des sciences étranges et des dévoilements
extraordinaires sous des vêtements d’une grande variété, dans la mesure où Dieu
Se manifeste sous le vêtement de l’agent ainsi qu’il S’est révélé Lui-même aux
prophètes là où II a dit à Son interlocuteur5 - sur lui le salut : «
Il lui fut crié du flanc droit de la vallée dans le pays béni du sein de
l’arbre : ô Moïse ! Moi Je suis Dieu le seigneur des mondes6. »
Et ce qu’il a proclamé au sujet de l’état spirituel de Son bien- aimé7
lorsqu’il manifesta Sa majesté à partir du lotus de la limite : « En lui se
trouve le jardin de la félicité quand recouvrait le lotus ce qui le recouvrait8.
» Et ce qu’il a affirmé du dévoilement de l’équivocité en disant : « J’ai vu
mon seigneur sous la plus belle forme9. » Il [me] dit : « Demande, ô
Muhammad ! » Je dis : « Mon Dieu, je Te demande le jardin [du paradis] et
l’amour de qui T’aime. » Puis II dit : « ô Muhammad ! pourquoi donc la
multitude sublime10 s’est-elle querellée ? » Je répondis : « Ô
Seigneur ! Toi Tu sais. » Alors il posa la paume de Sa main sur mon omoplate,
et je ressentis un froid descendre au milieu de ma poitrine11 par
quoi je connus ce qui fut et ce qui sera12. Je lui dis : « Ô mon
ami, si j’ai tant tardé à répondre à ta demande en ce qui concerne ces étapes
spirituelles sublimes et ces nobles états spirituels, c’est que je me trouvais
dans la fleur de ma jeunesse, dans les jours de mon ivresse, de mon exagération,
de mon bouillonnement interne. Et c’est alors que s'écoula sur mon cœur, mon
esprit, ma conscience secrète et mon intelligence ce qui s’écoula des dévoilements
du monde du plérome angélique et des manifestations des merveilles du monde de
la puissance. Je plongeai alors dans les océans de l’origine et de la fin, de
la préétemité et de la préexistence, et j’y découvris quelque chose du
dévoilement des attributs et de l'essence divine que ne peuvent supporter ni
les rochers massifs, ni les hautes montagnes. Si je rédigeais tout ce qui s’est
produit en moi de ma prime jeunesse jusqu'à aujourd’hui, ce serait plus
volumineux et plus lourd que des ensembles de livres et de pages.
6
- J’étais âgé de quinze ans lorsque se produisit dans
mon cœur le début de ces secrets. Or j’ai maintenant cinquante-cinq ans,
comment pourrais-je donc te décrire les secrets de mes dévoilements et les
subtilités de mes contemplations qui t’ont échappé sans que tu t’en aperçoives?
Je te raconterai toutefois quelque chose de ce qui me fut dévoilé au cours des
jours passés, puis je te rapporterai ce qui m’arriva après cela, si Dieu le
Très-Haut le veut.
7
- Comprends - que Dieu étende sa bénédiction sur ta
compréhension - que je naquis chez des ignorants faisant partie de cet ensemble
de gens en proie à l’ivresse et à l’égarement, qui n’ont pour toute éducation
que celle des habitués du marché, grossiers et vulgaires, de sorte qu’ils sont «pareils
à des ânes effarouchés qui fuient devant un lion13 ». [Je vécus
comme eux] jusqu’à ce que j’atteigne l’âge de trois ans, lorsque résonna dans
mon cœur cette question : « Où est ton dieu, le dieu des créatures ? » Or nous
avions une mosquée à la porte de notre maison, et j’y remarquai un jour de
jeunes garçons à qui je demandai : « Connaissez-vous votre dieu? » Ils
répondirent : « On dit qu’il n’a ni main ni jambe14. » Ils avaient
en effet entendu leurs pères et mères dire que Dieu le Très-Haut est affranchi
des membres et des organes du corps. Lorsque je posai cette question, je fus
submergé par l’émotion et je partis en courant. Alors s’écoula en moi quelque
chose qui ressemble aux lumières [que l’on perçoit] dans la récitation du nom
de Dieu et aux expériences intérieures que provoque la méditation. Mais je ne
compris pas vraiment le sens de ce qui m’arrivait.
8
- Je parvins à l’âge de sept ans lorsque mon cœur fut
envahi par l’amour de L’invoquer et de me soumettre à Lui par la dévotion. Je
me mis en quête de ma conscience secrète, et j’appris ce qu’elle était. L’amour
apparut dans mon cœur si bien que mon cœur fondit dans l’amour. J’éprouvais en
ce temps une profonde nostalgie car mon cœur à ce moment-là était immergé dans
l’océan de l’invocation de la préétemité et respirait les parfums de la
sainteté. Puis des éclosions d’extases apparurent en moi sans provoquer la
moindre commotion15. Toutefois mon cœur était saisi d’une certaine
langueur, et mes yeux s’emplissaient de larmes. Je n’arrivais pas à comprendre
ce que cela pouvait être sinon qu’il ne pouvait s’agir que de l’invocation de
Dieu le Très-Haut. A cette même époque je regardais tous les êtres comme autant
de beaux visages dont l’apparition m’inspirait l’amour de quelques retraites
spirituelles, entretiens spirituels, pratiques de dévotion et pèlerinages aux
tombes des plus grands maîtres spirituels.
9
- Lorsque j’eus atteint l’âge de quinze ans, il me
sembla entendre un appel venant du monde caché qui me disait : « Tu es certes
un prophète. » Et je me disais dans mon for intérieur : « J’ai pourtant entendu
mes père et mère dire qu’il ne peut y avoir aucun prophète après T Élu
(al-Mustafâ)16. De plus comment pourrais- je être prophète alors que
je mange, que je bois, que je vais aux lieux d’aisance, et que je suis pourvu
de parties honteuses ? » Car je pensais que les prophètes n’ont pas de ces
défauts17. Et ceci jusqu’à ce qu’un certain temps fût passé, tandis
que j'étais évanoui dans l’amour. Un soir après le dîner, je me levai de ma
boutique et me dirigeai vers un endroit désert des environs pour y faire les
ablutions. J’entendis alors une voix agréable, ma conscience secrète en fut
ébranlée et mon désir attisé. Je dis : « Eh ! l’homme à la voix, attends-moi. »
Je me dirigeai vers la colline toute proche, et je vis une personne belle ayant
la prestance des maîtres spirituels. Or, je ne pus proférer la moindre parole.
Lui en revanche me dit quelques mots concernant la doctrine de l’unité divine18,
que je ne compris point mais qui éveillèrent en moi un ravissement et un amour
fou. Je sombrai dans l’inconscience : il me semblait que des gens circulaient
autour de moi et que je me trouvais dans quelque ruine. Je demeurais ainsi
jusqu’à ce que fut passée une partie de la nuit et que je fusse revenu à moi.
Puis je retournai à ma boutique, où je restais jusqu’au petit matin en proie à
l’extase, à l’agitation, gémissant et pleurant à chaudes larmes. Je demeurais
interdit et fou d’amour. Ces mots coulaient involontairement sur ma langue :
«Ton pardon! Ton pardon! » Puis cela s’apaisa, et il me semblait être demeuré
ainsi durant des heures et des jours entiers. Je restai assis une heure, et
l’extase me submergea. Alors je jetai en chemin le coffre et ce que contenait
la boutique en prévision des jours de disette, et je lacérai mes vêtements. Je
courus au désert où je demeurais en cet état une année et demie, affligé, dans
la stupeur, en pleurs, et en proie à l’extase. Chaque jour se produisirent des
extases grandioses, et des révélations intérieures venues des mondes cachés. Au
cours de ces extases je voyais les cieux et la terre, les monts et les déserts,
les arbres, comme si tout cela était une lumière unique. Puis je m’apaisai,
libéré de l’agitation19.
10 - Je triomphai de cette enveloppe
[qui voilait mon cœur], et j’éprouvai l’envie de me mettre au service des
soufis. Je rasai ma tête alors que j’avais une abondante et belle chevelure, et
j’entrai dans le cercle des soufis. Je me consacrai à leur service et je
m’adonnai aux efforts spirituels et aux mortifications. J’étudiai le Coran que
j’appris par cœur. J’étais, au milieu des soufis, la plupart du temps
transporté par l’extase et les états spirituels, mais je n’eus jamais aucune
part aux dévoilements mystérieux jusqu’à ce qu’un jour-je me trouvais sur la
terrasse du couvent plongé dans l’observation du monde du mystère - je vis le
Prophète - les bénédictions de Dieu soient sur lui - Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthmân,
et ‘Alî20 - que Dieu soit satisfait d’eux - passer devant moi. Ceci
est le premier de mes dévoilements21.
11 - Je n’avais pas de maître en ce
temps-là. Je retournai donc dans mon pays en quête d’un maître de bon conseil
parmi les adeptes du salut. Tant et si bien que Dieu le Très-Haut me conduisit
dans la compagnie du maître Jamâl al-dîn Abû’l-Wafâ’ibn Khalîl al- Fasâ’î22
- que la miséricorde de Dieu soit sur lui. Il était alors lui-même au
commencement de la voie. Quand je fus devenu son disciple, Dieu le Très-Haut
ouvrit à mon cœur les portes du monde du plérome angélique, et aussi les
successions ininterrompues des dévoilements et des états spirituels acquis en
sa compagnie jaillissaient avec les sciences cachées et les étrangetés de la
religion au point que les extases et les dévoilements affluèrent en nombre
infini.
12 - Parmi tout ce dont je me
souviens, il m’arriva que je vis Dieu - gloire à Lui - sur la terrasse de ma
maison sous la qualité de la munificence et de la majesté de la préétemité. Il
me sembla voir le monde former comme une lumière rayonnante, foisonnante,
immense. Il m’appela du milieu de la lumière en langue persane soixante-dix
fois de suite en ces termes : « Ô Rûzbehân !
Je t’ai élu
par la sainteté. Je t’ai choisi par l’amour [mahabba]. Tu es Mon ami, Mon
amoureux [muhibb]. Ne crains rien, ne t’afflige pas car Je suis ton dieu qui
t’assiste dans tous tes desseins. » Or j’avais alors le corps incliné pour la
prière et je m’inclinai à nouveau plusieurs fois. Puis des océans d’extases
s’emparèrent de moi. Les sanglots me submergèrent qui devinrent presque des
cris. C’est des bénédictions immenses qui me parvinrent de tout cela.
13 - Ce dont je me souviens des
jours de mon adolescence c’est qu’une fois, alors que je me trouvais dans les
solitudes désertes du monde caché au-delà des sept cieux, un océan immense se
dévoila à moi, et je vis au centre de cet océan une île énorme. Au centre de
cette île, je vis un château immensément grand qui s’élevait si haut que cela
semblait sans fin. Du pied du château et aussi haut que mon regard pouvait
monter se trouvaient des meurtrières en nombre infini. Alors Dieu le Très-Haut
Se révéla à moi de toutes ces meurtrières à la fois. Je demandai : « Mon Dieu !
qu’est-ce donc que cet océan ? » Il répondit : « L’océan de la sainteté. » Je
demandai : « Qu’est-ce donc que cette île ? » Il répondit : L’île de la
sainteté. » Je demandai : « Qu’est-ce donc que ce château ? » Il répondit : « Le
château de la sainteté23. » Et Dieu est au-delà de la causalité de
l’espace.
14 - J’étais en ce temps-là ignorant
des sciences des vérités spirituelles, et je vis Khidr - que la paix soit sur
lui -, lequel me donna une pomme24. Je n’en mangeai qu’un morceau,
et il me dit: «Mange-la! car c’est la quantité que j’en ai mangé25.
» Il me sembla alors voir un océan qui s’étendait depuis le trône divin jusqu’à
la terre, si bien que je ne pouvais rien voir d’autre. Il était comme les
rayons qui irradient du soleil. Ma bouche s’ouvrit involontairement et il s’y
engouffra tout entier si bien qu’il n’en resta plus une seule goutte que je ne
l’ai bu.
15 - Une autre fois je me vis comme
sur la montagne de l’orient. Je vis alors un groupe d’anges. Or il y avait, qui
s’étendait du levant au couchant, un océan tel que je ne pouvais rien voir
d’autre. Ils me dirent : « Entre dans cet océan et nage jusqu’à l’occident! »
J’entrai donc dans l’océan et je nageai. Lorsque j’eus atteint l’endroit où
descend le soleil, le soir, les montagnes de l’orient et de l’occident
m’apparurent telle une multitude de petites montagnes. Alors je vis un groupe
d’anges sur la montagne de l’occident. Ils brillaient de la lumière du soleil.
Ils s’écrièrent en disant : « Eh toi ! nage ! ne crains rien ! » Lorsque
j’atteignis la montagne, ils dirent : « Nul n’a jamais traversé cet océan à
part ‘Alî ibn Abî Tâlib26 - que Dieu bénisse sa face - et toi à sa
suite. »
16 - Puis, après cela, me furent
ouvertes les portes des sciences d’inspiration divine concernant les vérités,
les finesses spirituelles et les sciences occultes dans lesquelles les
compréhensions des doctes savants sont frappées de stupeur. Puis II exauça
quelques-unes de mes prières et m’accorda d’accomplir quelques prodiges
subtils. Puis ma conscience secrète s’établit fermement dans les vérités
spirituelles et m’apparurent les degrés des ascensions célestes. J’acquis les
étapes spirituelles, les états mystiques, les dévoilements, les connaissances
mystiques, les principes de l’unité divine et les dévoilements des réalités
cachées qui font partie des merveilles des cœurs, en nombre tel que l’on ne
saurait dénombrer.
17 - Il me sembla aussi voir la
totalité des créatures rassemblées dans une maison. Elles étaient entourées des
murailles, et parmi elles se trouvaient des lampes en grand nombre alors que
c’était le jour. Comme je ne pouvais y pénétrer pour les atteindre, je montai
sur la terrasse de la maison. Je vis [là] deux vieillards ayant revêtu ma
propre apparence. Ils étaient très beaux, et portaient l’habit des soufis. Je
vis une sorte de chaudron suspendu dans l’air sous lequel se trouvait le bâton
des deux vieillards qui se consumait d’une flamme subtile et sans fumée. Puis
je vis une nappe dressée, attachée au baldaquin. Je les saluai et ils me
sourirent tous deux tournés dans ma direction. C’était deux vieillards aux
visages très beaux. L’un des deux prit sa nappe et la déploya révélant une
grande et fine écuelle et des pains ronds et blancs qui se trouvaient en son
centre. Il en rompit quelques-uns dans l’écuelle. Il versa le contenu du
chaudron dans l’écuelle. On aurait dit une huile dorée qui semblait ne rien
peser. C’était une sorte de substance éthérée et spirituelle. Il me fit signe
de manger. J’en mangeai et ils en mangèrent un peu avec moi, jusqu’à ce que
j’eus tout absorbé. L’un des deux me dit : « Sais-tu quel genre de nourriture
se trouvait dans le chaudron ? » Je répondis : « Je ne le sais pas. » Il reprit
: « C’est une huile tirée de la constellation de l’Ourse, que nous avons prise
à ton intention. » Lorsque je m’éveillai, je méditai sur cela. Mais ce n’est
que bien plus tard que je connus qu’il s’agissait là d’une allusion subtile aux
sept pôles mystiques qui se trouvent dans le royaume du plérome angélique et
que Dieu le Très- Haut m’avait distingué en me conférant la pure quintessence
de leurs étapes spirituelles, lesquelles constituent le rang spirituel des
sept qui se trouvent à la surface de la terre. Après cela, je considérai avec
attention la constellation de la Grande Ourse, et je la vis qui formait sept
lucarnes desquelles Dieu le Très-Haut se révéla à moi. Je demandai : « Mon Dieu
! Qu’est-ce que cela ? » Dieu qui dépasse toute compréhension répondit : « Ce
sont là les sept lucarnes du trône. » Un certain temps passa ainsi, et je
demeurais à les observer nuit après nuit brûlant d’amour et de désir pour
elles. Si bien qu’une nuit, je les vis s’ouvrir, et Dieu - qu’il soit loué et
exalté - se manifesta à travers elles. Il dit : « Je Me suis révélé à toi par
ces lucarnes27, car ces lucarnes sont les sept mille seuils28
qui conduisent au monde sublime du royaume angélique. Je Me suis révélé à toi
par toutes à la fois. » Comprends que j’ai pérégriné par ma conscience secrète
dans les différentes régions de l’être et que mon esprit s’est élevé jusqu’aux
cieux. Et j’ai vu entre les différents cieux les anges de Dieu le Très-Haut.
Je les dépassai les uns après les autres jusqu’à ce que je sois parvenu à la
présence divine. Là je vis dans Sa création des anges à l’apparence plus grandiose
que toutes les créatures que l’on puisse rencontrer sur la terre. Ils se
tenaient debout pour la prière, plongés dans la contemplation de la proximité
de Dieu, chantant les gloires de Dieu. Puis je m’élevai jusqu’à un monde que
baignait une lumière resplendissante, et je m’enquis de ce que c’était. Une
voix me dit que ce monde se nomme le trône. Puis je me mis à tournoyer dans une
atmosphère telle qu’il n’y a plus là de lieu, jusqu’à ce que je parvienne aux
seuils de la préétemité. Je vis là des déserts et des océans. J’étais tellement
anéanti à moi-même, fou d’amour, évanoui, stupéfait, que je ne comprenais pas
d’où Dieu se manifestait car il n’y avait plus « d’où » ni de « vers où »29.
18 - Il se révéla alors à moi depuis
les orients de l’antériorité divine sous la qualification de la prééternité et
me dit : « J’ai voyagé vers toi depuis le mystère du monde caché, et depuis le
mystère du mystère, entre Moi et toi le voyage dure sept cent mille ans. » Il
m’accueillit avec joie, me traita avec douceur et me témoigna de la
bienveillance. Il me dit : « Je t’ai choisi en ton temps en t’accordant cette
station au-dessus des mondes30. » Il dévoila les beautés saintes et
les spécificités des attributs préétemels. Je vis beauté dans la majesté,
majesté dans la beauté, que je ne saurai au grand jamais décrire. Cet amour
dont II m’a fait l’héritier est perfection, sublime connaissance mystique.
Alors, Il m’immobilisa entre Ses mains et à chaque instant II Se révélait à moi
sous les qualifications de la splendeur, de l’éclat, de la lumière et de la
clarté.
19 - J’étais, aux jours de mon
adolescence, accoutumé à demeurer éveillé jusqu’au milieu de la nuit. Une nuit
que j’étais en train de prier, Dieu passa auprès de moi sous la plus belle des
formes31. Il rit en me faisant face et me lança des plaquettes de
musc. Je Lui dis : « Donne-moi plus que cela ! » Il me répondit : « Chacune
d’entre les deux est un royaume, et quant à toi, tu es le roi de la Perse32.
»
20 - Une autre fois je m’éveillais
au milieu de la nuit. Je demeurais entre le sommeil et la veille, incapable de
me réveiller tout à fait. Je dis dans mon agitation intérieure : « Ô Généreux
! » Alors II Se manifesta à moi - que Sa majesté soit exaltée - sous la qualité
de la majesté et de la beauté, révélant les joyaux de la lumière. Il en
répandit sur moi une quantité immense qui se disséminait de Sa face
préétemelle. Il dit : « Tu as dit : “Ô Généreux !” Prends donc ceci du
Généreux, car Moi Je suis le Généreux, le Bienfaisant. »
21 - Une année ne passa pas que Dieu
le Très-Haut ne Se manifeste à moi lors de la « nuit du destin ». Il me fit
voir l’ensemble des anges revêtus d’une apparence humaine, riant et se
réjouissant d’une bonne nouvelle. Parmi eux, il y avait Gabriel, le plus beau
des anges. Ils avaient de longues tresses comme en portent les femmes. Leurs
visages ressemblaient à la rose rouge. Certains avaient la tête couverte d’un
voile de lumière, d'autres portaient des coiffes serties de joyaux. D’autres
encore étaient vêtus de manteaux de perles. Je les vis aussi plusieurs fois
sous l’aspect de jeunes beautés turques33. Je vis l’ange Ridwân34
ainsi que le paradis. J’y pénétrai, et je vis les Houris et les jeunes pages
sous l’apparence que Dieu le Très-Haut a décrite35. Je pénétrai dans
les châteaux [du paradis]. J’y bus aux rivières, et j’y mangeai des fruits du
paradis. Dans le jardin du paradis je mangeai des melons. Je vis plusieurs fois
le trône et le piédestal. Alors je vis Dieu sous la détermination de
l’équivocité. Il ressemblait à un vieillard, et portait une sorte de manteau.
Je fondis sous l’effet de Sa majesté et de la crainte qu’il inspire.
22 - Une nuit je vis quelque chose
qui embrassait les cieux. C’était une lumière rouge qui brillait. Je demandai
: « Qu’est-ce que ceci ? » Il me fut répondu : « Ceci est le manteau de la
superbe. » Dieu le Très-Haut vint à ma rencontre entre le trône et le piédestal
et son pied était dévoilé sous la détermination de la satisfaction et de la
gaieté.
23 - Une nuit je pénétrai dans la
présence, et je vis Dieu sous les déterminations de la superbe et de la
magnificence. Au sein de la présence divine je vis Adam, Noé, Abraham, Moïse,
Jésus et notre prophète Muhammad - que la paix soit sur eux. Je parvins jusqu’au
site de l’imminence de l’imminence, et ils descendirent jusqu’à moi. Alors, Il
me témoigna Sa bienveillance en me prodiguant des choses telles que si
l’ensemble des mondes en entendaient un seul mot ils mourraient aussitôt de
soupir de désir dans les voiles du monde caché et les rideaux du royaume et du
monde du plérome angélique ; et cela [continua] jusqu’à ce que je fus sorti du
monde et des mondes.
24 - Je me vis alors moi-même
au-dessous de la terre dans une atmosphère faite de lumière. C’est là que Dieu
- que Sa majesté soit exaltée - m’apparut. Alors je dis : « Mon Dieu! Je T’ai
recherché au-dessus de tous les dessus, or c’est dans ce monde même, sous la
terre, que je [T’]ai vu. » Alors II fit une chose que je ne compris pas. Je vis
le trône jusqu’au-dessous de la terre et il était en face de Lui comme une
graine de moutarde dans un désert sans fin. Il dit : « Je tourne et retourne le
monde avec tout ce qu’il contient mais nulle réalité phénoménale ne peut même
Me frôler. Je transcende les opinions de ceux qui sont dans l’erreur et les
allusions des anthropomorphistes. Dieu est au-delà de tout lieu. » J’ai eu
d’autres dévoilements comparables à ceux-ci, qui dépendent des fondements des
états spirituels des mystiques et de ce qui se produit en eux.
25 - Je vis, une nuit, la présence
de Dieu - qu’il soit exalté. On aurait dit des ruisseaux taris. Dieu le Très-
Haut me saisit et m’égorgea. Le sang s’écoulait abondamment de ma gorge. Les
ruisseaux s’emplirent tous de mon sang, qui prit un aspect semblable aux rayons
du soleil lorsqu’il se lève. Et ils étaient plus imposants encore que les
contrées des cieux et de la terre. Des nuées d’anges prirent de mon sang et
s’en oignirent le visage36.
26 - J’ai vu plus de mille fois
notre prophète Muhammad - la paix soit sur lui - revêtu d’apparences différentes.
J’ai mangé des dattes fraîches de sa propre main. Une fois il mit une datte
dans ma bouche et dit : « Mange-la avec la permission et la bénédiction de
Dieu. » Une nuit il me donna sa langue, et je la tétai longuement. Une autre
nuit il plaça sur ma tête un turban.
27 - Une nuit, je vis un immense
océan au sein du monde caché. C’était un océan d’un vin de couleur rouge. Alors
je vis le Prophète - que le salut et la bénédiction de Dieu soient sur lui -
assis au centre de l’immensité de l’océan les jambes croisées, et ivre. Il
portait une robe d’une étoffe fine, et sa tête était couverte d’un turban lui
aussi d’une étoffe fine. Il tenait à la main une coupe remplie du vin de cet
océan. Lorsqu’il me vit, il répandit ce qu’elle contenait, puis il puisa une
fois [du vin] de l’océan avec cette coupe. Puis il la versa à nouveau, et
répéta la même opération plusieurs fois de suite, jusqu’à ce qu’il plonge sa
main tenant la coupe dans l’océan. Il emplit la coupe de la quintessence [de ce
vin] et m’en versa à boire. Après cela me fut révélé ce qui me fut révélé, et
je connus [ainsi] sa supériorité sur toute la création, qui est telle qu’alors
qu’elle meurt de soif, il se trouve au centre de l’océan de la majesté pris
d’ivresse.
28 - Dans le passé, la question me
vint maintes fois à l’esprit de savoir quelle explication l’on peut donner de
la station digne d’éloges37. Une nuit, je vis devant la présence
divine une mer immense qui n’avait pas de rives. Alors je vis l’ensemble des
prophètes dans la mer, dépouillés de leurs vêtements, ainsi que tous les saints
et les anges. Je vis un voile épais tombant sur la mer. Je vis Adam - la paix
soit sur lui - plongé dans cette mer. La mer montait jusqu’à sa poitrine. Quiconque
s’est approché de Dieu le Très-Haut est plus proche que ce voile. Adam et ceux
qui sont « doués de ferme résolution38 » parmi les prophètes
envoyés étaient eux-mêmes en face du voile. J’avançai auprès du voile, mais
comme je voulais savoir ce qu’il y avait au-delà, j’allai vers l’extrémité du
voile. Lorsque je l’atteignis, je vis une immense lumière qui brillait de
derrière le voile. Et je vis une personne qui, du sommet de la tête aux pieds,
était semblable à la lune. Son visage avait tout entier l’éclat de la lune, et
il était plus grand que l’ensemble des cieux. Ce personnage se saisit de
l’ensemble de la présence divine jusqu’à ce que ne subsiste plus le moindre
lieu de la taille d’une tête d’épingle qui ne soit empli de lui. Il y avait sur
son visage une lumière ininterrompue qui venait de la présence divine. Je
voulus pénétrer derrière le voile maisje ne le pouvais pas, et je me dis en
moi-même : « Quelle est donc cette station et qui est ce personnage ? » Il me
fut répondu dans ma conscience secrète : « Ceci est la station digne d’éloges
et voici Muhammad - la paix soit sur lui. Et ce que tu vois baigner son visage,
c’est la lumière de la théophanie. Si tu pouvais pénétrer [derrière le voile]
tu verrais Dieu - qu’il soit loué et exalté - sans voile. » Et il me fut dit :
« Cette station est celle dont Muhammad - la paix soit sur lui - a été gratifié
en propre. Nul ne peut trouver un chemin qui y conduise. »
29 - Je vis au sein du monde caché
un univers brillant d’une lumière resplendissante. Et je vis Dieu - qu’il soit
glorifié - revêtu de la majesté, de la beauté et de la splendeur. Il me versa à
boire du breuvage des océans de l’affection et II m’honora en m’accordant la
station de l’intimité. Il me fit voir le monde de la sainteté39.
Lorsque j’eus tournoyé dans l’atmosphère40 de la préétemité, je
m’arrêtai sur le seuil de la munificence. Je vis l'ensemble des prophètes
présents - la paix soit sur eux44. Je vis Moïse tenant à la main la
Torah, Jésus tenant à la main l’Évangile, David tenant dans sa main les
Psaumes, et Muhammad - que la paix soit sur lui - qui tenait le Coran dans sa
main. Moïse me donna la Torah à manger, Jésus me fit manger l’Évangile, David
me fit manger les Psaumes, et Muhammad - sur lui le salut - me fit manger le
Coran. Quant à Adam, il me fit boire les plus beaux noms42 ainsi que
le nom suprême. J’appris ce qu’il me fut accordé de connaître des hautes
sciences seigneuriales, dont Dieu a gratifié Ses prophètes - la paix soit sur
eux - et Ses amis43.
3044
- Je me vis comme si j’étais dans le pays des Turcs, et Dieu m’apparut
surgissant du levant. Il portait leurs vêtements, et [jouait de la musique] en
frappant de leurs [instruments à] cordes45. Il me dit : « Je Me suis
manifesté à toi des tréfonds de l’Étemel. » Puis II me fit voir les douces
beautés des attributs divins. Il vint à moi, et me combla de prévenances. Puis
II Se déroba à moi, si bien que je me plaignis à Lui de Lui-même. Alors Dieu
m’apparut, sous une apparence telle que jamais je ne vis plus beau que Lui.
31 - J’avais un maître au temps de
ma jeunesse. C'était un maître doué de connaissance mystique, et constamment en
état d’ivresse spirituelle. C’était un maître des « adeptes du blâme », dont la
réalité spirituelle était ignorée. Or une nuit, dans les solitudes désertiques
du monde caché, je vis une plaine. Et voici que je vis Dieu le Très-Haut,
revêtu de l’apparence de ce maître, assis au bout de cette plaine. Je
m’approchai de lui, mais II me fit signe [de me diriger] vers une autre
[plaine]. Je passai mon chemin, allant vers cette autre plaine, où je vis un
maître semblable au premier. Mais ce maître c’était Dieu. Il m’indiqua alors
une autre plaine, et ainsi de suite jusqu’à ce que se furent dévoilés à moi
soixante-dix mille déserts. Et, au bout de chacun d’entre eux je vis la même
figure que celle que j’avais vue dans le premier. Je me dis en moi-même : «
Dieu le Très-Haut, est unique, un, seul, singulier. Il transcende la petitesse
et la grandeur, les égaux, les contraires et les semblables. » Alors, il me fut
dit : « Ceci est la manifestation des attributs étemels qui n’ont pas de fin. »
Dans le même temps, je fus submergé par les vérités spirituelles de
l’affirmation de l'unicité divine qui viennent de l’océan de la magnificence,
car à cet instant, c’est sous l’aspect de l’impétuosité46 que Dieu
le Très-Haut Se révélait.
32 - De même, je vis Dieu - qu’il
soit glorifié - qui descendait du mont Sinaï, revêtu de l'apparence du Grand
Maître47. Alors la montagne se liquéfia sous les assauts impétueux
du pouvoir de Sa fureur. Puis II disparut, puis reparut, disparut puis reparut
encore, et cela à maintes reprises. Alors II dit : « C’est ainsi que j’ai agi
avec Moïse » - que la paix soit sur lui.
33 - Je vis Dieu - qu’il soit loué
et exalté48 - sous un aspect sublime, filer le trône, une quenouille
à la main ; Il portait un vêtement blanc et rêche49. Je me rappelai
qu’il s’agit là d’une forme d’anthropomorphisme, alors que Dieu le Très-Haut,
transcende toute représentation imaginaire. Comment pourrais-je donc dire qu’il
s’agit là du dieu50 de la terre et du ciel ? Puis je vis le trône
s’enrouler autour de Sa quenouille comme un cheveu. Je fus frappé de
stupéfaction. Puis je fus immergé dans l’océan de la magnificence. Ensuite II
disparut de ma vue51.
34 - Et je vis [Dieu] plusieurs fois
sous la qualification de la majesté et de la beauté. Les anges se trouvaient
avec Lui. [Ils ressemblaient aux femmes les plus belles, avec de si longues
tresses que si l’on en déroulait une, elle toucherait terre52]. Je
dis alors : « Ô mon Dieu, de quelle façon m’étreindras-Tu53? » Il me
répondit : « Je viendrai à toi des tréfonds de l’éternité sans commencement.
Je m’emparerai de ton esprit par Ma main, et Je l’emporterai54
jusqu’à l’étape spirituelle du refuge. Là Je te verserai à boire du vin de
l’imminence, et Je te révélerai Ma beauté et Ma majesté, à jamais, de la façon
même que tu le désires, sans voile55. » Alors je vis Gabriel,
Michel, Séraphiel et Azraël - sur eux le salut - portant un vêtement de lumière
d’une telle beauté que je ne saurais le décrire. Puis je vis Munkir et Nakîr,
semblables à deux adolescents avenants et beaux. Ils jouaient tous deux du rabâb56
au chevet de ma tombe et me disaient : « Nous sommes amoureux de toi, c'est
pourquoi nous pénétrons dans ta tombe sous cette forme. » Alors toute crainte
s’évanouit57.
35 - L’un de mes amis venait de
mourir. Je vis une plaine désertique au-dessus des sept cieux. C’était une
étendue de terre rouge pleine de morts gisant dans leurs linceuls. Je demandai
: « Qu’est-ce que cette plaine ? » Ils me répondirent : « C’est le site des
martyrs de Dieu comme de Ses très purs. » Je vis une dépouille sur les ailes
des anges. Ils l’emportèrent et la déposèrent. Alors je vis Dieu - qu’il soit
glorifié et exalté - la bénir, après qu’il, le Très-Haut, les eut tous bénis.
Je demandai : « Qui est donc cette personne ? » Ils répondirent : « Ton ami. »
Je me mis alors à pleurer à chaudes larmes car c’était un adolescent qui
faisait partie des nôtres, et je le vis juché sur le faîte d’un mur des vergers
du paradis58. Je dis : « Ô maître ! qu’es-tu en train de faire ?» Il
avança la main et d’un geste il posa des rangées de pierres d’émeraude bleue
puis dit : « Je construis ceci [pour que ce soit] ta demeure et tes vergers
dans le paradis. »
36 - Je vis maintes fois Dieu le
Très-Haut entre des tentures de roses, sous des voiles de roses, dans un
univers de roses rouges et blanches. Il répandit sur moi une profusion de
roses, de perles et de rubis. Il me fut donné de boire chez Lui à maintes
reprises du vin des belles aux yeux noirs59 dans la demeure de la
sainteté. Il s’écoula entre Lui et moi des mystères de l’exultation tels que si
quelqu’un m’avait aperçu à ce moment précis il aurait pensé que je suis du
parti de l’hérésie, car il ne saurait comprendre que ceci provient de
l’exultation que Dieu le Très-Haut accorde à Ses amis, et de la manifestation
ininterrompue des grâces subtiles de Sa bienveillance. Où donc pourraient se
trouver les créatures quand s’entrechoquent les océans de l’éternité sans
commencement et le déluge de la superbe, puisque même la montagne Qâf s’éloigne
lorsque apparaissent les assauts de la majesté de Dieu - Il transcende
l’allusion de l’anthropomorphisme? Que Dieu le Très-Haut, dispense avec bienveillance
à ces créatures une intelligence parfaite ! Ce que nous avons mentionné, ce à
quoi nous avons fait allusion, ce sont les finesses des symboles des sciences
de l’inclination et de l’amour60. C’est là même que Dieu S’est
manifesté sous la détermination singulière de la beauté et de la majesté. Et
parce qu’au sein même de la vérité de l’affirmation de l’unicité se trouvent
des océans d’ignorance61 que fuient tous les prophètes, les
envoyés, les anges et les amis de Dieu ; et que dans l’étape spirituelle de
l’affirmation de l’unicité, les feux de la superbe divine embrasent pensées,
compréhensions et représentations, Il les a fait hériter de cette inclination,
et cet amour, de cette inclination et de cette connaissance mystique. Il n’y a
nulle autre divinité que Dieu. Il transcende tout ce à quoi les intelligences
peuvent faire allusion.
37 - Une de ces nuits que je
demeurais assis sur une banquette dans ma maison, au cœur de la seconde moitié
de la nuit, alors que j’étais plongé dans la vigilance intérieure et que mes
pensées conscientes guettaient la troupe des dévoilements et l’apparition des
étendards du monde du royaume angélique, il arriva que je regardai par les
yeux des consciences secrètes les habitants des lumières des attributs, et je
tournais autour de ces yeux dans les cieux du monde caché jusqu’à ce qu’une
heure se fût écoulée. Puis Dieu m’apparut jaillissant de la lucarne de
l’éternité sans commencement, revêtu d’une qualification de majesté et de
beauté. Je vis apparaître dans le visage de la préétemité l’indice de la satisfaction,
et II me fit voir de mes propres yeux ce qu’il voit de majesté, beauté, beauté
gracieuse, splendeur et exultation. Je me sentis transporté par une
réalisation intérieure; je criais à plusieurs reprises du fait de mon
annihilation dans Sa majesté. Mais il y avait encore entre moi et Lui les
solitudes désertes du monde caché, les voiles de la jalousie divine dans
l’atmosphère immense du ‘Illiyûn62. Je voulus Le voir en m’approchant
le plus possible de Lui et je Le vis. Il sortit de l’une des pièces de ma
maison sous la plus belle forme63. Il transfigura mon cœur, et plongea
ma conscience secrète dans l’extinction de soi. Je me liquéfiai sous l’effet de
la suave douceur de Sa contemplation et de la bienveillance qu’il me témoigna.
Il m’apparut ensuite sous une autre forme, [et II S’approcha de Son faible
serviteur de la plus grande proximité possible]64. Puis Il disparut,
et II se manifesta [au sein du monde de la préétemité], venant de la source de
la divinité, [sous la détermination singulière de l’affirmation de l’unicité et
de l’unicité. Je demeurais en proie à la stupeur, immobile dans Son œuvre,
dans les rigueurs des états extatiques et les divers dévoilements qu’il
produisait en moi]. Puis II Se manifesta à moi venant [de par-delà] le trône
divin paré du vêtement de la splendeur [et de la beauté]. Alors je vis sur le
trône un voile fin tissé d’entrelacs de lumière65. Or II m’appela
de derrière [ce voile] alors qu’il n’était pas voilé par lui, si bien que je Le
vis dévoilé. Il me dit : « Ô Rûzbehân ! ne t’inquiète pas de l’écoulement des
formes des opérations théo- phaniques ! Ne doute pas de ce que tu voies, car
Moi, Je suis ton seigneur l’Unique, l’Un. Il ne faut pas que tu laisses ton
cœur s’affliger dans les torrents des ignorances, car Moi, Je suis à toi seul
entre toutes Mes créatures. N’envie personne, car Moi Je te ferai parvenir à
l'étape spirituelle de la vision et Je te ferai siéger à jamais, sur le tapis
déployé de Mon imminence sans aucun voile (entre Moi et toi). »
38-11 arriva que je me rende dans une contrée heureuse,
et il m’était difficile ainsi qu’à mes compagnons de la quitter car nous étions
dépourvus de montures. C’est alors que je vis le maître Abû’l-Farîs66
qui semblait sortir de sa tombe. Il dit : « N’ayez crainte ! Allez- y ! car je
suis avec vous. » Il prit les bâtons d’un de mes compagnons et passa son
chemin. Nous étions dans cet état lorsque, soudain, quelqu’un arriva accompagné
d’un guide, d’un âne et de provisions pour le voyage. Nous passâmes la moitié
de la nuit en chemin. Il y avait à cet endroit une chaîne de montagnes, et sur un
chemin de montagne il y avait une côte nommée côte du Génie. Le chemin se
rétrécit à plusieurs reprises. Nous marchions avec une extrême difficulté, et
dans un état de peur et de gêne indescriptible. Nous marchâmes de cette manière
jusqu’à ce qu’au matin nous arrivâmes enfin, soulagés, aux abords de la région
de Fasâ. Lorsque nous atteignîmes finalement la contrée où nous nous rendions,
nous descendîmes loger dans le couvent du maître Abû Muhammad al-Jawzak67.
Nous y passâmes la soirée, et nous nous étendîmes pour nous reposer. Je me
levai pour accomplir mes devoirs religieux à l’aube. Je fis mes ablutions et
j’accomplis deux prosternations. Je récitai jusqu’à la troisième prosternation,
remerciant Dieu le Très-Haut, de nous avoir délivrés de la montagne et de ses
côtes. Alors Dieu s’adressa à moi par le discours spécifique qui est inséparable
du dévoilement et de la contemplation. Il dit : «Ô Rûzbehân! pourquoi t’être
inquiété? Je suis descendu de la montagne, et Je l’ai gravie pour toi neuf
fois de suite afin de [te] protéger. » Lorsque j’entendis la parole de Dieu le
Très-Haut, en ces termes, ne subsista plus en moi un atome qui ne soit embrasé
par une flamme brûlant du feu de la superbe divine. Or si j’avais entendu dans
les montagnes ce que j’entendais dans [cette] demeure, je me serais envolé de
la cime de la montagne, et j’aurais péri. Mais II me fit percevoir la grâce de
mon seigneur et Sa compatissance étemelle, car II est miséricordieux pour Ses
saints et très compatissant pour Ses amis.
39 - Une fois, lorsque je voyageais
venant [de la ville] d'Abûn68, j’allai visiter la tombe du maître
Abû Mus- lim69 afin de faire pénitence pour le défaut qui entachait
mon éducation70. Or tout au long du chemin que je suivais pour aller
à son mausolée, je ne découvrai aucune tendresse dans mon cœur, et j’en
éprouvai une vive désolation. Mais lorsque j’aperçus le tombeau du maître, je
me sentis transporté par une réalisation intérieure et mon cœur s’emplit de
tendresse. Je pleurai à chaudes larmes, et je me retournai. Je vis alors les
maîtres d’Abû Yazîd, issus de la descendance du maître, et je sortis dans un
état d’extrême stupéfaction. Je m’engageai sur le chemin, et un héraut jeta un
cri dans mon cœur. Il disait : « Un châtiment est proche qui va vous frapper71.
» Je fus effrayé par cette parole car j’étais terrifié à l’idée du châtiment
qui allait me frapper. Nous voyageâmes ce même jour jusqu’à ce que nous
arrivâmes à al-Sanhâb, et nous allâmes loger dans le couvent de Hanyân, où nous
passâmes la nuit. Alors ce même discours fit éclosion dans mon cœur à plusieurs
reprises, jusqu’à ce que j’eusse accompli la prière du crépuscule, tandis que
mon cœur était saisi d’un terrible tremblement, et que ma conscience secrète
entrait en ébullition. A cet instant, je vis les lumières du monde caché et les
traces produites par Dieu. Je vis les maîtres spirituels de l'Inde me saluer,
et les maîtres spirituels des Turcs, du Khurâsân et de la Perse
venir recevoir ma bénédiction. Je vis le maître Abû Muslim Fâris ibn al-Muzaffar,
le maître Abu Bakr al- Khurâsânî, le maître Abû'l-Qâsim al-Dârajardî, et le
maître Abû 'Abdi’l-Lâh ibn Khafîf72 - la miséricorde de Dieu soit
sur eux tous - tous montés sur des chevaux. Le maître Abû Muslim se mit à
chatoyer comme une perle sous l’effet de la lumière et il dit aux gens de
l’époque tout en me désignant : « La chamelle de Dieu vous est destinée en
guise de signe, laissez-la paître sur la terre de Dieu ! Ne lui faites point de
mal, autrement le châtiment serait proche73. » Je sus alors que
le premier discours était lié à celui-ci, et j’éprouvais une joie intense,
qu’il m’ait comparé à la chamelle de Dieu, ca.r elle est le signe le plus
grand. Après cela, Il me fit entendre le discours particulier dont II a
gratifié Ses amis et Ses purs, en ces termes : « Je te ferai pénétrer dans les
jardins de la sainteté et Je te ferai voir Ma contemplation ! Ne crains rien
car tu fais partie de l’élite de Mes purs ! » Alors je vis Dieu sous la
détermination de la majesté, de la beauté, de la magnificence et de la superbe.
Je plongeai mon regard dans les raretés de l’équivocité et dis : « Mon Dieu !
Mon seigneur ! Mon maître ! Jusqu’à quand ne me feras-Tu voir la contemplation
particulière74 que dans le site de l’équivocité? Fais-moi donc voir
la préexistence et la surexistence dans leur pure simplicité ! » Il répondit
alors : « Même Moïse et Jésus ont perdu cette demeure. » Puis, Dieu le
Très-Haut me dévoila un atome de la lumière de Son essence prééternelle -
qu’il soit loué et exalté. Mon esprit fut sur le point de se volatiliser. Je
craignis d’en mourir, et que ma vie ne disparaisse dans la torpeur qui était
mon état à ce moment. Puis je vis notre Prophète Muhammad - que le salut et la
paix de Dieu soient sur lui - les prophètes - sur eux soit le salut -, tous les
compagnons du Prophète - que Dieu soit satisfait d’eux - et l’ensemble des
maîtres spirituels - que Dieu les prenne dans Sa miséricorde - demander à Dieu
de m’accorder l’étape spirituelle de la superbe75.
40 - Il arriva que je fus malade. Une
nuit, la fièvre me quitta, et je me réveillai après la minuit couché au milieu
des gens, comme il est de coutume chez les malades. Je me vis alors dans l’une
des enceintes du monde du plérome angélique. Des lumières me furent dévoilées
et Dieu le Très-Haut Se manifesta à moi. Mon âme et mon corps commencèrent à
vaciller. Alors Dieu le Très-Haut fit descendre Sa paix intérieure sur moi et
Il m’accorda en surcroît des ravissements d'aurore et la douceur des secrets.
Mais nul parmi ma famille et ceux qui se trouvaient tout autour de moi ne
connurent rien de cet état.
41 - Dieu le Très-Haut m’affaiblit
une autre fois. Je vis la lumière de la divinité plus blanche encore que la
perle et que la neige. Puis m’apparut, résonnant depuis la proximité de Dieu,
une musique produite par des instruments à cordes. Je compris que cela semblait
me rendre ma santé. Alors le dévoilement cessa, et les beautés des attributs se
manifestèrent. Dieu le Très- Haut, m’observa d’en haut, de telle manière qu’il
ne resta plus de distance entre Lui et moi. Je vis alors venant de la face de
Dieu le Très-Haut, une majesté, une beauté et une splendeur telles que si les
habitants des cieux et de la terre voyaient cela ils en mourraient tous
de plaisir.
Puis je vis les contrées des cieux et des terres emplies de Lui. Je demeurai en
Sa compagnie jusqu’à ce qu’il m’eût emporté dans l’étape spirituelle de
l’imminence de l’imminence au-dessus de tout [ce qui est]. Et c’est
soixante-dix mille majestés, beautés et perfections qui se révélèrent à moi.
Il m’adressa alors un discours tel que si la montagne Qâf l’entendait, elle fondrait
sous l’effet du plaisir. Tout ce qui composait ce discours était proximité et
sympathie. Lorsqu’il m’eut fait asseoir devant Lui et qu’il m’eut prodigué
toutes sortes de faveurs, Il me versa à boire de Ses mains des breuvages que
je ne saurais décrire. Et, de même, apparut venant de Dieu une musique qui ne
saurait être enfermée dans des expressions. Lorsque je me fus apaisé, une
question se posa dans mon esprit : « Où est Muhammad, et où sont les prophètes
et les envoyés ? » Alors, Dieu - que Sa majesté soit exaltée - s’adressa ainsi
à moi : « Ils ont été annihilés dans les lumières de la préétemité. » Et je vis
les prophètes sortir des lumières de la prééternité comme des hommes pris par
l’ivresse la plus extrême. Puis ils vinrent tous se placer en face de Dieu le
Très-Haut. Le premier qui marchait à leur tête était notre Prophète - que la
paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui -, suivi d’Adam, de Noé, d’Abraham,
de Moïse, de Jésus, et, enfin, de tous les prophètes - que la paix soit sur
eux. Le Prophète fut placé [auprès de Dieu] car il est la plus proche des
créatures de Dieu le Très-Haut. Ils formèrent un cercle et Abû Bakr, ‘Umar,
‘Uthmân et ‘Alî - que Dieu soit satisfait d’eux - étaient au milieu du cercle.
Alors Dieu le Très-Haut, répandit sur la tête du Prophète, puis II répandit sur
la tête des prophètes. Puis, on vit des légions d’anges sortir des tréfonds du
monde caché. Leurs chefs Gabriel, Michel et Séraphiel avaient la beauté de
beaux adolescents turcs portant des nattes ressemblant à celles que portent les
femmes. Puis Dieu le Très-Haut, répandit sur moi des brassées de roses et de
perles, comme pour les prophètes, les anges et les quatre califes. Alors,
al-Mustafâ - sur lui le salut et la bénédiction de Dieu - m’adressa la parole,
et il m’agréa en m’embrassant le visage, comme le firent à sa suite Adam, Noé,
Abraham, Moïse, Jésus, et tous les prophètes, puis les quatre califes. Puis
Dieu le Très-Haut, fit l’éloge de Muhammad, le bénit ainsi que les prophètes,
et dit : « J’ai élu Mon serviteur Rûzbehân à la félicité étemelle, à la
sainteté et aux charismes, et Je l’ai disposé pour être le réceptacle de Ma
science et de Mon secret, afin de le rendre digne, par la suite, de se
soumettre aux dispositions de la dispersion de soi76, et après cela,
de le préserver de se rebeller contre Moi. Je l’ai placé parmi les gens de la
stabilisation de l’être et de la rectitude spirituelle, car il est Mon
lieutenant dans le monde et les mondes. Qui l’aime, Je l’aime, et qui est son
ennemi, Je suis son ennemi77. Nul refuge contre Mon décret ! nulle
protection contre Mon arrêt! car Je suis “Celui qui accomplit selon ce qu’il
désire”78. »
42 - Il arriva que je me vis, comme voit
en rêve celui qui dort, sous l’apparence de l’enceinte sacrée de Dieu le
Très-Haut79; et je vis au centre de la mosquée une lumière qui ne
ressemblait en rien à la lumière qui règne dans le bas monde. Alors, je vis la
Ka'aba au milieu de cette lumière, recouverte d'un vêtement tissé d’une lumière
excellente, telle que jamais je n’en avais vu de semblable. Les rayons de cette
lumière ressemblaient aux rayons qui émanent du trône divin. Je m'émerveillai
de la beauté de la demeure sacrée et de l’éclat de la mosquée sainte, et je
m’éveillai. Je me levai pour faire mes ablutions et j’entrai dans la salle
d’eau80. Je me souvins alors de ce que j’avais vu pendant le
sommeil, et j’en éprouvai une forte joie. Je réfléchissais sur ce qui s’était
produit dans le sommeil et ce qui pourrait en sortir. Il me sembla voir comme
si j’étais réveillé au milieu de l’enceinte sacrée [de La Mecque, NdA]
une foule immense des compagnons du Prophète, qui se dispersèrent puis se
rassemblèrent. Alors je vis parmi eux l’envoyé de Dieu qui avait l’apparence
d’un esclave noir d’âge mûr et qui était plus grand que les compagnons. Il
était vêtu d’un manteau de laine, sa tête était coiffée d’un bonnet pointu et
il avait deux tresses du plus bel aspect. Son visage était comme le soleil
radieux et ses joues étaient plus belles que la lumière rouge. Il était tourné
vers moi occupé à puiser de l’eau à la source de Zamzam, et c’était comme s’il
m’appelait de loin en disant : « Tu es le meilleur de ma communauté. » Je fus
fortement ébranlé par ses paroles si bien que je pleurai abondamment. Après
cela mon état s’apaisa. Or mon âme81 m’accompagnait tout au long de
ces dévoilements car lorsque je les vis je me trouvais dans la salle d’eau. Et
je demandai pardon à Dieu en moi-même des paroles que proférait mon âme. Alors
Dieu le Très-Haut me combla d’encore plus de conviction jusqu’à ce que mon
cœur ait plus de force pour ce qui m’était dévoilé. Mon âme battit alors en
retraite. Et voici la répétition de ce signe. Je me levai après cela, me dirigeant
vers la voix, or l’extase m’envahit. Je me vis comme si j’étais dans l’enceinte
sacrée. Je vis le Prophète qui semblait être saisi par un état d’extase. Il
était en train de tourner à côté de la pierre noire sur la gauche de la Ka'aba.
Gabriel était debout contre le pilier proche de la « porte de Safa 82
», Michel aussi était debout, à côté de Gabriel, et aussi Séraphiel, à côté
d’eux, ainsi qu’une théorie d’anges debout sur l’esplanade de la mosquée. Je
m’approchai du Prophète, en proie à un état de stupeur. Le Prophète tourna son
visage vers moi et me nomma par mon nom. Gabriel m’appela en disant : « Ô
Rûzbehân ! » et il était saisi par l’extase lorsqu’il m’appela. Michel aussi
m’appela et il prononça mon nom, et Séraphiel me nomma par mon nom et m’appela.
Il me nomma par mon nom en prononçant : « Ô Rûzbehân ! » Alors Gabriel fut
emporté par l’extase, et Séraphiel, et aussi Michel, et ils quittèrent tous
leur place pour venir à côté du Prophète. Il me sembla alors voir la Ka'aba
quitter sa place et venir auprès d’eux. Et elle dansa avec eux. Alors Dieu se
révéla à eux et je me trouvais au milieu d’eux emporté par l’extase et paisible
à la fois. Après cela, je demeurais inconscient durant une heure, puis je
m’apaisai de mon extase et de l’état dans lequel j’étais plongé jusqu’à ce que
l’aube arrive. Alors l’extase s’empara de moi, et me fut dévoilé comme un homme
qui se tenait au milieu de l’enceinte sacrée et qui transportait du sable du
centre de l’enceinte vers un autre côté, jusqu’à ce qu’apparaisse une porte de
dessous le sable. Cette porte me fut ouverte. Il entra et j’entrai à sa suite.
Je vis un autre homme qui se tenait derrière la porte. Or l’homme était Ismaël83,
et le second homme était Ridwân84. Lorsque je franchis la porte, je
vis le paradis et ce qu’il contient d’arbres, de fleuves et de lumières que
l’on ne saurait dénombrer. Et j’y vis Muhammad, Adam et l’ensemble des
prophètes, des saints, des martyrs et des anges. Et j’y ai vu une grande foule
de croyants. J’ai vu un univers tel que, bien que les cieux et la terre se
rejoignent en lui, nul n’a jamais pu ne serait-ce que décrire son immensité et
son étendue. Je n’ai pas vu dans cet univers une chose que je n’aurais déjà vue
dans le bas monde si ce n’est lumière sur lumière, éclat sur éclat, splendeur
sur splendeur, et grandeur sur grandeur.
43 - J’ai vu notre Prophète,
l’ensemble des prophètes, des envoyés et de tous les saints, montés sur des
chamelles, et quant à moi je chevauchais à la droite du Prophète. Je les vis
vêtus d’habits d’or et de perles tels qu’ils semblaient avoir une apparence
unique, avançant rapidement dans un espace qui ressemblait à la partie la plus
pure de l’or rouge au milieu du feu. Et je vis Gabriel en tête de la troupe
dans cet espace comme une colombe qui vole dans l’air. C’était comme s’ils se
parlaient les uns aux autres pendant qu’ils se hâtaient comme le soldat au
moment où il se range en ordre de bataille. Je me rappelai alors de mes
compagnons et je les cherchais. Je les vis répartis en fonction de leurs états
spirituels, proches les uns des autres. Je me retournai et voici que l’un
d’entre eux chevauchait derrière moi. Il portait un vêtement qui semblait être
une lumière bleue comme je n’en avais jamais vu. Il pressa sa monture pour me
rejoindre en tenant de la meilleure façon les rênes dans sa main, et il me
parla. Nous atteignîmes la présence de la munificence que Dieu avait disposée.
Puis Dieu nous dévoila Sa rencontre, et II nous salua, après quoi je ne pus
plus voir l’une quelconque de Ses créatures. Je demeurai tout seul stupéfait
aussi longtemps que le désira Dieu le Très-Haut. Alors Dieu le Très-Haut me
dévoila le voile de la superbe, si bien que je vis derrière le voile une
majesté, une magnificence, une munificence, un monde de majesté, des océans et
des lumières qui ne sauraient être montrés aux êtres. Je me trouvais à la porte
de Sa magnificence tel un mendiant étourdi. Il me parla depuis les dais de la
magnificence en ces termes : « Ô mendiant ! comment es-tu parvenu jusqu’en ce
lieu ? » Je me sentis détendu envers Lui et je dis : « Mon Dieu, mon prince,
mon seigneur! C’est par Ta faveur, Ta libéralité et Ta générosité. »
44 - Voilà pour ce que nous avons mentionné auparavant et
ce qui s’est produit durant les jours enfuis, et si je me souvenais de ce que
j’ai oublié j’en remplirais des volumes et des livres. Il ne s’est pas passé un
jour ou une nuit sans que Dieu ne veuille que, depuis le temps qui s’est écoulé
jusqu’à ce moment-ci où j’ai cinquante- cinq ans, me soit dévoilé un monde caché
et que je ne voie en lui au moins une fois ce que je pus voir des immenses
contemplations, des attributs préétemels et des ascensions sublimes. Et ceci
vient de la faveur dont Dieu le Très-Haut m’a comblé et « Il la donne à qui
II veut », car « La faveur est dans la main de Dieu. Il la donne à qui
II veut85 », « Il distingue par Sa compatissance qui II veut86
». Grâce soit rendue à Dieu qui a honoré Ses amis et Ses prophètes en leur
accordant ces stations sans cause instrumentale ni raison, sans effort ni exercice,
et non comme les philosophes le disent - puisse Dieu purifier la surface de la
terre de leur présence. Maintenant, après cela, mon espoir, avec l’aide de Dieu
le Très-Haut, [est de rapporter, NdA] ce qui s’est produit en moi, les
dispositions des dévoilements, les mystères des contemplations, les merveilles
du royaume, du monde angélique, des subtilités des discours, et ce qui apparaît
durant les extases, si Dieu le veut, et II me suffit en cela. « Quel
excellent protecteur81 ! »
NOTES
1. Ailleurs, Rûzbehân explique cette notion ainsi: «La réflexion est le
gardien de la compréhension [fahm] », et « La compréhension est la
conque de nacre qui enchâsse l'inspiration » (Sharh : 634). Rûzbehân
distingue très nettement imagination et réflexion. La réflexion qui est une
véritable faculté de connaissance permet de juger par analogie. C'est à partir
d'elle que se développe l'imagination qui conserve les ambiguïtés, les signes
divins, bref qui produit et garde les paradoxes (Itinéraire des esprits,
§ 21).
2. Le ms. de L. Massignon corrige le texte erroné de la copie de Mashhad.
3. Il faut lire istïbâd avec le ms. de L. Massignon au lieu diistib'âd.
7. Nom sous lequel on désigne habituellement le prophète Muhammad.
9. Cette tradition est l'une des sources importantes de réflexion dans le
soufisme, et notamment chez Rûzbehân qui la cite systématiquement. Les
références aux textes dans lesquels ce propos est rapporté sont trop nombreuses
pour être données ici. Pour une analyse voir H. Corbin, L'Imagination
créatrice dans le soufisme d’ibn Arabî, Paris, 1958, p. 202 et suiv., et
274, note 319 ; En islam iranien, Paris, 1971, index : « hadîth
de la vision ».
10. L'expression est tirée du Coran, où elle est citée deux fois (XXXVII = 8 et
XXXVIII = 69). Le passage fait allusion à ce dernier verset où il est question
de la multitude sublime (les anges) qui se querella à cause de l'ordre de se
prosterner devant Adam (Qushayrî, Latâ’if al-ishârât, Le Caire, 1983,
III, p. 262).
11. Dieu a ouvert la poitrine du Prophète pour le purifier dans sa jeunesse.
Ceci est rapporté dans le Coran (XCTV = 1). Le processus par lequel Dieu ouvre
la poitrine de quelqu'un est assimilé à la conversion à l'islam comme
l'indiquent plusieurs passages du Coran. L'imposition de la main de Dieu sur
l'épaule du Prophète se retrouve dans les récits d'ascension céleste (voir J.
Bencheikh, Le Voyage nocturne de Mahomet, Paris, 1988, p. 65). Rûzbehân
dans tout ce passage établit de façon nette et indubitable le lien entre le mirâj
du Prophète, prototype de l'expérience mystique, et ses propres visions
extatiques dont un certain nombre peuvent être des réminiscences des visions de
Muhammad au cours de son élévation. Rûzbehân commente lui-même cet itinéraire
dans le Arais al-bayân, fol. 350 et suiv. C. Ernst souligne aussi avec
pertinence la ressemblance du récit d'ascension d'Abû Yazîd al-Bistâmî avec les
récits de Rûzbehân, qui connaissait d'ailleurs le cas de Bistâmî (Rûzbihân
Baqlî: Mysticism and the Rhetoric of Sainthood in Persian Sufism, p.
108-116, 188-194).
12. Un passage du Rawh al-janân rapporte également des propos du maître
qui légitiment cette confusion, cette symbiose (pp. cit., p. 174).
13. Coran LXXIV = 50-51. Ces versets traitent de ceux qui toute leur vie se
sont détournés de Dieu et sont condamnés à l'enfer. On peut semble-t-il y voir
un trait dénonçant l'origine shî'ite de la famille de Rûzbehân. La ville de
Fasâ, où celle-ci avait émigré, et où Rûzbehân naquit, est connue pour avoir
été un centre shî'ite à l'époque.
14. On pourrait voir là une allusion à la doctrine mu tazilite qui nie ces
descriptions de Dieu. Les opuscules de Rûzbehân portent la trace de sa
condamnation acharnée de cette doctrine au nom de son adhésion à l'ash'arisme.
15. Rûzbehân note ce trait du fait qu'usuellement les extases sont accompagnées
d'une agitation ou commotion du corps.
16. Surnom de Muhammad, sceau des prophètes.
17. L'homologie entre le saint ou le maître avec le prophète est un lieu commun
dans le soufisme. L'autorité et le caractère traditionnel du saint reposent sur
cette ressemblance. C'est celle-ci qui peut d'ailleurs être source de
confusion, de sorte que le saint peut être amené à croire qu'il est prophète.
Sur la ressemblance entre saint et prophète, voir par exemple Fî’l- nubuwwa
wa ma yudâfu Ïlayhâ, in Musannafât-i fârsî ‘Ala al- dawla Simnânî,
Téhéran, 1369, p. 232. La notion de sceau de la sainteté est limitée et
explicitée un peu plus loin par Simnânî, ce qui permet d'atténuer la portée de
la parole qu'entend Rûzbehân dans ce passage : « Par le rescrit du maître dans
son peuple comme le prophète dans sa communauté, le corps des saints est vivant
dans le monde jusqu'à la résurrection, et le sceau de la sainteté est un propos
absurde et est fort éloigné de la connaissance mystique » (ibid., p.
235). En ce qui concerne Rûzbehân, il y a une certaine ambiguïté entretenue
tout au long du début du Kashf al-asrâr, ce qui correspond à l'idée
qu’il y expose selon laquelle il y a interpénétration de la prophétie et de la
sainteté. Cette idée est développée dans le Kitâb al-ighâna, voir notre
introduction et tout le chapitre sur la sainteté.
18. Rûzbehân a lui-même composé des ouvrages concernant cette discipline. Nous
en avons, C. Ernst et moi-même, retrouvé deux manuscrits, considérés comme
perdus, à Istanbul, le Lawâmi al-tawhîd et le Masâlik al-tawhîd.
19. Je suis comme C. Ernst la leçon duRaw/z al-janân [p. 169], op.
cit., p. 118, note 17. Mais on pourrait aussi bien lire : « Puis je laissai
cette terre en proie à l’émotion. »
20. Il s'agit des quatre premiers califes, les bien guidés.
21. Le récit que donne le Rawh al-janân de ce dévoilement est plus
développé, ce qui témoigne de l'esthétisation poussée de l'hagiographe : «
Jusqu'à ce qu’un jour que je me trouvais sur la terrasse du couvent de Pasâ à
observer le monde caché, je vis le roi des rois des prophètes, le prince de la
piété, Muhammad al- Mustafâ - que les bénédictions de Dieu soient sur lui -
ainsi qu'Abû Bakr, 'Umar, 'Uthmân, et "Alî - que Dieu soit satisfait d'eux
tous - qui me faisaient face. De ce spectacle encore plus de lumières
m'apparurent venant du monde de la sainteté. Après cela, les portes de
l'univers du plérome angélique s'ouvrirent à mon cœur et les secrets du monde
de majesté apparurent à ma conscience secrète. Puis les dévoilements se
succédèrent, les états spirituels se manifestèrent, et les étrangetés de la
science inspirée, les stations cachées se présentèrent sous des apparences que
l'on ne pourrait dénombrer » (op. cit., p. 169).
22. Hormis cette mention de Rûzbehân, on ne possède malheureusement aucune
autre information sur ce maître.
23. Sur le château des saints et le jardin des saints, voir entre autres Rûzbehân-nâme,
p. 159, 178.
24. Sur le fait de manger des pommes comme expérience d'initiation mystique,
voir le prodige que rapporte le Tuhfa ahl al- irfân, p. 114-116.
25. Comparer avec F expérience de Bistâmî, commentée par Rûzbehân, qui dit
avoir mangé les fruits de F arbre de F unité divine, qui sont des fruits de
beauté et de majesté (Sharh : 80-82).
26. Le gendre du Prophète, quatrième calife. C'est un personnage essentiel
tant pour le sunnisme que pour le shî'isme, premier chaînon de la plupart des
lignées des grandes confréries soufies dans le sunnisme et premier imâm dans
les courants du shî'isme.
27. Le Raw/z al-janân ajoute « Ô Rûzbehân ! » (op. cit., p. 171).
28. Le récit du Rawh al-janân comporte « soixante-dix mille seuils » au
lieu de « sept mille » (idem).
29. Le premier « où » désigne une localisation statique, le second plutôt une
direction qui intègre donc un aspect dynamique.
30. Un récit montre une lumière flottant au-dessus de la province de Shîrâz,
et c'est la lumière de Rûzbehân (Tuhfa ahl al- ‘irfân, p. 20 et suiv. ; Rawh
al-janân, p. 227 et suiv.).
31. Allusion à la célèbre tradition du Prophète : « J'ai vu Dieu sous la plus
belle des formes. » Voir l'analyse qu'en fait Rûzbehân dans son grand
commentaire des traditions du Prophète, Kitâb maknûm al-hadîth, ns. Maf
ashî Qumm, n° 4205, fol. 558b-559a.
32. Le texte représente une revendication à la territorialisation de la
sainteté du saint, car le saint est là, investi de la royauté par Dieu en
personne. C'est ce que les biographes rapportent des propos de Rûzbehân et de
princes de Shîrâz (Tuhfa ahlal-irfân, p. 20, 53, 65). Mais le texte
pourrait être traduit comme le fait H. Corbin : « Chacun d'eux est un ange, et
toi tu es un ange de la Perse » (En islam iranien, III, p. 58).
33. Sur le culte de la beauté chez les Turcs d'Asie centrale, voir par exemple
Ghazâlî, Le Tabernacle des lumières, trad. R. Deladrière, Paris, 1981, p.
89.
34. L'ange Ridwân est le gardien du paradis. Il accompagne le Prophète dans sa
visite au paradis. Voir J. Bencheikh, Le Voyage nocturne de Mahomet,
Paris, 1988, p. 112 et suiv. Il est le seul ange cité nommément par Rûzbehân
aux côtés des quatre porteurs du trône (Sharh : 7, 261, 351). Il est
aussi nommé à plusieurs reprises dans le Coran.
35. Dans le Coran, XXXVII = 47; LVI = 17-22, etc. Pour les Houris, voir
Wensinck-Pellat, El2, art. « Hûr », t. III, p.
601-602, et L. Gardet, « Djanna », El2, t. II, p. 459-464.
36. Il y aurait des confréries au Maroc qui feraient leurs ablutions avec le
sang d’animaux égorgés au cours de sacrifices.
37. Le Rawh al-janân ajoute: « [...] dont le sceau des prophètes
Muhammad Mustafâ a été gratifié en propre » (op. cit., p. 171). L’expression
est d’origine coranique (Coran, XVII = 79).
38. Expression tirée du Coran, XLVI = 35. Elle y est appliquée exclusivement
aux plus grands des prophètes.
39. Variante ne se trouvant pas dans le texte de l’édition N. Hoca, § 15.
40. Variante de l’édition N. Hoca : « la clarté ».
41. Variante de l’édition N. Hoca.
42. Les plus beaux noms de Dieu qu’Adam apprit aux anges.
43. Édition N. Hoca: «auxquelles Dieu a appelé Ses prophètes et Ses Amis en
les frappant de leur sceau ».
44. Chapitre absent de l’édition N. Hoca.
45. Ou peut-être aussi qu’il utilisait leurs cordes d’arcs.
46. Comparable à celle du vent qui souffle en rafales.
47. «Le dernier confident de Hallâj en prison», le Grand Maître, Shaykh Kabîr,
est le nom par lequel Rûzbehân désigne régulièrement Abû 'Abdullâh Muhammad ibn
Khafîf Shîrâzî (m. 37111/982), l’un des mystiques majeurs pour l’affiliation de
Rûzbehân au soufisme. Voir H. Corbin, introduction au Jasmin des fidèles
d'amour, Téhéran, 1958, p. 50-67 ; sa biographie a été éditée par A.
Schimmel, Abul-Hasan ad-Daylamî Sîrat-i Abû Abdollah Ibn al-Khafîf
ash-Shîrâzî farsça tercemesi Ibn Cunayd ash-Shîrâzî (Ankara Üniversitesi
Ilahiyat Fakültesi Yayiyinlarm- dan XII), Ankara, 1955.
48. Ne figure pas dans le texte de l’édition N. Hoca.
49. Comparer avec le manteau de laine des soufis, la khirqa.
50. L’édition N. Hoca comporte vraisemblablement une erreur du copiste ; le mot
retenu à la place de ilah est en effet ladd ou ludd, qui
rend le texte inintelligible, § 17, p. 108,1.6.
51. Le paragraphe 36 du ms. hikmat s’interrompt ici alors que le texte de
l’édition N. Hoca intercale, suivant en cela la leçon du ms. de Konya, un
passage du § 40 du ms. Mashhad (édition N. Hoca, § 16 p. 108).
52. Ne figure pas dans l’édition N. Hoca, p. 104 § 1.
53. Rûzbehân demande à Dieu de lui décrire comment il le fera mourir.
54. Variante de l’édition N. Hoca : « en ta compagnie ».
55. Là s’interrompt le texte de l’édition N. Hoca.
56. Sorte de vielle à pique répandue dans le Proche et Moyen-Orient.
57. Munkir et Nâkir sont les deux anges qui mènent T interrogatoire dans la
tombe. Leur arrivée provoque la peur. Il en est ainsi pour Rûzbehân jusqu’à ce
qu’ils lui déclarent l’aimer (Qazwînî, ‘Ajâ’ib al-makhlûqât, Beyrouth,
1973, p. 96-97).
58. Il s’agit du mur du paradis mentionné dans le récit d’ascension du Prophète
; voir J. Bencheikh, Le Voyage nocturne de Mahomet, Paris, 1988, p. 88.
59. Ces femmes « aux yeux noirs » désignent certainement les Houris du paradis.
C’est du reste ainsi qu’H. Corbin le traduit (En islam iranien, III, p
48).
60. Dans le Abhar al-âshiqîn, Rûzbehân distingue soigneusement mahdbba
et ‘ishq ainsi : « Le début de l’amour (ishq) est l’aspiration
;[...] sa vérité est l’inclination (mahabba) qui est suscitée par deux
côtés, soit par les faveurs amoureuses, soit par la vue de l’aimée (mashûq)
; le premier est vulgaire, l’autre est de l’élite. Lorsqu’il parvient à la
perfection, il est désir (shawq) ; et lorsqu’il atteint la vérité de
l’immersion, on l’appelle amour Cishq) » (op. cit., p. 15).
61. Comparer avec le Kitâb al-ighâna, où nakira et ma’rifa s’appellent
mutuellement dans la dernière étape spirituelle du prophète ; la nakira
ne renvoie pas ici à un défaut de savoir mais bien plutôt à la nature même du
savoir qui est submergé par l’excès de la connaissance que sont les « océans de
l’ignorance » ; l’expression est du reste la même dans le texte de X’ighâna,
L’Ennuagement du cœur, p. 15 et index.
62. Il s’agit de l’une des régions du paradis citée dans le Coran (LXXXIII =
18-19).
63. Allusion au propos du Prophète dont il a déjà été question ; voir la
vision 9.
64. Les passages entre crochets ne figurent pas dans l’édition N. Hoca, p. 108
65. La version de l’édition N. Hoca diverge : « Je vis sur le trône un voile
épais composé de lumière » (ïbid., p. 108).
66. Il est impossible d’identifier ce maître avec précision ici. A noter qu’il
existe dans la région des montagnes de Gîlûyeh, au sud de Shîrâz, un village
nommé Abû’l-Fâris (Fârs-nâma-yi Nâsirî, Téhéran, 1367, II, p.
1493-1494).
67. Il aurait été le premier maître de Rûzbehân à Fasâ. On ne dispose d’aucune
autre information sur son compte.
68. Ou Ayûn si Ton suit la leçon du ms. Massignon.
69. Il s'agit sans doute d'Abû Muslim Fâris ibn Ghâlib Fârsî Fasâ'î (m. 412h).
Il aurait été le contemporain de Sulamî, d’Abû Sa îd ibn Abî'l-Khayr, et de
Hujwîrî qui l'aurait rencontré et en aurait tiré des informations sur les
biographies de saints et la terminologie en usage dans le soufisme. Voir
Hujwîrî, Kashf al-mah- jûb, Téhéran, 1336, p. 207, 215, 410, 450-451 ;
Junayd Shîrâzî, Shadd al-izâr, Téhéran, 1328, p. 180-181. C’est de lui
que le shaykh Sâlbeh ibn Ibrâhîm (m. 473h), ancêtre du maître de Rûzbehân,
aurait appris les usages des soufis (Hazâr mazâr, p. 229).
70. Il faut suivre là la version du ms. Massignon.
72. Surnommé « le grand maître », ibn Khafîf aurait écrit une trentaine
d'ouvrages. Il est mort à Shîrâz en 371h/981. Pour les références voir le Shîrâz-nâma,
p. 127 ; L. Massignon, La Passion de Hallâj, p. 192-196. Sa biographie
publiée par A. M. Schimmel a été récemment rééditée en Iran (Abû'l-Hasan
al-Daylamî, Sîrat- i shaykh-i kabîr Abû ‘Abdïl-Lâh ibn Khafîf Shîrâzî,
Téhéran, 1363). Rûzbehân vénérait particulièrement ce saint comme le montrent
par exemple le Kitâb al-ighâna, § 87, 104, et le Rawh al- janân,
p. 160, 205.
73. Coran, VII = 77 et XI = 63. Sur le rôle de la métaphore du chameau et du
chamelier dans les écrits soufis, voir
M. Chodkiewicz,
Le Sceau de la sainteté, p. 133-134, 139. Chez ibn "Arabî, le terme
rukbân, chamelier, désigne les afrâd, les pôles.
74. On peut aussi lire avec H. Corbin « la vision qui m'est propre » (En
islâm iranien, Paris, 1972, III, p. 58).
75. Comparer avec le [§ 5] de l'édition N. Hoca, où l'on retrouve la même
formulation.
76. Une autre lecture est possible en se référant à l'édition
N. Hoca:
« Les dispositions de la dispersion de soi ne l'atteindront plus après cela. »
77. C'est la paraphrase d'un propos de Jafar al-Sâdiq qui révèle des
réminiscences shî'ites selon H. Corbin (En islam iranien, III, p. 51).
Il ne faut pas oublier toutefois que le commentaire du Coran de Ja'far
al-Sâdiq était connu et employé par les soufis parfaitement sunnites, et
notamment par Rûzbehân dans son ‘Arâ’is al-bayân. Sur le rapport entre
aversion et amour, voir Safîna al-bihâr, I, p. 201 et suiv.
78. Coran, XI = 107 et LXXXV = 16.
79. Il s'agit de la Ka'aba, le sanctuaire sacré de La Mecque.
80. Le ms. de Mashhad est fautif à cet endroit.
81. Il s'agit de l'âme appétitive qui inspire le vice. C'est parce qu'il se
trouve dans un endroit impur que Rûzbehân juge être sensible aux attaques de
son âme ici.
82. Bâb al-Safa , l'une des portes de l'enceinte de la Ka'aba, au sud-est, qui
mène à Safa , l'un des endroits importants du pèlerinage de La Mecque.
83. Le fils d'Abraham qui aurait construit la Ka'aba avec son père. A noter
qu'Isma îl est aussi le nom de l'ange qui garde le premier ciel dans les textes
traditionnels. Voir J. Bencheikh, Le Voyage nocturne de Mahomet, Paris,
1988, p. 37, 188 note 15.
84. L'ange qui garde le paradis, voir ici-même note 34.
85. Coran, III = 73 ; V = 54 ; LVII = 21, 29 et LXII = 4.
451 - J’ai vu au cours de certains des
dévoilements un lion jaune immense et remarquable de majesté, revêtu de la
puissance de la magnificence. Il marchait sur le sommet de la montagne Qâf2.
Il dévora tous les prophètes, les envoyés et les saints. Il restait encore dans
sa gueule un peu de leur chair, et du sang en coulait. Il me vint à l’esprit
que si j’avais été là moi-même il m'aurait dévoré comme il les avait dévorés.
Or voici que je me trouvai dans sa gueule et qu’il me mangea. Ceci est une
allusion à la fureur de l’unification et au pouvoir qu’elle exerce sur les
unifiés. Car c’est Dieu qui Se révèle depuis les déterminations de la superbe
de la préétemité sous la forme du lion, et le sens des vérités qui y ont trait
est que le gnostique est une nourriture dont se nourrit la fureur de
l’ignorance dans l’étape mystique de l’anéantissement de soi.
46 - J’ai vu au cours de certains de
mes dévoilements, alors que j’étais assis absorbé dans la vigilance intérieure
pour chasser par les filets de l’invocation des noms de Dieu, les oiseaux du
monde angélique qui volent dans l’univers du monde de majesté. Je m’élevais
dans les formes des opérations théophaniques poussé par le désir de voyager
dans la préétemité, mais il ne m’était pas possible de sortir de la détermination
formelle des opérations théophaniques. Alors je vis Dieu - qu’il soit loué et
exalté - sous la plus belle forme, qui s’éleva soudainement au-dessus de moi en
sortant du monde caché. Je ne pus me maîtriser au point que je me mis à
sangloter et à hurler. Cette forme m’emplit de stupeur. Il me contenta en
m’accordant ce que je voulais, et II attisa encore plus mon désir. On aurait
dit que de Son visage tombaient des roses blanches et II était recouvert d’une
gaze ornée de perles. Il disparut. Puis Il apparut sous une figure plus belle
que la première, jusqu’à ce que je parvienne à lui. Alors II dit en ma
conscience secrète : « Jusqu’où veux-tu avancer? » Je répondis : « Jusqu’à
l’éternité sans commencement et la prééternité. » Il dit : « Et que demandes-tu
? » Je répondis : « Mon anéantissement dans la fureur de la préétemité, car je
ne me satisfais pas de Le voir dans l’équivocité. » Il dit : « C’est un long
voyage. Je viendrai donc avec toi, et je te mettrai sur la voie. » Nous avançâmes
vers ce qui se trouve par-delà le trône, et nous accomplîmes le voyage du
mystère du monde caché. Puis II disparut et m’apparut à nouveau après une
heure, sous l’apparence de l’omnipotence. A cet endroit même je fus anéanti, et
II me traita avec bonté en disant : « Cherche-Moi dans l’étape spirituelle de
l’amour, car l’être créé et ce qu’il contient ne peuvent affronter les assauts
de Ma majesté. » Puis m’apparut une manifestation dont il n’existe pas de plus
belle, et demeura en moi la douceur suave de sa contemplation mais pas ce qu’il
m'accorda ni l’émotion qui m’étreignit. Je demeurais donc dans la station des
griefs et des plaintes à Son égard jusqu’au moment du jour. Et je vis, entre
les deux prières de l’après-midi, une lumière brillant comme une perle mais je
ne compris pas ce que pouvait être cette lumière. Alors Dieu le Très-Haut
dévoila sa main très sainte et il m’apparut clairement que la lumière que
j’avais vue provenait de la majesté de Sa main. Or je ne vis rien d’autre de
Lui que Sa main. Mais j’en tombai éperdument amoureux car elle métamorphose les
esprits, les cœurs et les intelligences. Je n’ai jamais vu plus délicieux que
ce dévoilement. Et je vis l’être créé tout entier comme un atome entre Ses
doigts. Et il me fut donné de lire Sa parole - qu’il soit exalté : « Ils
n’ont point mesuré Dieu à Sa vraie mesure. La terre sera tout entière dans Son
étreinte au jour de la résurrection et les cieux seront pliés par Sa dextre. Il
est plus glorieux et plus élevé que ce qu’ils lui associent3. » Dieu
est plus élevé que ce que se représentent les cœurs des égarés et des
ignorants, et les signes apparents de la forme visible sont les formes des
réalités phénoménales, car, par l’ensemble de Ses attributs, Il dépasse ce que
les opinions et les pensées conscientes peuvent indiquer à Son sujet, et rien
ne ressemble à Son essence, et rien n’est comparable à Ses attributs. Il est en
effet tel qu’il s’est décrit Lui-même par Sa parole - qu’il soit exalté: «Aucune
chose n’est à Sa ressemblance4. »
47 - J’étais assis en pleine nuit
dans sa seconde moitié, occupé à la vigilance intérieure, au voyage des
consciences secrètes dans l’univers des lumières, quêtant la beauté du roi
tout-puissant - que soit exaltée la puissance de Sa superbe. Soudain je Le vis
sur un chemin désolé tel que je ne saurais décrire Sa beauté - qu’il soit
exalté. Il était sous la plus belle forme et je tombai amoureux de Sa beauté et
de Ses attributs.
Je désirais
me rapprocher de Lui et m’unir à Lui. Il s’arrêta non loin. Je m’approchai
doucement, et II m’apparut. Puis II disparut. Il reparut, les côtés gauches de
la prééternité dévoilés. Où sont donc les visages des gens aux beaux visages,
les fiancées du monde angélique, les belles des jardins du paradis ? où sont
donc le visage d’Adam et celui de Joseph5 lorsque apparaît la beauté
des attributs et des gloires de Sa face ? Dieu est en effet au-delà de la
ressemblance et de la comparaison.
48 - Je Le vis sur les routes du
monde caché qui tenait quelque chose dans Sa main. Je demandai : « Mon Dieu,
qu’est-ce que ceci? » Il répondit : « Ton cœur. » Je dis : « Mon cœur possède
donc une demeure qui est ta main ? » Il plia mon cœur qui se trouva être comme
une chose enroulée. Puis II l’étendit et mon cœur recouvrit l’espace qui
s’étend du trône jusqu’à la terre. Je demandai : « Est-ce là mon cœur ? » Il
répondit : « Ceci est ton cœur, et il est plus vaste que l’ensemble de l’être
créé. » Puis II l’emporta dans l’état où il se trouvait dans Sa main vers les
contrées du monde angélique. Je L’accompagnais jusqu’à ce que j’atteigne le
conseil du mystère du monde caché. Je demandai: « Mon Dieu, jusqu’où
l’emmèneras-Tu? » Il répondit : « Jusqu’au monde de la préétemité pour que Je
me contemple en lui, pour susciter en lui les commencements des vérités, et
pour que Je Me révèle à lui pour l’éternité sans fin sous l’aspect de la
divinité. » Je dis : « Je Veux Te voir sous l’aspect qui est le tien dans
l’éternité sans commencement. » Il répondit : « Il n’y a pour toi aucun chemin
qui pourrait t’y conduire. » Je suppliai en disant : « Mais je le veux ! »
Apparurent alors les lumières de la magnificence. Je fus réduit à néant, annihilé.
Les réalités phénoménales ne purent plus faire face à l’orage de la superbe
après cela. Puis un discours se fit entendre dans ma conscience secrète, qui
disait : « Tu connais maintenant la signification de son propos [du Prophète]
Les cœurs sont entre deux des doigts du Compatissant qui les retourne comme II
le veut. » Ce que j’ai vu entre Ses doigts - qu’il soit exalté - c’est la dépouille
des cœurs de Ses amants qu’il retourne depuis ce monde jusqu’aux enceintes de
Sa majesté. Lorsqu’il m’eut quitté, je songeai à ce qui différencie les
demeures de la prééternité. Et ce dévoilement provoqua dans ma conscience
secrète une jubilation immense qui dura jusqu’au moment où il fait clair. Puis
la jubilation provoqua les réalisations intérieures des extases et un instant
sublime, enfin la dissolution de l’état spirituel et la joie au contact de Sa
beauté et de Sa proximité.
49 - Il m’arriva entre les deux
prières de l’après-midi que ma conscience secrète tourne dans le monde du
mystère afin d’obtenir les grandeurs du royaume angélique et les dévoilements
des secrets du monde de majesté. Mes yeux se retournèrent dans le ciel, et ce
fut comme si je voyais les portes du royaume angélique. Une lucarne s’ouvrit
sur l’un de ses cieux. Alors Dieu - gloire à Lui - fondit sur moi sous l'aspect
de la beauté incréée. Une satisfaction parfaite émanait de Lui. Mon esprit
s’envola vers Lui, et Dieu le traita avec bienveillance en lui accordant les
douceurs de l’exultation. Il dit : « De quoi as-tu besoin ? Je suis à toi car
Je suis le créateur de tout ce qui fait subsister. » Puis II me quitta et je
demeurais à goûter le délice de ce dont II m’avait empli. Lorsque je m’éveillai
au cœur de la nuit, Il m’apparut sous l’aspect même sous lequel II S’était
LE
DÉVOILEMENT DES SECRETS manifesté
entre les deux prières de l’après-midi. Puis II s’approcha de moi, et
apparurent les réalités cachées de Sa majesté et de Sa beauté. Il m’arracha de
la porte de la condition créaturelle, et me fit voler dans l’atmosphère de
l’ipséité. Pour ce qui suit, je ne saurai décrire mon état car, après cela, il
y a l’étape des extases, des réalisations intérieures et du discours, or ses secrets
ne peuvent être enfermés dans des expressions claires.
506 - Un jour il arriva que quelqu’un me
convie la veille à une réunion, après la dernière prière du soir, au cours de
laquelle se déroula un concert spirituel. Or le chanteur déclama ces vers7
:
Apparaît-on au matin du rouge au coin des yeux alors
que les narines des outres à vin n’ont pas saigné ?
Échanson, soulage les âmes dont les angoisses sont
montées jusqu’aux clavicules.
Les extases et les plus subtils des entretiens et des
amabilités me submergèrent venant de l’étape de l’exultation. Or il n’y a là
rien d’autre qu’intuition, extase, quelques éclosions de lumière et
illuminations, ainsi que des instants sublimes et la conjonction de ce discours
avec les secrets. Lorsque je m’apaisai, je sortis et je passai la nuit
jusqu’au matin. Je songeais à ces états jusqu’à ce que la nuit fût venue8,
et je me consacrais à prier durant le temps qui sépare les deux prières du
soir. Je me dis en moi-même : « Comment se fait-il que les merveilles du monde caché
ne se soient pas dévoilées lors du concert spirituel la nuit précédente ? »
Soudain je vis Dieu - qu’il soit loué et exalté - à travers les lucarnes du
royaume angélique s’élever au-dessus de moi sous l’aspect de la beauté et de la
majesté. Je
dis sous
l’emprise des conditions de l’exultation : « Où étais-Tu lorsque je fus anéanti
dans l’audition? » Le Très-Haut me répondit : « J’étais avec toi sous cet
aspect même dans lequel tu Me vois. » Je poussai un grand cri et je hurlai. Ma
conscience secrète, mon intelligence et mon cœur se calmèrent. Je demandai : «
Mon Dieu ! pourquoi alors ne T’ai-je pas vu là ? » Il répondit : « J'étais
derrière toi, et au-dessus de toi, et je te voyais, et à ta gauche, et à ta
droite, sous cette apparence. » Ce fut comme si j’étais à nouveau à ce moment
et comme si je Le voyais tel qu’il s’était décrit et se montrait. Lorsque la
moitié de la nuit fut passée, je me levai et je Le cherchai sous l’aspect de la
divinité prééternelle dénuée de l’équivocité des attributs dans les opérations
théophaniques. Je suppliais pour obtenir ceci. Alors m’apparurent les lumières
de l’essence et des attributs dans l’univers de la préétemité, qui semblaient
comme des océans qui s’élèveraient l’un au-dessus de l’autre. Alors je vis
splendeur sur splendeur, majesté sur majesté, éclat sur éclat. Et je vis
l’océan de la sainteté qui se montrait entièrement sous la détermination de la
satisfaction et l’on aurait dit que ces lumières riaient dans mon visage. Je
compris alors que cela était la station du rire. Ma conscience secrète
s’apaisa ainsi que mon instant, et m’apparurent les commencements de
l’unification. Mais demeuraient en moi les vestiges du monde des opérations
théophaniques, alors je demandai : « Mon Dieu ! conduis-moi jusqu’à Toi par l’abstraction
de l’unification. » Le monde de l’être créé m’apparut ressemblant à la pleine
lune lorsqu’elle s’élève rapidement de la cime de la montagne, ou aux rayons de
flammes ardentes qui ne font pas de fumée. Dieu le Très-Haut me fit entrer dans
cet univers. J’arrachai la peau des instruments des déterminations formelles,
mais je ne pus pas m’en affranchir complètement car cette station est la
station de la sainteté, de l’abstraction et de l’anéantissement de soi. La
vérité des vérités m’apparut là dans son évidence si bien que ma conscience
secrète en fut consumée. On me dit : « Voilà le monde de l’unicité que J’ai
annoncé dans Mon livre “Rien n’est à Sa ressemblance9.” »
Puis Dieu le Très- Haut m’apparut sous les déterminations de la beauté. Et je vis
entre quelques montagnes, là même où s’élevaient les lumières de l’étoile des
opérations théophaniques qui sont le miroir de l’épiphanie de l’essence et des
attributs, Abraham qui recherchait Dieu et disait : « Voici mon seigneur10.
» Je vis un vieillard vénérable descendre de la montagne. Ses yeux étaient
incandescents et empreints de grandeur, ses cheveux blancs comme la neige. Je
compris qu’il s’agissait de Moïse qui descendait du mont Sinaï. Puis j’essayai
de donner une explication à mon extase et à mon état. Je pensai aux anges et au
monde du plérome angélique [qui apparurent] pendant la durée de mon état et ce
monde se dévoila à moi. Je vis siéger les anges d’esprit, les anges de
souveraineté, les anges de sainteté, les anges de majesté et les anges de
beauté. Ils portaient des vêtements de jeunes mariées plus beaux que je n’en
avais jamais vu. Je vis devant moi les deux anges, « les nobles scribes11
», qui semblaient amoureux et follement épris de moi. On aurait dit deux jeunes
adolescents ravissants qui paraissaient comme ivres, prudents et craintifs.
Je vis Gabriel siéger au premier rang de leur assemblée pareil à une fiancée,
pareil à la lune parmi les étoiles. Il portait deux nattes comme celles
qu’arborent les femmes, longues. Il était vêtu d’un habit rouge orné de
broderies vertes. Il pleura à cause de moi et du désir qu’il éprouvait pour
moi. Il en fut de même pour l’ensemble des anges que ma vue remplissait de bonheur,
comme s’ils éprouvaient un désir extrême pour moi et se réjouissaient de mon
état.
51 - Puis je vis ce que je vis des
aspects de la beauté et de la majesté tels que les créatures ne pourraient supporter
de l’entendre raconter. J’atteignis un univers où cent mille trônes sont plus
petits qu’un atome. Et je n’ai rien vu d’autre en cela que puissance et
munificence. Lorsque j’en sortis, je vis au-dessus de tout une maison
spacieuse. Je vis les gens de ma famille assis à me décrire et à déclamer de la
poésie. Il régnait une joie comparable à celle d’une première entrevue. Je vis
toutes mes femmes assises dans la gaieté. Je vis là mes enfants et un groupe de
gens. Puis je vis ma mère qui était une femme sage et éprise de Dieu. Elle
rentra la tête dans la maison de ma famille et dit en dialecte fasawî12
: « Hî li’l-Lâh wâlû. », dont le sens est : « Il n’y a pas de divinité
si ce n’est Dieu. » Et elles évoquèrent les repas de fête. Puis je vis mon père
chevauchant un cheval roux. Il portait un vêtement de soie, et sur sa tête
était un turban d’étoffe fine. L’accompagnaient les anges qui venaient de
rendre visite à Dieu le Très-Haut. C’était un homme pieux, épris de Dieu - et
Dieu a ses amis -, qui pleurait beaucoup et était très sensible13.
52 - J’ai eu une vision au milieu de
la nuit précédente, après m’être installé sur le tapis du service de Dieu et
recherchant la manifestation des fiancées du monde caché, lorsque ma conscience
secrète s’envola dans les contrées du monde angélique. Je vis à plusieurs reprises
la majesté de Dieu dans la station de l'équivocité sous l’apparence de la beauté
créaturelle. Mon cœur ne put se contenter de cela jusqu’à ce qu’en vienne le
dévoilement de la majesté éternelle qui consume les consciences et les pensées.
Alors je vis un visage plus vaste que les cieux, la terre, le trône et le
piédestal réunis, d’où effusaient les lumières de la splendeur. Or, bien qu’il
transcende les ressemblances et les comparaisons, j’ai vu Sa splendeur - qu’il
soit exalté - de la couleur de la rose rouge. Mais c’était monde après monde,
comme si des roses rouges effusaient de Lui, sans que je puisse en voir la fin.
Alors mon cœur se souvint du propos [du Prophète] : « La rose rouge émane de
la splendeur de Dieu le Très-Haut. » Et cela dépend de la capacité de
représentation de mon intelligence. Mais si, à cet instant, j’avais été pourvu
d’un des yeux de la sainteté, je L’aurais vu de la manière même dont on Le
verra au jour de la résurrection, si Dieu le Très- Haut le veut, par l’œil
externe sous la qualification de la préétemité, de la splendeur et de
l’antériorité éternelle qui est pure de toute ressemblance avec les phénomènes.
53 - Une fois j’étais assis en
pleine nuit, et cela faisait longtemps que je demeurais dans la vigilance mais
je ne voyais rien, et aucune porte du royaume angélique ne s’ouvrit à moi.
J’étais stupéfait. Ma poitrine se comprima à cause de l’absence, et je me
sentais oppressé. Une pensée survint dans mon cœur : « Où es-tu lors de la
descente de Dieu? C’est l’instant de la descente. » Alors je vis Dieu - qu’il
soit loué et exalté - sous la qualification de la préétemité apparaître des
tréfonds de l'éternité sans commencement. Je criai. Je fus frappé de stupeur.
Je fus submergé par l’extase. Le sang de mon cœur s’envola jusqu’à ma tête, et
je Le vis sous l’aspect de la vénération, de la magnificence, de la superbe, de
la majesté et de la beauté jusqu’à ce qu’il soit proche du trône et du
piédestal. Il répandit la clarté de Sa majesté sur le trône, le piédestal, et
les cieux tous ensemble. Puis II approcha du septième ciel et les anges se
prosternèrent devant Lui. Puis II s’arrêta jusqu’à ce que soit passé un certain
temps, et fit de même dans chaque ciel jusqu’à ce que Sa bénédiction parvienne
au ciel du bas monde. Et la lumière de Sa munificence enveloppa toute chose.
Une heure passa. Il me dit : « Ô seigneur Rûzbehân ! » Il étendit sur moi
l’exultation par Sa majesté, et II dit : « Qui est donc celui qui doute que Moi
Je sois Dieu ? » Puis II dit : « Te reste-t-il quelque doute que Je Me sois
dévoilé pour toi et que Je t’ai choisi par cette station ? Il n’en existe pas
d’image qui vienne des dispositions des entretiens nocturnes. » Puis Sa lumière
parut dans les régions de la terre, et je vis la totalité de la terre être une
image équivoque. J’ai vu Dieu le Très-Haut Se manifester de [la montagne] Qâf à
[la montagne] Qâf. Puis II Se révéla à partir de [la montagne] Qâf et de
l’ensemble des montagnes. Puis Il Se révéla à partir du mont Sinaï. Il Se
révéla sous l’aspect de l’équivocité jusqu’à ce que furent passées plusieurs
heures. Puis II me fit hériter ces stations en premier en tant qu’amour
accompagné de l’affirmation de l’unicité et de l’ignorance dans la
connaissance, et en second lieu l’amour accompagné de la connaissance. Il me
témoigna Sa faveur en me révélant les beautés des attributs et me dit: «Voilà
ce qu’est ma descente. » Les phénomènes ne peuvent subsister sous les pas de la
fureur de la préétemité. D’où descend-il ? dans quelle direction descend-il ?
[Comment le dire] alors que les êtres disparaissent tous sous la lumière de Sa
superbe, et qu’ils sont comme le plus petit grain de moutarde attrapé par le
maillet de Sa magnificence. Puis II dit : « Retourne dans le monde de la
prééternité. » Et le moment du secret revint. Puis je Le vis. C’était comme
s’il disparaissait morceau par morceau, jusqu’au moment où je Le vis qui se
trouvait au-dessus de toute chose comme la graine la plus petite. Puis elle
diminua de plus en plus. Mais mon regard ne pouvait s’arrêter de Le contempler.
Puis II m’apparut et c’était comme si je voyais un tapis étendu sur l’enveloppe
de la graine. Mais à côté de Lui il n’y avait ni Mustafâ, ni Moïse, ni Adam, ni
Noé, ni Abraham. Je vis l’ensemble des prophètes. Je me tenais debout devant
eux. Ils étaient tous en train de danser sous l’effet de l’extase14.
Ils étaient soulevés par le désir, et ils parlaient sous l’effet de la stupeur.
Je me trouvais comme un bel adolescent entre eux et Dieu. [L’extase, NdA]
s’empara totalement de Mustafâ et de Moïse, si bien que Mustafâ fut dépouillé
de ses vêtements sous l’effet du désir, et je n’ai jamais rien vu de tel chez
d’autres prophètes. Puis je vis au-dessus de moi une atmosphère de lumière
blanche du haut de laquelle tombaient des perles fines. Elles émanaient de la
beauté de Dieu, et tombaient sur moi, mais on ne peut enfermer cela dans des
expressions claires car les intelligences ne peuvent l’expliquer. Puis ce
monde disparut de ma vue. Et je fus occupé par les qualifications des instants.
Quant à ce que j’ai oublié dans ces dévoilements, si les deux mondes des génies
et des hommes en voyaient ne serait-ce qu’un atome, ils fondraient sous l’effet
de Ses gloires. En effet, Dieu est au-dessus de toute description car elle ne
peut convenir à l’excellence de Sa munificence.
54 - Dans la station de l’humilité,
je vis mon âme anéantie et je dis : « Je suis la plus petite de Tes créatures,
je suis Ton serviteur, le fils de Ton serviteur. » Alors les assauts de
l’affirmation de l’unicité et de la magnificence s’abattirent sur mon cœur. Il
dit : « Qui es-tu pour prétendre être mon serviteur? » J’eus honte envers Dieu
le Très-Haut à cause de mes paroles, et je dis : « Par quel attribut pourrai-je
confesser [l’unité] quand dans Ton royaume je suis une chose parmi les choses ?
» Il répondit : « Tu ne seras pas un confesseur de l’unité tant que seront
loués et ton âme et ce qui du trône jusqu’à la terre est autre que moi15.
» Je demeurai dans un voile immense, étourdi, incapable de prononcer un mot.
Soudain me vint à l’esprit une partie de Son invocation. Il me fit connaître
mon anéantissement en Lui et mon désir pour Lui. Il m’apparut clairement dans
les déserts arides du monde caché, et II fit allusion à Lui-même pour moi en
disant : « Je suis à toi. » Je fus ravi par l’extase et mon cœur se réjouit.
Puis il approcha sous la belle apparence propre aux Turcs16. Mon âme
et mon cœur s’évanouirent dans Sa grâce et Sa beauté. Il approcha de moi et dit
: « Ici, ta poitrine ne se sent pas oppressée par la confession de l’unité car,
à cet endroit même, elle est une ruse. Tu es en effet Mon témoin tandis que Je
suis revêtu de l’aspect de la grâce et de la beauté. » Puis II m’apparut de
tous les côtés à la fois avec les couleurs du vêtement de la beauté. La
passion, le désir et l’amour s’emparèrent de moi au point que je découvris que
mon âme avait fondu sous l'effet de la douceur de mon état. Si je décrivais ne
serait-ce qu’une partie des vérités occultes des attributs que j’ai perçus de
Lui, les vérités de la condition seigneuriale rempliraient complètement le
monde. C’est là la station des amants qui ont bu les océans de l’unification
dans les premières connaissances mystiques. Et l’autre c’est être sur la
profonde mer de la superbe dont la houle fait des adeptes de la connaissance et
de l’amour les héritiers des ignorances des vérités. Ce sont ceux à qui,
lorsqu’ils sont dans la station de l’anéantissement de soi, ne reste aucun œil
qu’il ne soit effacé, aucun cœur qu’il ne soit oublié, aucune intelligence
qu’elle ne soit annihilée, aucune conscience secrète qu’elle ne soit dispersée.
Gloire à celui qui transcende l’allusion de tous ceux qui le désignent, et
l’expression claire de tous ceux qui le définissent.
55 - Je recherchais Dieu dans le
monde caché. Or chaque fois que je le cherchais survenait quelque réalité ou
représentation imaginaire. Je demandai l’aide de Dieu contre cela, si bien
qu’il me fit pénétrer le sens de Sa douceur, et qu’il fit sortir ma conscience
secrète des contrées de l’être. Je parvins à l’océan de l’amour qui était plus
vaste que l’univers. Puis je traversai cela jusqu’à ce que j’arrive à l’océan
de la connaissance. Je le traversai et j’arrivai à l’océan de l’unification. Je
le franchis si bien que je parvins à l’océan de l’ignorance et de la
magnificence. Je le franchis à son tour et j’arrivai à l’océan des attributs.
Puis j’atteignis l’océan de l’essence. Je fut frappé de stupeur en m’apercevant
de l’absence de la vérité de Dieu. Je restai tranquille quelques heures. Alors
II Se manifesta à moi sous l’aspect de la majesté et de la beauté, et tout ce
que je pus voir était une goutte d’eau dans la mer en comparaison de Sa
majesté. Ses faveurs me soulevèrent jusqu’à l’extase et l’état spirituel, et
je restai là des heures. Puis II disparut de ma vue. Je m’éveillai alors. Or
après que je me fus réveillé comme à mon habitude, voilà que ma poitrine fut
oppressée pour cette raison même.
56 - Lorsque j’en eus fini, je
m’assis, occupé à la vigilance intérieure. Je méditais et je me disais : « Mon
instant est passé », lorsque mon cœur se mit à tourner dans le monde caché à la
recherche des états, des extases, du dévoilement et du discours. Soudain, je
vis Dieu - gloire à Lui - sous la détermination de la grâce et de la beauté, et
Sa splendeur répandait des roses rouges - que Sa gloire soit exaltée. Je
poussai un cri et je demeurai plusieurs heures plongé dans l’extase. Puis il
disparut de ma vue. Ma conscience secrète voyagea dans le monde du royaume
angélique jusqu’à ce qu’elle rompe avec les phénomènes et qu’elle atteigne le
voisinage auguste de la magnificence. Mais la beauté de Dieu - gloire à Lui -
ne se dévoila pas à elle. J’étais animé par la perfection du désir de Dieu le
Très-Haut. Tout enfant appartient à son père par le sein de sa mère. Puis ma
conscience secrète s’arrêta. Puis j’implorai humblement, parlant sous l’emprise
de l’exultation. Puis le désir et l’amour dominèrent car ils conduisent
l’action des amants. Puis je dis ce que je dis par une parole qui succède à
l’exultation et à la pétulance. Puis m’apparurent les premières lueurs des
aurores des attributs. Et, quand apparurent les degrés des décrets qui
régissent les phénomènes, je ne vis rien des changements qui affectent les
phénomènes qu’ils ne soient anéantis aussitôt. Puis ce fut comme c’était. Puis
II dit - gloire à Lui : « Que le trône et le piédestal disparaissent. » Et ils
disparurent tous les deux. Puis II dit [la même chose] au paradis, au feu de
l’enfer, aux cieux et à la terre. Puis II dit à Ridwân : « Les hôtes du
paradis auront ce jour-là le plus beau séjour et la meilleure halte17
», voulant ainsi décrire leur station. Le monde de l’auguste voisinage me fut
dévoilé. Je vis une chose plus belle encore. J’y vis les anges, les prophètes,
les Houris aux beaux yeux et les palais. Tout ceci était empli des lumières de
Dieu - gloire à Lui. Je vis au milieu des arbres du jardin [du paradis] un
arbre turquoise qui ressemblait au palmier18. Il était incliné sur
l’herbe humide et parlait. Si cet arbre apparaissait avec sa grâce et sa beauté
aux habitants du bas monde, ils en mourraient tous de désir.
57 - Puis je vis mon épouse dans
l’un des jardins, devant Dieu - gloire à Lui - alors qu’elle Le quittait. Je
vis les qualités de Dieu - gloire à Lui - sous l’aspect de Turcs. Puis je vis
mon épouse dans l’une quelconque des chambres du paradis devant Dieu, et ces
chambres étaient de jacinthe rouge. Ma femme était assise auprès de Dieu au
bout d’une banquette comme si elle était en train de m’attendre. Puis
j’entendis, venant du monde caché, Sa parole, le Très-Haut : « Et ceux qui
furent vertueux parmi leurs pères et leurs épouses19. » Je
réfléchis sur ce discours, puis me revint à l'esprit le début du verset où le
Très-Haut dit : « Les jardins d’Eden où ils entreront ainsi que ceux qui
furent vertueux parmi leurs pères et leurs épouses et leur descendance20.
» Je compris que cela était une bonne nouvelle qui m’était adressée, et je
m’assis à l’aube à contempler le lever de l’étemelle aurore.
58 - Sur ces entrefaites me fut
représenté dans mon cœur le souvenir de la vision par l’œil qui se produit dans
la station de l’équivocité. Je me souciais alors d’isoler la préétemité des
réalités phénoménales. Dieu m’apparut dans l’assemblée de la sainteté. Il avait
revêtu, le Très-Haut, la forme d’une gracieuse beauté telle qu’elle suscite
l’inclination de Ses amants. Il approcha de moi et dit : « Allons ! il n’y a là
rien qui doive préoccuper ton esprit », comme s’il Lui répugnait, le
Très-Haut, que je me soucie de maintenir Sa transcendance à l’égard des
représentations imaginaires. Puis II adoucit mon cœur en Se manifestant sous
une forme qui correspondait au secret de mon amour. Je demeurai dans l’extase
et l’état mystique jusqu’à l’aube, à soupirer et à verser des torrents de
larmes. Puis II Se montra chaque heure revêtu d’un autre attribut des
caractères des lumières de la préétemité. Puis II disparut de ma vue. Et
revint dans mon cœur le souvenir de la prédication et du sermon que je faisais
du haut des chaires. Et II dit : « Mon secret est bien ce que tu as prêché
depuis longtemps pour servir de guidance aux créatures et être Mon annonce des
belles faveurs qu’ils recevront de Dieu - gloire à Lui. »
59 - J’ai vu la présence emplie des
anges très proches siégeant sous les dais de la gloire. Je vis Dieu - gloire à
Lui - tandis que l’ensemble des prophètes et des envoyés attendaient assis sur
la chaire. Lorsque je m’assis [en haut de la chaire] et que je mentionnais les
mots de la reconnaissance mutuelle, les anges pleurèrent ; et de même les
prophètes. Il écouta - gloire à Lui. Apparut une lumière de satisfaction
émanant de Sa personne comme s’il était en accord avec eux. Dieu est élevé. Il
dit : « Il en sera ainsi au jour de la résurrection. » Ô mon fils, celui qui
soupçonnerait ces dévoilements de n’être que des affabulations destinées à
jeter dans l’anthropomorphisme, celui-là n’atteindra certes pas l’union, et
n’obtiendra rien quand bien même il respirerait le parfum des arômes de la
sainteté et de l’intimité, car ce sont là des expériences de la réalité
sainte, des préceptes de la réalité de gloire et des stations qui appartiennent
aux adeptes de la négation d’entre les gens du terme21. Les gens de
la théophanie, quant à eux, savent bien que ce sont là des prescriptions de la
souveraineté, et l’émergence des lumières de la prééternité et les
déterminations individuées des attributs qui se produisent par l’intermédiaire
des opérations théophaniques.
60 - J’attendis le lever du matin de
l’union. Une heure passa ainsi. J’eus un dévoilement. C’était comme si je me
trouvais sous la montagne Qâf. Je vis le joyau de la faveur. Dieu arriva de derrière
elle, et le monde apparut. Je vis la montagne Qâf, et la terre qui s’était unie
à elle resplendissant de la lumière de Sa majesté et de Sa beauté. Ses
attributs et Son essence parurent si bien que la terre trembla et que les
montagnes furent aplaties. Et j’en éprouvai une immense frayeur. Je m’éveillai.
Plus de la moitié de la nuit passa et rien ne me fut donné à voir du monde du
royaume angélique si ce n’est quelques réalisations intérieures. Mais lorsque
arriva le moment de l’appel à la prière, je vis Dieu - gloire à Lui - venir à
moi du côté de la constellation de l’Ourse. Il vint à ma rencontre jusqu’à ce
que je sois réuni avec Lui. Puis je Le vis comme s’il venait du monde caché. La
constellation de l’Ourse était comme sept chambres. Ces chambres
m’apparaissaient depuis le monde caché. Je Le vis. Il apparut depuis leurs sept
lucarnes, et II Se trouva auprès de moi sous un aspect qui inspire la révérence
et le respect. Puis je vis un grand nombre de gens qui venaient du côté de
Médine. Lorsque je les vis, je vis l’ensemble des prophètes, des envoyés, des
anges et des saints. Le Prophète se trouvait au milieu des prophètes et des
envoyés. Devant lui il y avait ses compagnons, et devant les prophètes il y
avait les maîtres soufis. Je vis parmi eux al-Sarî al-Saqatî22, qui
était le plus grand d’entre eux, comme un chambellan. Il portait la robe
d’apparat des princes et un
manteau de
soie bleue. Sa tête était coiffée d’un bonnet richement orné. Il tenait à la
main un arc armé d’une flèche avec laquelle il écartait les gens de devant les
prophètes. C’était le chambellan de notre Prophète. Ils vinrent tous
ensemble. Alors le Prophète se tint sous ces chambres accompagné de toutes ces
personnes et leva la main comme pour intercéder auprès de Dieu le Très- Haut.
61 - Je Le vis après la moitié de la
nuit comme s’il apparaissait dans mille beautés parmi lesquelles je vis la
splendeur de l’auguste image, car « Il possède l’image auguste [dans les
cieux et la terre]. Il est le Puissant et le Sage »23. On aurait
dit la splendeur des roses rouges. Or c’est là une image, et Dieu a averti de
prendre garde qu’il ait une image : «Il n’y a rien qui soit à Sa ressemblance24.
» Mais je ne saurais Le décrire sans recourir à une expression intelligible.
Cette description ne provient donc que de ma faiblesse, de mon impuissance et
du peu de compréhension que j’ai à saisir les déterminations de la préétemité.
Dans les vallées de l’éternité sans commencement sont des déserts arides et des
étendues désolées dans lesquels tournent les dragons des réalités de fureur. Si
l’un d’entre eux ouvrait la bouche il avalerait d’un coup les êtres et les
phénomènes tout entiers. Qu’il prenne garde celui qui décrit le Puissant
préétemel ! que l’ensemble des esprits et des consciences secrètes se sont
noyés dans les océans de l’unicité et qu’ils se sont abîmés dans les gloires de
Sa magnificence et de Sa superbe.
62 - Je fus en Sa compagnie dans
mille des assemblées de l’exultation. Et II fut avec moi dans mille
assemblées, me témoignant de la bienveillance jusqu’à m’enflammer d’amour pour
Sa grâce et Sa beauté. Et cette douceur demeura en moi. Puis je Le vis. Il apparut
alors que j’étais préoccupé à cause de l’un de mes enfants. C’était comme s’il
S’approchait de Lui, qu’il le soulevait et qu’il lui prodiguait Sa faveur. Il
dit : « Voici mon lieutenant. » Puis II le revêtit de la robe d’honneur des
grands. Puis II S’immobilisa, et il y avait avec Lui les anges rapprochés. Puis
II me fit tournoyer dans les sphères célestes jusqu’à ce qu’il m’eût emmené
tout près du seuil de la superbe. Lorsque je regardai dans le monde de la
superbe, je ne vis rien d’autre dans ces mondes que lumières chatoyantes et
brillantes telles que je ne pouvais les regarder tant les éclairs des lumières
de la superbe étaient forts. Je vis un monde blanc dans lequel se trouvaient
les mines originelles. Et ceci est la présence du Puissant - que soit exaltée
Sa majesté. Je la vis vide de toute créature. Là, je vis Dieu - gloire à Lui -
qui venait vers moi comme s’il voulait me faire voir Sa personne et me
prodiguer Ses faveurs. Lorsque je Le vis, ma conscience secrète bouillonna sous
l’effet des désirs qu’elle éprouvait pour Lui. Mais je ne pus venir auprès de
Lui à cause de Son immense majesté. Je demeurai une heure. Puis je [Le] vis
dans le monde de la prééternité sous la détermination de la superbe et des
gloires. Puis je Le vis sous la forme d’Adam, et dans mon cœur me revint à
l’esprit le secret de l’affirmation de l’unicité. Il fit apparaître Sa main. Je
vis dans Sa main ce qui ressemblait à une petite fourmi. Mais je ne compris pas
ce que c’était. Il dit : « Ceci est le trône, le piédestal, les cieux, la
terre, les pléiades, et le paradis. » Puis II m’inspira Sa parole, le Très-Haut
: « Ils n’ont pas mesuré Dieu à Sa vraie mesure. Car au jour de la
résurrection la terre sera tout entière une poignée en Sa main et les cieux
seront ployés en Sa dextre. Qu’Il est glorieux25. » Je me
souvins du propos du Prophète: « L’être créé est dans les deux poignées du
Compatissant plus petit qu'un grain de moutarde26. » Puis II m’apparut
sous l’aspect de la beauté et de la majesté. Puis II m’abandonna dans la
station de l’amour en disparaissant. Lorsque je m’assis dans la station de la
vigilance intérieure pour chasser les oiseaux des mondes cachés, je vis Dieu -
qu’il soit loué et exalté - entre le trône et le piédestal d’une beauté et
d’une majesté telles que l’on ne saurait les décrire. Le trône et le piédestal
étaient comme deux trésors dont les portes auraient été ouvertes. Puis II les
referma, car ce sont tous deux les lieux où sont déposés les secrets destinés à
l’une des beautés de Ses attributs. Il dit, parlant la langue de la préétemité
: « Ceci n’est-il pas à toi ? et n’est-ce pas là ton présent ? », jusqu’à ce
qu’il ait ravi mon cœur par les finesses de Son œuvre dans le dévoilement de Sa
beauté et de Sa majesté et qu’il m’ait transformé à l'image des fous par la
domination de la stupeur. Mon désir pour Lui augmenta. Je jouis de Sa beauté et
II m'entoura de prévenances. Des heures passèrent ainsi. Puis II disparut.
Puis II fit apparaître les chambres nuptiales de l’intimité. Il me fit
tournoyer dans les voiles de la majesté au sein de la demeure de la majesté. Je
Le vis au milieu de toutes Ses chambres nuptiales et de tous les voiles. Je vis
les assemblées de l’intimité dans ces chambres27. Je m’assis sur
tous les tapis et II me révéla Sa personne sous le plus bel aspect. Il me versa
à boire les breuvages des proximités. On aurait dit que j’étais dans ce lieu
comme une jeune mariée se tenant devant Dieu - gloire à Lui. Ce qui se passa
ensuite ne peut être traduit par des expressions claires. Gloire à Celui qui
est affranchi de l’allusion de tout négationniste28 et de la
description de tout anthropomorphiste.
63 - Quant à moi, je L’ai vu dans
soixante-dix mille stations d’entre les stations des dévoilements. Puis je
revins à mes propres attributs si bien que ce qu’il me resta de la science de
Ses attributs et de la connaissance de Son essence est plus petit encore qu’un
grain de moutarde. Car si mon esprit, mon intelligence et mon cœur sont dans
les océans de la connaissance, de l’ignorance, de la sainteté, de la
transcendance, de la prééternité et de la permanence par la détermination de
la stupeur, c’est soumis aux devoirs de l’anéantissement de soi. Gloire à Lui
qui fait voir Sa personne au peu de sagacité de leur recherche d’une manière
qui convienne à leurs natures. Il transcende le changement par Sa solitude, et
la nature créée ne peut en parcourir la circonférence. Je contemplais Dieu -
gloire à Lui - et j’attendais les dévoilements des attributs et des lumières
de l’essence. Alors Dieu apparut à mon cœur - gloire à Lui - revêtu d’un visage
préétemel sans comment. C’était comme si je Le regardais par l’œil externe. Le
monde caché chatoyait sous l’effet de l’apparition de Sa splendeur. Puis II
disparut, et reparut plusieurs fois.
64 - Je vis une lumière immense du
côté de Médine, qui avait envahi le quart du ciel et de la terre qui étaient
unis à la lumière. Lorsque je vis cela, je compris que cette lumière était la
lumière de Mustafâ qui se trouvait au milieu de la lumière de la révérence. Je
ne pouvais la regarder du fait de l’empire de Sa majesté et de Sa révérence. Je
vis devant la lumière l’un de mes compagnons qui faisait l’appel à la prière.
Il avait un corps immense, et il inspirait un respect et une vénération
immenses. Puis je vis Adam, Moïse et l’ensemble des prophètes, qui faisaient
l’appel à la prière en face de la lumière de Mustafâ, et me recommandaient la
présence. Lorsque Mustafâ arriva à la station bénie, j'entendis Dieu - gloire à
Lui - dire soudain : « Ô Muhammad! Confesse l’unique! Confesse l'unique! » Et
II faisait allusion par cela à Son unicité, et à la disparition de tout ce qui
n'est pas Sa munificence. Une heure passa. Puis je vis Mustafâ dans une chambre
de la présence. Il était assis, et il était comme la rose rouge. L’éclat de la
rose rouge émanait de son visage. Les mèches de ses cheveux étaient dévoilées.
Dieu le Très-Haut apparaissait à travers son apparence. Puis il m’appela en
employant mon nom en ces termes : « Ô Rûzbehân ! » La lumière de Sa superbe et
les gloires de Sa face - qu’il soit exalté - consuma toutes les créatures qui
se trouvaient sur cent mille fois cent mille para- sanges. Et nul ne put
L’atteindre. Ceci fait allusion aux assauts de Sa majesté qui sont tels que les
créatures disparaissent dès les premiers moments de leur manifestation. Puis
Dieu le Très-Haut me fit approcher de Lui. Il m’accorda d’entrer dans la pierre
de l’union. Et j’étais comme l’enfant dans le sein de sa mère. Il m’entoura des
égards que l’aimé a envers l’amant. Puis la houle des océans de l’unicité me
saisit et Sa superbe immense m’anéantit. Le Très-Haut dit: «Me voici! N’aie pas
de doute à Mon sujet ! Je suis le Munificent, le Puissant, ton Dieu et le Dieu
de toute la création. Tu t’inquiètes de la représentation qui t’est venue à
l’esprit, mais c’est là une vision de Moi et le dévoilement de Ma majesté qui
te sont réservés. » Puis je me vis dans les pays de Dieu le Très-Haut et dans
les capitales du monde caché. Et, à chaque endroit de la contemplation de Dieu
le Très-Haut, je vis le vêtement de la grâce et de la beauté. Lorsqu’il me fit
tourner dans l’univers des mystères, Il me fit voir ce qu’il me donna à voir.
Puis je vis le paradis et ce qu’il contient, les belles Houris, les châteaux,
les arbres, les fleuves, les lumières, les prophètes, les saints et les anges.
Je vis la belle stature de Dieu comme si elle était une lucarne ouverte sur le
monde de la prééternité. Et je vis Dieu - gloire à Lui. Je dis : « Instruis-moi
au sujet du paradis. » Il dit : « Ô gens du paradis ! Je viens soixante-dix
mille fois par jour du monde de la prééternité jusqu’à cette lucarne pour
regarder le paradis par désir de rencontrer Rûzbehân. » Sa face - qu’il soit
exalté - avait l’apparence de la beauté et de la majesté, si bien que le
paradis fut empli de grâce et d’intimité. Je fus moi-même heureux de cela, et
j’éprouvai un tel bonheur que mon cœur aurait pu s’envoler avec ma forme
corporelle. Je vis s’emparer de moi les extases issues des plus subtiles
réalisations intérieures du monde caché. Et ce sont là les commencements des
contemplations. Puis la beauté de Dieu - gloire à Lui - m’apparut sous une
forme gracieuse, tellement proche de moi qu’il ne restait plus entre moi et Lui
ni voile ni éloignement. Dans la condition de l’amour, Il me révéla quelque
chose de la beauté de Ses attributs qui emporta ma tranquillité et ma quiétude.
Il me conserva dans la station de l’intimité et la quiétude de l’esprit. Un
moment s’écoula, qui dura la seconde moitié de la nuit, et j’étais entre le
sommeil et la veille. Il m’apparut dans un monde empli des gemmes de la
sainteté. Il était - le Très-Haut - parmi ces gemmes revêtu de la forme d’Adam.
Il portait un habit de fine gaze. Il me parla et me tint un discours. Il me
prodigua Sa faveur et me plongea dans le sommeil, si bien qu’une heure passa.
Puis je m’éveillai, songeant à mon état. Lorsque j’eus prié deux
prosternations, j’attendis l’apparition des lumières du monde caché et l’émergence
de l’éclat de l’éclair de la préétemité. Je vis Dieu - gloire à Lui - sous
l’aspect même sous lequel je L’avais vu entre le sommeil et la veille comme
s’il se trouvait dans ma maison. Puis II S’approcha de moi jusqu'à ce que je
Le voie clairement. Puis ma conscience récita : « Puis II S’approcha et
demeura suspendu. Et II fut à deux longueurs d’arc ou plus proche29.
» Il me fut donné par cela de connaître une extase, une intimité, une sobriété
et une ivresse. Je demeurais en cet état jusqu’au moment de l’aube. Je fus le
témoin de la contemplation de Son épiphanie qui semblait être comme la rose
rouge. Puis II m’appela et dit : « Est-ce que la fourmi ne se charge pas de
porter les fardeaux de Mes secrets ? » Il voulait dire par là que les cœurs des
fourmis sont emplis des subtilités de Ses secrets. Et c’est là un discours qui
contient l’apparition des réalités de fureur, de la superbe et de la
magnificence.
65 - J’étais en quête de Dieu -
gloire à Lui - après que se furent écoulées sur moi les dispositions des
extases qui ne sont pas causées autrement que par le désir et l’excitation. Et
c’est là ce qui est acquis par la fine pointe des consciences secrètes à partir
de l'observation des lumières de la théophanie, car II ne Se montre pas aux
intelligences autrement que par ce qui les éloigne. Les portes du monde caché
s’ouvrirent et je vis des océans comme des perles blanches, tels qu’entre les
deux s’ouvrait un intervalle. Je vis Dieu - gloire à Lui - par-dessus
l’intervalle d’une grâce et d’une beauté parfaites. Il tourna Son visage vers
moi avec bonté et bienveillance. Je demeurai là plusieurs heures en proie à
l’extase et au dévoilement. Puis ce fut dans une contrée immense qui se nomme
le Pays de Dieu le Très-Haut. Je tournai dans ce pays à la recherche de Dieu.
Je ne vis là que des vestiges de Son existence. Mais II ne Se dévoila pas à moi
par un dévoilement destiné à la vision. Puis je vis Dieu le Très-Haut qui
portait l’habit de la majesté. Il m’appela. Puis II s’approcha de moi sous une
apparence dont je n’arrive pas à me souvenir. Je demeurai dans Sa
contemplation comme un enfant amoureux et transi.
66 - Un jour je fus précipité dans
l’océan du désir. Le remous de l’abîme de la superbe m’emporta jusqu’à la
station de la contemplation de la surexistence. Je vis Dieu - gloire à Lui -
qui me dévoila de Sa beauté et de Sa majesté les éclairs des gloires de Sa
face. Je restai à contempler Sa beauté au comble de l’ivresse. Mon esprit fut
presque arraché et mon intelligence presque anéantie ; mon cœur fut près de
s’envoler ; ma conscience secrète fut presque annihilée. Mais mon corps
demeura, en proie à la meilleure réalisation de Sa contemplation. Il avait le
visage tourné vers moi comme s’il - le Très-Haut - manifestait les beautés de
Sa majesté qui ravissaient mon cœur.
67 - Au moment de l’aube il me
sembla voir le monde rempli par Dieu. Je fus dans une absence et une présence
comme si je Le voyais et comme si je ne Le voyais pas. Il vint et m’excita pour
que je danse, et je dansai avec Lui. Je restai en proie à l’instant et à l’état
spirituel jusqu’à ce que je fusse dégrisé. J’étais en effet avant cela dans la
station du désir et de l’excitation. J’étais aussi avant cela préoccupé à cause
d’une perception visionnaire. Il me parla pendant que j’étais sobre. Il me dit
: « De quoi te préoccupes-tu ? Ne t’en soucie pas. » Même s’il est en toute
chose, Dieu est au-dessus de ce que la vérité de Son existence se présente au
cœur de l’une de Ses créatures. Et entre les deux prières du soir il me sembla
voir que j’étais précipité dans la présence. Je vis Ses lumières et le royaume
entièrement déployé du monde angélique. J’épiai les dévoilements de la beauté
de la préétemité. Je vis Dieu - gloire à Lui - sous l’apparence de la majesté
et de la beauté sous les dais de la présence, me faisant face et d’un aspect
que je ne saurais décrire. Après cela je fus précipité dans les océans de
l’unité, à la suite de quoi je Le vis chaque heure à plusieurs reprises revêtu
de beauté, de majesté et de splendeur. Puis la plus grande partie de la nuit
passa, puis je vis le Très-Haut qui venait et venait à ma rencontre depuis le
trône et le piédestal. Il Se révéla de la façon même dont II S’était révélé à
Adam dans le paradis, à Muhammad au lotus de la limite, après la très grande
contemplation. Lorsque je Le vis sous cet aspect, se produisirent en moi des
états semblables aux foudres que produisent les gloires de Sa face. Il ne disparut
pas de ma vue jusqu'à ce que j'aie obtenu de Lui ma complète félicité. Puis II
disparut. Puis II apparut sous l’aspect de ce qu’il est en réalité, d’une
grâce, d’une beauté et d’une majesté parfaites. Il ravit ma quiétude jusqu’à ce
que soit passée une heure. Il me saisit et me fit tournoyer dans les royaumes du
monde caché. Puis II s’en alla de concert avec moi si bien que j’étais avec Lui
sous la qualification de Y être-ensemble. Il me fit pénétrer dans les
voiles du monde caché jusqu'à ce que je visse le monde caché depuis le monde
caché30. Lorsque je repris conscience, un moment passa. Alors je me
vis comme si je me trouvais à Shîrâz. Les portes des cieux s’ouvrirent si bien
que je vis le trône et le piédestal. Je vis le maître Abû 'Abdi’l-Lâh Muhammad
ibn Khafîf ainsi que l’ensemble des maîtres spirituels se dispersant et se
rassemblant comme s’ils attendaient de Dieu qu’il me fasse venir à cet endroit.
Dieu - gloire à Lui - Se révéla à eux tandis qu’ils se trouvaient à ce moment
précis à sangloter, à lancer des cris, à pousser des hurlements, et tout cela de
leur désir pour moi. Puis Il Se révéla à moi d’une façon singulière. Il n’y
avait personne pour s’interposer entre moi et Lui. Il dit : « Tu me vois d’une
distance de trois cent mille ans. » Puis une heure passa. Alors je Le vis, le
Très-Haut, tourné vers le monde caché, et c’était comme s’il me faisait écouter
un concert venant de Lui, que je ne pourrais pas décrire. Je fondis dedans sous
l’effet de sa douceur. Je n’ai jamais ressenti chose plus délicieuse. Puis je
Le vis, le Très- Haut, dans ma maison sous la plus belle forme. Je poussai un
cri et je pleurai. Je fus submergé par les océans de l’imminence. Puis II
s’approcha de moi jusqu’à ce que ne subsiste plus aucune distance entre moi et
Lui. J’étais assis en Sa compagnie. Il me dit : « Je te désire d’un désir
extrême. » Je dis : « Mon Dieu ! mon seigneur ! lorsque sera venu pour moi le
temps de sortir de ce monde prends-moi en personne et fais-moi entrer avec Toi
dans le voile des choses cachées. » Le Très-Haut dit : « Qu’il en soit ainsi !
» Puis je Le quittai. Après cela vint le temps de l’appel à la prière de
l’aube. Grâce soit rendue à Dieu qui m’a élu dans l’éternité sans commencement
à ces marches sublimes. Il est transcendant car Son existence n’est pas
modifiée par le changement qui affecte les phénomènes lorsqu’il manifeste Sa
personne au lieu d’envol de Sa contemplation par chaque qualification qui
correspond à leurs états. Il est tel qu’il est dans l’éternité sans commencement,
si bien que l’on ne saurait faire allusion à Lui en recourant aux qualités
propres à la réalité phénoménale. Je m’étonnai de ce qu’il se manifestât entre
le trône et le piédestal et il me vint à l’esprit en moi-même qu’il transcende
le trône, le piédestal et même le lieu, tous ensemble. Or lorsque me vint cette
pensée, je vis le trône et le piédestal dans la face du Généreux comme s’ils
étaient une poussière ; celle-ci disparut sous l’effet de la vénération
qu’inspire Sa majesté. Ce dont je t'ai parlé, mon ami, c’est le présent offert
aux gnostiques lors de la descente de Dieu. L’aire des attributs est au- dessus
des comparaisons avec les phénomènes.
68 - J’ai vu au cœur de la nuit
après que mon désir de rencontrer Dieu - gloire à Lui - eut atteint la perfection
; j’ai vu donc un jardin dans lequel il y avait des fleuves. Je vis Dieu -
gloire à Lui - assis sur la berge du fleuve, qui avait le visage tourné dans ma
direction. Je vis la joie de la satisfaction dans Sa beauté. J’éprouvais un tel
état de trouble et d’intimité que je ne pouvais me contenir de faire des choses
que fait le bavard enivré qui est submergé par la pétulance et la joie
tapageuses et qui commet des actions d’étrangers. Puis II disparut de ma vue.
Après cela je Le vis debout qui me montrait les beautés des attributs promptes
à ravir mon cœur d’amour. Puis je le vis sur le seuil du monde caché. Sa face
était plus vaste que les sept cieux, les sept climats, le trône et le
piédestal, car « Toute chose périt sauf Sa face31 », le
Très-Haut. Ô mon frère ! cela et tout ce qui y ressemble, nul autre ne les connaît
si ce n’est celui qui est investi de la souveraineté, de la simplicité, de la
majesté, de la sainteté, de la nature angélique et de la nature de gloire. Dieu
le Très-Haut a dit : « Et l’interprétation n’en est connue que de Dieu et
de ceux qui sont enracinés fdans la science]32 », car les
ambiguïtés sont les pures substances propres au seuil de l’amour et quiconque
n’est pas empli d'amour pour la beauté de la prééternité ne peut connaître les
réalités inconnues des attributs dans les opérations théophaniques. Dieu
LE
DÉVOILEMENT DES SECRETS transcende
l’allusion que peut produire tout anthropo- morphiste et négationniste.
69 - Mon cœur entendit des hérauts
du monde caché Sa parole - gloire à Lui : « Par celles qui sont en rangs,
celles qui repoussent vigoureusement, celles qui récitent une invocation33.
» [Je méditai] sur le sens du verset mais je ne compris pas quelle était la
volonté que Dieu le Très-Haut exprimait par ce discours. Je vis la présence
emplie d’anges qui semblaient créés de jacinthe et de rubis, et qui se tenaient
debout en rangs comme les Turcs devant les sultans. Alors je connus la
signification de Sa parole, le Très-Haut: «Par celles qui sont en rangs.
» Puis je vis Dieu - gloire à Lui - qui leur montrait les éclairs de la
majesté, de la beauté, de la splendeur et de la superbe, tels que même si tous
les atomes du trône jusqu’à la terre réunis étaient ma langue je ne pourrais
pas Le décrire, le Très-Haut, à cause de la perfection de Sa beauté et de Sa
grâce. Lorsqu’il Se révéla, ils se mêlèrent les uns aux autres, ils montèrent
les uns sur les autres, ils se firent tomber les uns les autres, et ils se
repoussèrent les uns les autres sous l’empire de leur désir pour Dieu - gloire
à Lui - car ils voulaient être proches de Lui. Je compris alors la
signification de Sa parole : « Celles qui repoussent vigoureusement. »
Lorsqu'ils s’approchèrent de Lui, l’ivresse et le trouble s’emparèrent d’eux,
et c’est la parole de gens ivres qui coula sur leurs langues, du genre de
l’énigme, du paradoxe extatique et de l’expression inconnue, ressemblant à ce
que je dis lors des extases dans l’intimité. Je compris alors la signification
de sa parole : « Celles qui récitent l’invocation. » Et c’est là la
station de la révérence dans l’intimité, de la joie dans l’amour, du désir dans
la douce union. Lorsqu’une heure fut passée, survint dans
mon cœur le
souvenir de la descente. Alors je vis Dieu - gloire à Lui - sous l’aspect de
l’équivocité, de la grâce et de la beauté, assis sur la terrasse de mon couvent
à Shîrâz. Je me trouvais en face de Lui en proie à l’émotion. Avec cela vint
dans mon cœur la pensée du secret de l’affirmation de l’unicité, les vérités de
l’individualité, et la sainteté de la munificence. Dieu - gloire à Lui -
regarda en direction des êtres créés et je vis toutes les montagnes tomber en
prosternation devant Lui, puis fondre. Le trône, le piédestal, tous les cieux
et ce qu’ils contiennent, et la terre et ce qui est en elle, tombèrent
prosternés devant Lui, puis fondirent. Puis je [Le] vis et Il m’apprit que Son
apparition sous cet aspect est Sa compatissance et Sa miséricorde pour moi. Je
demeurai entre la sobriété et l’ivresse, entre l’affirmation de l’unicité et
l’amour. Je vis au milieu de ces dévoilements toutes les montagnes venir dans
la proximité de Dieu - gloire à Lui. Avec chacune d’entre les montagnes il y
avait un des breuvages saints qui m’était adressé. J’en éprouvai une grande
joie. Puis je pensai en moi- même à ces secrets : « Qui pourrais-je donc
trouver qui m’entende en décrire la magnificence ? »
70 - Il arriva que j’achète un
jardin dans la ville de Fasâ après le décès de l’une de mes épouses. Je pensai
en moi-même : « Comment ma vie serait-elle agréable avec ce jardin sans elle?»
J’entendis un héraut du monde caché tenir les plus beaux propos. Je réfléchis
sur le verset, et je compris que le discours était Sa parole, au Très-Haut : « Sors
» [du jardin du paradis]. Et II a dit à Mâlik : « Sors » [du feu de
l’enfer]34. Alors tout ce qui est autre que Dieu le Très-Haut fut anéanti
en moins de temps que ne prend un clin d’œil. Et resta Dieu dévoilé avec la
beauté de l’unité et la munificence de la pérennité. Il dit : « Toute chose
périt sauf Sa face35. » Or c’est là la station de l’unicité et
de l’anéantissement de soi. Je demeurai stupéfait. Je fus anéanti si bien que
je ne sus plus où je me trouvais. Puis II disparut de ma vue et me fit entrer
dans des océans qui ressemblaient à l’atmosphère et n’avaient pas de côtés. La
magnificence de Dieu m’enveloppa. Je me vis moi-même comme une goutte entre ces
océans, et il n’y a plus là ni gauche ni droite, ni devant ni derrière, ni
dessus ni dessous. Je ne vis rien d’autre que splendeur sur splendeur, munificence
sur munificence, majesté sur majesté, magnificence sur magnificence, superbe
sur superbe, prééternité sur prééternité, et postéternité sur postétemité.
Puis II dit à partir des tréfonds du monde caché : « Ceci est une préétemité
pérenne, et une surexistence perpétuelle. » Lorsque se fut écoulé ce qui
s’écoulait, il me sembla me voir moi-même comme si je me trouvais au- dessus du
septième ciel. Je vis les anges, les prophètes assis comme de jeunes mariées.
Dieu apparut sous la détermination de la majesté et de la splendeur. Comme Il
passa à côté d’eux, ils crièrent et pleurèrent tous à cause de Sa grâce et de
Sa beauté, le Très-Haut. Il était revêtu du vêtement de la grâce et avait la
forme corporelle d'Adam. Il m’apparut que ces anges se tenaient à Sa porte à
regarder le dévoilement de Sa majesté plongés dans tous les instants et dans
leurs parfaits désirs, et que c’est là leur usage pour l’éternité à jamais.
Dieu - gloire à Lui - descendit sur la terre et tourna de l’orient jusqu’à
l’occident. Puis II approcha de moi et dit : « Je suis venu pour toi pendant
que tu étais assoupi. » Puis II demeura tranquille dans ma maison pendant une
heure sous une apparence que je ne saurais décrire. Mais je sentis mon cœur et
mon corps fondre par la douceur de Sa vision et la contemplation de Sa beauté.
Puis II dit : « Je suis venu des tréfonds du monde caché soixante-dix fois
avant même que Je ne t’aie créé pour te chercher. J’ai visité les endroits où
tu te trouverais à cause de toi, alors qu’entre Moi et ceux- ci se trouvent des
contrées, un monde caché, des déserts et des océans en plus grand nombre que ne
permet d’en parcourir un voyage de soixante-dix mille années. » Puis II
approcha de moi jusqu’à ce qu'il soit au plus proche. Et II approcha et
approcha encore jusqu’à ce que je disparaisse et que je sois anéanti. Dieu
transcende toute représentation, toute allusion et toute définition. Ceci est
un état dont le secret ne peut être apprêté dans un dire. Car c’est là les
secrets de la condition seigneuriale, recevoir le bienfait de l’attribut, et
l’apparition des faveurs. Or Sa compatissance en suffisance et Sa bénédiction
bienfaisante sont une affection témoignée à Ses serviteurs, les gnostiques et
les amants. Si n’existait pas Sa grâce, comment voudrait-on que celui
qu'accompagnent les instruments qui causent les phénomènes puisse percevoir les
lumières des gloires de Sa face ? Et s’il paraissait avec la munificence
parfaite, les réalités et les créatures seraient consumées. N’aie pas de souci
mon ami ! car ce qui est à l’image de ces dévoilements s’est déjà produit chez
la plupart des prophètes et des véridiques même s’ils ne les ont évoqués qu’en
recourant à la parole de l’équivocité. Certes II dépasse le fait que l’on
représente Son essence et Ses attributs au moyen des attributs des individus.
71 - Il m'a semblé voir au cours de
certains dévoilements après la moitié de la nuit que je me trouvais à Shîrâz
dans mon couvent. Je regardai en direction de la niche de prière. Alors je vis
Dieu - gloire à Lui - qui Se révélait et qui Se montrait avec plus de beauté
que je ne L’avais jamais vu. De Sa majesté et de Sa beauté émanait le
contentement. Puis II disparut de ma vue. Après, les nuées de l’extase et de
l’état demeurèrent jusqu’à ce qu’une heure soit passée. Puis je Le vis, le
Très-Haut, sur la terrasse du couvent face à la direction de la prière qui
faisait l’appel à la prière. Je L’entendis qui disait : « J’atteste que
Muhammad est l’envoyé de Dieu36 », et la terre était emplie
d’anges. Lorsque les anges entendirent l’appel à la prière que lançait Dieu le
Très-Haut, ils pleurèrent et poussèrent des cris. Ils ne purent s’empêcher de
venir auprès de Dieu le Très-Haut du fait de Sa magnificence et de Sa superbe.
Résonna alors dans ma conscience secrète Sa parole : « Ils craignent leur
seigneur au-dessus d’eux et ils font ce qui leur est ordonné31. »
72 - Je vis à plusieurs reprises le
Très-Haut qui semblait jouer du luth à la porte du couvent. La joie et
l’allégresse s’emparèrent du monde au point que toutes les choses se prirent à
rire de tous leurs atomes. Je L’avais déjà vu avant cela, le Très-Haut,
plusieurs fois par-delà tout par-delà. Il jouait du tambour et signifiait par
cela qu’il agissait ainsi afin de révéler ma royauté. Il m’avait en effet élu
dans mon temps à la royauté et à la lieutenance sur les mondes. Ceci et
d’autres faits semblables sont les exemples de la manifestation de l'élection,
de l’agrément, de la sélection, et des meilleures unions. Lui, le Très-Haut,
transcende ce que les cœurs de chérubins, les cœurs des êtres spirituels et les
cœurs des créatures peuvent concevoir. C'est là l’usage qui règle Sa grâce
envers Ses saints. Il y en a d’ailleurs de nombreux cas similaires dans les
traditions prophétiques. Comment est-ce que cela se rapporte à la parole du
prince des envoyés, des prophètes et des saints? Quiconque se figure que je
crée des confusions après l’apparition de ces dévoilements est un dément qui
n’a jamais senti le parfum des extases des saints et des réalisations
intérieures des purs, par lequel on comprend les ambiguïtés des traditions. Il
[le Prophète] a dit : « Dieu le Très-Haut fait voir la forme de Son essence à
qui II veut. »
73 - J’eus une vision entre les deux
prières du soir alors que je me trouvais dans la station du reproche et de
l’exultation. Je vis les dais du royaume angélique lorsque les lueurs du désir
parvinrent à mon cœur. La plus grande partie de la nuit passa. Je m’assis,
occupé aux vigilances intérieures. J’ôtai donc les pensées conscientes de mon
cœur. Ma conscience secrète s’envola dans les réalités. Je n’arrivai pas à
aller au-delà des régions de l’être car je ne pouvais voir derrière l’être une
chose sans qu’elle ne soit suspendue à la puissance. Je revins à ma place
jusqu’à ce qu’une heure ait passé. Je vis la demeure des fiancées, laquelle est
la demeure de la majesté. Dieu Se montra à moi en personne, et me fit entrer
dans la station de l’exultation, de l’extase et de l’état mystique. Je goûtai
alors à Son union une saveur telle que jamais je n’en avais goûté de pareille.
Il voulut mon désir et mon amour. Puis II approcha d’une telle proximité que je
ne saurais la décrire. Au début j’éprouvai le souci de la perte de la sainteté
de la confession de l’unicité. Il dit : « Tourne autour de Moi, Dieu. » Il
m’enseigna que la station de l’amour est le don offert aux gens des attributs et
l’intimité accordée aux gens de l’essence. Je cherchai Dieu au moment de l’aube
mais je ne le trouvai pas. Les imaginations spirituelles produisirent en moi
les formes des choses créées. La pensée de la confession de l’unité les
repoussa. Mais la pensée de l’amour se familiarisa avec elles jusqu’à ce qu’un
moment soit passé. Toute ma concentration visionnaire était plongée dans les
occurrences des lumières de la théophanie particulière par la détermination
des attributs de la prééternité dont n’émanent pas les formes, les opérations
ni les déterminations singulières de l’équivocité. Dieu Se révéla du fond du
monde caché. Puis II Se révéla à partir du trône. Puis II Se révéla sous la
forme d’Adam. Ma concentration visionnaire apprit. Je demandai la vérité de
l’unicité. Il m’apparut avec des attributs et une beauté que je ne saurais
décrire mais j’en révélerai une partie. Ce que je vis de Lui lorsqu’il apparut,
c’est des perles et des roses qui effusaient de Sa face. Je Le vis dans un
univers empli d’astres brillant d’un vif éclat, et le Très-Haut semblait
montrer quelque chose des voies de l’audition. Les êtres riaient sous l’effet
de Sa saveur. Puis II Se révéla par des attributs, et chaque instant était un
attribut dont je n’avais jamais rien vu de plus beau. C’était là une création
merveilleuse par laquelle Il apparaissait de façon inattendue. Je vis les
prophètes en face de Dieu - gloire à Lui - jetés dans le trouble et qui
allaient et venaient en tous sens. Je cherchai Dieu par la détermination individuelle
de la pudeur dans l’affirmation de l’unicité et les emplacements des attributs.
Chaque fois que les merveilles du monde caché se présentèrent à moi en tant que
formes, je les repoussai jusqu’à ce que je voie Dieu - gloire à Lui - sans comment
sous l’aspect de la majesté et de la beauté. Et les mines originelles des
lumières se mirent à briller. Puis je Le vis au seuil des pays de la préétemité
et des enclos de l’éternité sans commencement. Lorsque je Le rencontrai sous
l’aspect de la majesté, de la beauté et de la superbe, je fus plongé dans les
océans de l'extase, de l’état mystique, de l’excitation, des cris et des mouvements
qui appartiennent aux étapes de l’intimité. Puis je fus pris de stupeur dans la
primauté de Dieu. Je Le vis sous la plus belle forme. Je songeai dans mon cœur
: « Comment es-tu tombé de l’univers de l’affirmation de l’unicité jusque dans
la station des ambiguïtés ? » Il approcha de moi, saisit mon tapis de prière et
dit: « Debout ! quelle est donc cette pensée ? Tu doutes de Ma personne alors
que j’ai produit une image de Moi dans ton œil afin que tu t’habitues à Moi et
que tu M’aimes. » Il y avait sur Lui les lumières de la majesté et de la beauté
en nombre tel que l’on ne pourrait en faire le compte. Puis je Le vis chaque heure
d’une beauté différente.
74 - Le début de cet ordre vient
après le discours de purification qu’il a tenu à Son bien-aimé en disant: «
En vérité Nous t’avons octroyé une victoire éclatante afin que Dieu te pardonne
les premiers de tes péchés et les derniers38. » Lorsque
s’annonça le temps de l'aube, Il m’ordonna d’accomplir les prescriptions39.
Je dis : « Mon besoin [de Toi] n’est pas accompli avec Toi par Ta munificence.
Fais-moi donc goûter le repas de Ton amour et fais-moi voir les vérités de Ta
beauté et de Ta majesté jusqu’à ce que je jouisse de Toi et que je fonde en Toi
grâce à la douceur de l’intimité avec Toi. » Il dit : « Lève-toi et monte sur
la terrasse du couvent. Là Se dévoilera l’objet de ton aspiration. » Lorsque je
montai et que l’appel à la prière fut lancé, je vis le maître Abû’l- Hasan ibn
Hind40 dans la station de la vigilance intérieure. Je me dis en
moi-même : « Que peut-il bien rechercher ? » Et résonna dans ma conscience
secrète : « Il cherche à contempler la majesté. » Lorsque je me mis à regarder
je vis l’ensemble des maîtres soufis contempler Sa majesté depuis la frontière
du pays turc en direction des pays d’Occident. Puis je vis le Prophète avec
tous les prophètes et les envoyés assis à guetter la contemplation de Sa
majesté. Puis je vis Gabriel et tous les chérubins guettant la contemplation de
la Sainteté. Puis je vis Dieu - gloire à Lui - qui Se révélait à eux ainsi que
je l’ai décrit. J’étais parmi les soufis comme celui qui est ivre et ému par le
trouble, le visage tourné en direction de Sa munificence. Il approcha de moi et
me fit danser. Puis II dansa avec moi. C’est de cette manière qu’il me
distingua d’eux. Lorsque je goûtai la douceur de l’exultation me submergèrent
la clameur des êtres du royaume angélique, les cris des êtres d’infissibilité
et les sanglots des êtres seigneuriaux.
75 - J’étais à la recherche de Dieu
le Très-Haut dans les déserts du monde caché lorsque je vis Mustafâ dans l’un
des chemins de ces déserts. Il avait la taille d’Adam. Il portait une chemise
blanche et avait la tête coiffée d’un turban de fine gaze. Son visage
ressemblait à la rose rouge d’où émanaient les attributs souriants. Son visage
était dirigé vers le monde de la préétemité à la recherche de Dieu - gloire à
Lui. Lorsqu’il me vit, il approcha de moi. Nous étions perdus dans ces déserts
comme des étrangers dont la destination et le dessein sont identiques. Il se
montra bienveillant envers moi et me dit : « Je suis un étranger et tu es un
étranger. Traverse donc avec moi ces déserts afin que nous recherchions
ensemble Dieu - gloire à Lui. » Nous passâmes donc soixante-dix mille ans à
cheminer. Nous nous asseyions pour manger et boire dans certains endroits. Il
me donnait à manger et me traitait avec bonté comme l’étranger qui éprouve de
la compassion pour l’étranger. A l’approche du voile de la préétemité et des
dais de l’éternité sans commencement, nous fîmes une longue halte. Mais je ne
vis pas Dieu, si bien que nous fûmes préoccupés par Son absence. Puis Dieu le
Très-Haut apparut à Mustafâ et je Le vis qui lui montrait quelque chose. Je
regardais Dieu - gloire à Lui - et la manière dont II se comportait avec Son
bien-aimé. Un temps passa pour lui au cours duquel s’écoulèrent entre eux deux
des secrets que je ne pus pas observer. Survint alors dans mon cœur ceci :
comme je les avais vus tous deux, ils m’avaient agréé tous deux. Dieu - gloire
à Lui - me saisit et me fit voir l’univers de Son mystère. De toute Sa personne
se manifestait de l’amour pour moi. Puis je vis des lumières, de la majesté et
de la beauté jusqu’à ce que se montrent les déserts des assauts de l’unicité.
Nous prîmes la fuite si bien qu’il ne nous resta aucun endroit où faire halte,
car lorsque l’accident entre en conjonction avec la munificence de la
prééternité, il cesse et se trouve anéanti.
76-11 arriva une nuit que je fus très inquiet à cause
de mon fils Ahmad qui souffrait de dysenterie. J’avais la poitrine très
oppressée à cause de ce que mon bien-aimé m’annonçait. Je dormis en même temps
qu’Ahmad et je m’éveillai au son de sa voix. Je vins à son chevet. J’étais
entre la veille et le sommeil et je vis une personne sortir d’un côté de ma
maison et dire en dialecte fasawî et en persan : « Hubb-astwa shab-i nîk4ï
», ce qui veut dire : « Bienheureuse soit ta nuit et bénie. » Puis il dit :
« La nuit II descendra pour toi et pour ton père. Dieu est à toi, Lui-même. »
Je me dis en moi- même : « J'ai la poitrine oppressée en cet instant, comment
pourrais-je donc éprouver un dévoilement ? » Je poursuivis la lecture des
versets du Coran porteurs de bonne nouvelle, qui annoncent l’ouverture des
portes du monde caché. C’est pour cette raison que certains discours sont
d’opération et d’autres d’inspiration. Lorsque fut venu le moment de l’aube,
les portes du royaume angélique s’ouvrirent. Je vis des océans et une voûte
céleste de joyaux vert tendre se répandre sur ma tête. Je vis Dieu - gloire à
Lui - qui semblait répandre ces joyaux sur moi depuis cet univers. Il portait
la satisfaction sur lui et avait l’apparence de la majesté et de la beauté. A
partir de Lui brillait une grosse lumière qui ressemblait à ce joyau. Et
s’écoula ce qui devait s’écouler de douceur et de générosité. Un certain temps
passa ainsi. Alors je vis cette voûte céleste étendue à la surface de la terre.
Je vis l’ensemble des prophètes, des saints et des anges. Dieu - gloire à Lui -
Se révéla à moi au milieu d’eux. Il dit ce qu’il devait dire et j’entendis de
Lui ce qu’il me fallait entendre : parole de la station de l’intimité et de
l’exultation, Son désir pour moi, Son amour et Sa passion pour moi. La face de
Dieu le Très- Haut se dévoila à moi, transcendant l’allusion des pensées
conscientes, et j’observai les apparitions pour le Vivant, l’immuable - qu’il
soit exalté et sanctifié. A la vision de Sa face, la douceur du désir, la fonte
de l’esprit, l’émotion de la conscience secrète, la fêlure du cœur et
l’anéantissement de l’intelligence se manifestèrent en moi de telle sorte que
si un seul atome en était projeté sur les montagnes de la terre elles
fondraient sous l'effet de la douceur. J’étais la proie des soupirs, des
larmes, des vertiges et des sanglots. Puis II m’emporta dans un royaume
angélique et m’immobilisa sur le seuil de la prééternité. Puis II Se révéla à
moi sous l’aspect de la superbe et de la magnificence. Je vis lumière sur
lumière, splendeur sur splendeur, et munificence sur munificence, telles que
je ne saurais le décrire. Je ne pouvais pas même faire un pas pour venir plus
près de Lui à cause de sa majesté et de Sa munificence. Et bien que j’aie vu
ceci jusqu’ aux éternités sans fin, je n'ai pas même pu voir ne serait-ce qu’un
atome en image de certains aspects de l’éternité sans commencement. Dieu
dépasse la description de ceux qui le décrivent.
77 - Dans certains dévoilements j’ai
vu au milieu du monde une lumière qui brillait. Ceci m’excita et me souleva
vers la proximité de Dieu - gloire à Lui. Après qu’une heure fut passée, je vis
une lumière qui répandait un vif éclat. Le monde caché s’écarta et les tentes
du royaume angélique s’ouvrirent. Dieu m’apparut - gloire à Lui - sous l’aspect
de la munificence de la surexistence, de la majesté et de la beauté. Il
apparut en personne et me fit connaître les réalités cachées de Ses
déterminations. Et je vis une splendeur et une grâce qui venaient de Lui. Sa
lumière42 tourna entre le ciel et le terre et je Le vis dans toutes
les directions vers lesquelles je me tournais. Puis les mines originelles de
l’unicité m’apparurent et j’y pénétrai. Le déluge de l’océan de l’unité me
ravit et II me plongea dans l’abîme de l’océan de la primauté. Puis après cela
II me ramena à la nature humaine. J’étais inquiet à cause de la contradiction
qu’entraînaient la survenue de la condition humaine et les dispositions
mondaines, songeant à quelques-uns de mes problèmes, à ce qui provient de
l’épreuve, et à ce qui émane des décrets de l’éternité sans commencement dans
le temps. Ma poitrine fut dilatée. La nature s’éloigna. Ma conscience secrète
se dépouilla des réalités cachées propres à l’épreuve. Mon esprit vit au cœur
du royaume angélique une lumière resplendissante. Puis Dieu apparut en
S’élevant à partir de cela avec les plus beaux attributs, la plus belle
beauté, la plus grande majesté, et Sa face était tournée vers moi - qu’il soit
exalté et sanctifié. Il dit : « Celui qui possède encore un “comment” passe la
nuit avec autre chose que Moi. » Je demeurai dans Sa beauté et Sa majesté.
C’est cela la station de l’imminence de l’imminence, de la proximité de la
proximité, de l’union de l’union. Cela persista jusqu’à ce qu'il ait supprimé
de ma pensée et de ma conscience secrète toute autre chose que Lui. Je demeurai
ainsi dans l’essence de l’essence et la vérité de la vérité. Pour moi, Il me
fit contempler la vérité sous l’aspect que j’ai mentionné. Il me fit hériter de
Sa proximité, du dévoilement de Sa beauté, de Sa majesté et de Son discours,
en une merveilleuse douceur et une extase parfaite par les déterminations
individuelles des soupirs, des sanglots, de l’émoi, du trouble, de la danse,
des battements de main, et de la rotation. Mon intimité et mon désir pour Lui
et Sa chambre nuptiale augmentèrent. Puis je m’apaisai après cela jusqu’au
moment de l’aube. Dieu m’apparut sous l’apparence que j’ai mentionnée, et ce
fut la contemplation de l’équivocité dans l’affirmation de l’unicité, la
manifestation des attributs dans l’opération théophanique, l’émergence des
lumières de l’essence dans les attributs inconnus pendant un long moment. A
l’approche du moment du coucher du soleil, je Le vis, le Très-Haut, qui se dirigeait
vers le mystère du monde caché. Je vis les habitants du paradis, les habitants
de la présence d’entre les anges et les prophètes qui s’avançaient avec Lui
vers leurs résidences. Ce que je vis en premier c’est qu’il m’apparut que Dieu
- gloire à Lui - lorsqu’il fit descendre, par la détermination de la venue et
non par la détermination du transport, les habitants du royaume angélique descendirent
avec Lui, et lorsqu'il relâcha les tentures du royaume de majesté ils
disparurent avec Lui. Ces dévoilements sont l’occupation des adeptes de la
négation parmi les gnostiques, et la qualité des adeptes des vérités parmi les
gens de la fin qui se sont élevés à la vérité par la condition de la
connaissance mystique et à la science par les dispositions des ambiguïtés.
Ceux-là sont ceux que Dieu le Très-Haut a décrits comme des bienheureux43
en disant : « N'en connaissent l’interprétation que Dieu et ceux qui sont
enracinés dans la science44. »
78 - Je m’éveillai après la moitié
de la nuit du premier jour de Ramadân, et Dieu - gloire à Lui - me tint un
discours en ces termes : « Leur seigneur leur annonce une compatissance
venue de Lui et une satisfaction45. » Lorsque j’eus prié deux
prosternations et que je me fus assis pour la vigilance intérieure, je méditai
sur les bienfaits de Dieu et Ses versets. Ma conscience secrète tournoya dans
les contrées de l’être. Mon esprit sortit de l’être. Dieu - gloire à Lui -
m’apparut de par-delà l’être comme s’il venait du monde caché, portant l’habit
de la beauté et de la majesté sous un aspect tel que si les gens des réalités
créées et des phénomènes le voyaient ils fondraient sous l’effet que produit Sa
majesté et le dévoilement de Sa beauté. Et, par Dieu, j’ai voulu en décrire
quelques-uns des attributs que j’avais vus aux novices et aux sincères, mais je
n’y suis pas arrivé parce qu’il, le Très-Haut, Se manifesta par un aspect
derrière lequel Adam fut conçu et qu’il révéla aux chérubins et aux êtres
spirituels, si bien «qu’ils tombèrent en prosternation devant lui46
» sans en avoir le choix. C’est pour cela que le Prophète a dit : « Dieu a créé
Adam à Son image. » Comprends, si ce n’était du fait de la peur que m’inspirent
les ignorants qui nous accusent de produire une image de la Cause, que j’aurais
voulu décrire ce que j’ai vu de Dieu - gloire à Lui -, la lumière de Sa
splendeur, l’éclat de Sa sainteté, Son immense majesté, la douceur de Sa
beauté, les déterminations dont II se revêtit et dont II avait vêtu Adam,
Joseph, Moïse, Abraham, Jean et Muhammad. Or ces déterminations, dont II a fait
hériter certains d’entre eux du plus lumineux, se succèdent sur le monde et les
univers parce que, à chaque fois que l’éclat de l’éclair de Ses attributs se
révèle à quelque chose, les êtres et les phénomènes s’abaissent devant lui puisqu’il
émane de la détermination de l’éternité sans commencement. Et il n’y a là ni
union ni séparation, ni imagination, ni estimation, car celui qui connaît Dieu
le Très-Haut après son voyage dans l’univers de la préétemité connaît les
sciences occultes dans lesquelles sont dévoilés les secrets de la condition seigneuriale.
Et c’est par cela que les consciences secrètes de ceux qui ont atteint l’union
sont libérées de la négation, de l’affirmation, de l’assimilation et de
l’abstraction. Or ces choses sont des accidents de l’être et Lui, le
Très-Haut, Il est au-delà de cela. Les conjectures ont disparu de l’itinéraire
des esprits des gnostiques qui les mènent vers ces lieux d’alliance, et ils ne
savaient pas s’ils avaient atteint quelque chose lorsque la Cause des habitants
de l’être se présenta à leurs cœurs. Ils sont dans la vision de Dieu à la
source même de l’émancipation à l’égard de la preuve, de la Cause et du causé.
Dieu m’apparut dans la station de l’intimité sous une belle forme avec la
beauté de la douceur. Il ravit mon cœur par Sa beauté, et les cris, les
sanglots, les larmes, l’agitation, l’extase, l’intimité, le désir, l’amour, le
trouble, l’affection et la passion s’emparèrent de moi.
Puis II
disparut. Je suppliai et j’implorai Sa rencontre au Généreux. Puis II m’apparut
avec l’aspect le plus particulier qu’il revête parmi les ambiguïtés. Puis II
disparut de ma vue. La douceur me saisit et me fit prendre mon envol dans
l’atmosphère de l’illiyûn. Je vis les jardins du paradis et ceux qui y résident,
ainsi que les habitants de la présence qui ont des corps d’anges. Je vis le
Prophète en compagnie de l’ensemble des prophètes qui ressemblaient à des
vieillards. Les cheveux qui couvraient leurs têtes et leurs favoris étaient
plus blancs que la neige. Ils portaient des habits blancs et des turbans blancs
eux aussi. Ils se tenaient tranquilles, bien installés, séparés les uns des
autres dans les plus hauts déserts de l"Illiyûn. Chacun d’entre eux était
à sa place. Leurs visages étaient tournés vers la présence du royaume de
gloire, émus pour elle. Moi, j’avais l’apparence des jeunes hommes, je portais
une longue robe. Ma tête était coiffée d’un bonnet. J’avais des nattes et
j’avançais vers Dieu, tenant à la main un tanbûr47. Je vis un groupe
de mes maîtres assis sur leurs tapis de prière. Parmi eux se trouvaient Junayd,
Ruwaym, Abû Yazîd al-Bistâmî, qui, avec leurs groupes, avaient le visage tourné
vers la présence de Dieu - gloire à Lui. Junayd était parmi les soufis comme la
lune au milieu des étoiles. Puis je vis un groupe venir de par-delà le paradis.
Or, lorsque je les regardai, je vis mes maîtres et mes compagnons. Alors un
héraut parla en moi en ces termes : « Ceux-là sont les gens du village. » Puis
je voyageai jusqu’au seuil de la présence. Dieu m’apparut m’accueillant par Sa
majesté et Sa munificence. Puis je vis une superbe, une magnificence, une
majesté, une munificence, ainsi qu’une surexistence et une splendeur qui
fondirent au milieu de l’être et des phénomènes. Et je vis la transformation
des choses qui devinrent comme un grain de moutarde, mais je ne compris pas ce
que c’était. Il me fut dit dans ma conscience secrète : « C’est là le pouvoir
qu’exercent le trône, le piédestal et les jardins du paradis, tel que
l’ensemble de l’être créé depuis le trône jusqu’à la terre se trouve broyé et
réduit en miettes de la taille de la tête d’une aiguille dans les déserts du
monde caché. » J’éprouvai une stupeur telle que je restai sans science et sans
connaissance, sans cœur et sans esprit.
79 - Lorsque je m’éveillai à la
première aurore, je fus inquiet car j’avais dormi plus que je n’en avais
coutume chaque nuit. Puis apparut dans mon cœur le souvenir de mon épouse
défunte - que Dieu lui fasse miséricorde. Lorsque j’implorai, je dis en
moi-même : « Mon Dieu ! tu vois comme tu as agi avec moi en l’emportant et en
me laissant dans la désolation. » Alors II me tint un discours en persan en ces
termes : « Agir ainsi n’est pas agir. » Il voulait dire par cela qu’il était
sur le point de me dévoiler le monde du royaume angélique et de me rapprocher
de Lui. Je compris cela. Puis, après les ablutions, Il me parla en disant : « Réjouissez-vous
de l’alliance que vous avez conclue avec Lui4&. » Lorsque
j’eus prié deux prosternations, Dieu vint à ma rencontre dans la vallée de
l’éternité sans commencement. J’étais là tel un étranger perdu. Puis II
m’apparut dans les hautes montagnes de la superbe sous l’aspect de la majesté
et de la beauté. Puis II me fit voir le monde du mystère. J’eus peur à
l’annonce de l’appel à la prière des muezzins et je dis : « J’ai pris du retard
dans ma journée puisque je ne suis pas réveillé rapidement. » Dieu le Très-Haut
dit : « Ne sois pas inquiet car si toi tu dormais, Moi je suis resté éveillé
pour toi à te combler de bienfaits, Mon voile relevé pour toi. » Puis le Très-
Haut me fit
voir Sa personne à plusieurs reprises sous un aspect que je ne saurais
expliquer. Puis II approcha de moi, revêtu d’une apparence que j’aimai. Je fus
plongé dans les océans du désir, troublé dans les assemblées de l’intimité.
Mon cœur fut entre l’occultation et l’épiphanie; mon esprit fut entre la
découverte intérieure et la perte ; mon intelligence attendit les dispositions
de la condition seigneuriale; ma conscience secrète contempla le royaume angélique
et le monde de gloire ; ma langue fut occupée à décrire la préétemité ; et mes
deux yeux tournoyèrent dans le royaume angélique en versant des torrents de
larmes. Et tout ceci jusqu’à ce que Dieu me contemple par la qualification de
l’excellente union, et que je contemple Dieu par le dévoilement de la majesté
et de la beauté.
80 - Il arriva au cours de certaines
nuits que je me rendis maître d’une quiétude qui était pour moi un moyen
d’atteindre Dieu le Très-Haut. Dieu le Très-Haut me parla en disant : « Votre
effort est récompensé. » Je compris qu’il me raffermirait face aux dévoilements
du monde caché par la victoire. Lorsque je fus assis et que plusieurs heures
furent passées sur moi, je tournoyais par ma concentration visionnaire dans
l’élément visible du royaume angélique. Je vis la multitude des anges et des
prophètes se tenir debout au seuil de la présence des deux côtés de la
présence, comme les émirs occupent leur rang au seuil du royaume angélique. Je
vis les savants et les jurisconsultes derrière leurs rangs. Je vis al-Shâfi'î49
revêtu de l’habit des jurisconsultes. Il avait un beau visage et une belle
stature. Il était beau et fier. Il portait un manteau. Il vint à la suite de la
rangée et il se dirigea vers moi du milieu de la file des prophètes et des
anges et il se trouvait là comme un étranger.
J’entrai
dans le seuil de la présence et je quittai la condition de l’humanité. Je vis
Dieu - gloire à Lui - par delà soixante-dix voiles50. Son visage
dévoilé révélait Sa majesté. Puis je pénétrai dans la demeure de la majesté. Je
vis Dieu - gloire à Lui - avec soixante-dix beautés, majestés et splendeurs, et
je ne L’aurais pas vu sous ces aspects sans que Dieu ne l’ait voulu. Puis
j’entrai dans la demeure de la munificence. Je vis les voiles qui semblaient
être des roses, et c’était des roses blanches. Je vis Dieu - gloire à Lui -
parmi les roses blanches, revêtu de la splendeur des roses blanches. Là, Il Se
dévoila. Puis Dieu le Très-Haut lança un appel dans l’univers du bas monde qui
disait : « Mes bien- aimés ! nul ne L’aime. » Puis II arriva et appela. Puis II
me désigna par mon nom, et je L’aimai. Il me fit voir la dignité, la proximité,
et les imminences qu’il avait réservées exclusivement pour moi, parmi les
créatures qui se trouvent à la surface de la terre. Et je fus durant ces heures
comme un roi au milieu des émirs, et comme la rose rouge de printemps au milieu
de toutes les herbes parfumées parmi les saints en rangs, en proie à l’extase,
débordés et plongés dans les larmes et qui entraient dans les déserts du monde
caché. Je vis Dieu - gloire à Lui - dans un buisson de roses rouges sous
l’aspect de la majesté et de la beauté. J’étais debout dans le buisson et je
vis notre Prophète et dans La Mecque des roses rouges et blanches. Il jeta hors
de La Mecque les roses, et tous les prophètes et les anges en firent de même.
Je vis Adam qui avait une rose avec lui. Je vis Gabriel et il avait une rose
avec lui. Dieu le leur avait accordé. Puis II me révéla les grâces des
attributs et la beauté de l’essence dans les attributs de l’opération
théophanique. Puis II me dévoila le voile de la munificence. J’entrai dans le
voile. Je vis une magnificence, une majesté, une munificence et une surexistence
dans lesquelles les yeux, les cœurs, les intelligences, les esprits et les
consciences secrètes ont été frappés de stupeur, car Dieu transcende toute
définition ou allusion. Les souvenirs du breuvage des aiguades de l’amour
survinrent dans mon cœur et ma conscience secrète fut soulevée de désir pour
les lignes droites que suivent les oiseaux de la proximité. Je demeurai ainsi
entre les réalisations intérieures et les extases jusqu'au moment qui se trouve
entre les deux prières du soir. L’essence de la divinité se présenta en mon for
intérieur et les imminences de l’éternité sans commencement furent apprêtées.
Subitement les assauts de la munificence apparurent, et leur impétuosité me
ravit aux dispositions qui gouvernent la nature humaine. Puis les gloires et
les dévoilements se succédèrent en moi jusqu’à ce que Dieu - gloire à Lui -
apparaisse monté sur le cheval51 de l’éternité sans commencement,
tenant à la main l’arc dont usent les Turcs. Il était dans une furieuse colère
contre un groupe de gens qui s’acharnaient à persécuter Ses serviteurs. Je vis ‘Alî
ibn Abî Tâlib sortir de quelque montagne furieux contre ce groupe de gens. Il
les chargea car certains des oppresseurs faisaient partie de ses propres
descendants. Toutefois, même s’ils ont opprimé les serviteurs [de Dieu] avant
le châtiment qui les a frappés, leurs maisonnées ne sont pas déchues de leurs
droits52. Des heures passèrent à cela au cours desquelles, entre les
extases, j’eus des contemplations telles que chacune se produisait avec un
attribut différent. Puis la nuit passa et n’en resta que la moitié. Dieu -
gloire à Lui - m’apparut sous l’aspect d’une imminence. Je le vis revêtu des
plus beaux attributs, de la beauté la plus parfaite et de la majesté la plus
subtile. Puis je Le vis qui apparaissait depuis le seuil de la munificence et
du voile de la préétemité. Puis II Se révéla par Sa majesté de telle manière
qu’il sembla remplir le monde de roses rouges, ce qui est la lumière de Sa
splendeur. Il appela en disant : « A qui appartient la royauté ? Le jour est à
Dieu, F Un, le Furieux. »
81 - J’ai recherché Dieu le
Très-Haut au cours de certaines nuits. Je Le vis qui S’élevait au-dessus de ma
maison, revêtu de l’attribut de la majesté et de la beauté. Il me fit voir de
Sa personne - qu’il soit loué et exalté - ce qu’aucun des très proches n’avaient
jamais contemplé. Puis II disparut de ma vue et m’abandonna à l’extase et à
l’état mystique. Puis Dieu lança un appel depuis le monde de la préétemité.
Puis II convoqua les vents et leur ordonna de me conduire jusque dans les pays
de l’éternité sans commencement. Le vent de Ses vérités me saisit et me fit
voler dans l’atmosphère, et ce jusqu’à ce que soixante-dix mille vents me
prennent, car chacun d’eux est une des montures du monde caché que Dieu le
Très-Haut a disposées pour Ses ascensions. J’atteignis Dieu - gloire à Lui - et
je Le vis sous l’aspect de la sainteté, de la splendeur, de la munificence, de
la superbe et de la magnificence. Il dit en m’appelant par mon nom : « Ô
Rûzbehân ! vois-tu un aspect, une forme, une représentation imaginaire ou une
ressemblance ?» Je répondis : « Par une pensée mais non par ma langue. » Car
c’est là la station de l’unité qui bannit l’ensemble des phénomènes et de ce
qui se trouve en eux. Puis je me vis parmi quelques tombes dans la ville de
Fasâ. Je vis un personnage qui compte parmi les saints sortir de sa tombe. Il
portait un habit rouge et avait la tête coiffée d’un bonnet rouge aussi.
Lorsqu’il se dressa, c’est tous les maîtres de la
ville de
Fasâ qui se dressèrent avec lui. Ils furent d'accord pour m'accompagner à
Shîrâz. Lorsque nous arrivâmes à Shîrâz, les maîtres de Shîrâz se levèrent de
leurs tombes et vinrent à notre rencontre jusqu'à ce que l'on atteigne enfin la
ville. Or ceci se produisit à un moment où je me proposais effectivement de
retourner à Shîrâz.
NOTES
1. Il s'agit du § 19 de T édition N. Hoca.
2. L'image du lion pour désigner la majesté de Dieu qui apparaît au sommet de
la montagne Qâf et dévore les prophètes et les saints se trouve aussi dans un
autre ouvrage de Rûzbehân {Mashrab'. 290); voir aussi ici-même § 102,
ms. Mashhad, fol. 43a. Il faut noter aussi que le lion jaune est la forme de
l'un des quatre archanges porteurs du trône, Qazwînî, {‘Ajaib al- makhlûqât,
Le Caire, 1980, p. 309). Sur la montagne Qâf mère de l'univers, voir l'article
de Streck et A. Miquel, El2. Sur son rapport avec les
religions iraniennes anciennes et son rôle dans la mystique, voir H. Corbin qui
signale que d'après un géographe arabe la montagne Qâf se serait appelée Alborz
avant l'islam {Corps spirituel et terre céleste, Paris, 1979, p. 100 et
suiv.).
5. Le prophète Joseph qui est dans le soufisme le type même de la beauté.
6. § 8 dans l'édition N. Hoca.
7. L'édition N. Hoca précise le mètre du poème cité. Le poème a tendance
burlesque contient des éléments quasiment intraduisibles. J'ai suivi la
lecture adoptée par C. Ernst.
8. La leçon du ms. Massignon est préférable à celle de celui de Mashhad.
11. L expression vient du Coran, LXXXII = 11. Ce sont les deux anges terrestres
tutélaires de T âme celui de la gauche qui note ce que lui dicte celui de la
droite, Avicenne et le récit visionnaire, Paris, 1979, p. 84, 97 et
suiv., index « anges terrestres ».
12. Le dialecte de Fasâ, la ville natale de Rûzbehân.
13. Ce récit semble en contradiction avec le jugement extrêmement sévère que
Rûzbehân portait sur sa famille au début de T ouvrage. Il se montre réconcilié
avec ses parents, ce qui semble n être que la conséquence de leur conversion,
dont il est peut-être à F origine. La vision a bien sûr une fonction rassurante
à l'égard des craintes que Rûzbehân pouvait éprouver pour sa famille.
14. Rûzbehân compte la danse au nombre des expressions de l'extase. Il la fait
remonter, grâce à un hadîth, à Adam qui, à sa vue, aurait dansé en
tournant sur lui-même dans le paradis avant de reprendre ses esprits et d'en
éprouver de la honte devant Dieu. La danse et la honte sont deux attitudes
complémentaires qui forment l'héritage adamique des saints (Mashrab :
86-87).
15. Le fait de louer Dieu est par un jeu de mots possible aussi le fait
d'associer un second à Dieu qui par définition est unique. Or cette association
est assimilable à une impiété fondamentale. Il ne peut donc y avoir de
véritable affirmation de l'unicité tant que l'âme subsiste dans la parole.
Rûzbehân pensait que se dire serviteur était une marque d'humilité, cela
revient au contraire à affirmer que l'on peut subsister auprès de Dieu,
c'est-à-dire revendiquer une autonomie qui implique une deuxième volonté. Tout
ce point est lié à la réflexion de Rûzbehân sur la doctrine de l'unité
développée par Hallâj.
16. Les Turcs étaient dans la poésie persane de l'époque le stéréotype même de
la beauté. Voir M. Muîn, Abhar al-âshiqîn, int. persane, p. 94-99.
18. Il s'agit de l'arbre de la connaissance mystique. Le symbolisme du palmier
a été souligné par H. Corbin (Corps spirituel et terre céleste, p.
164-165, et les notes p. 171-172). Il est mentionné par divers auteurs et a son
origine dans le monde musulman dans une tradition du Prophète et un propos de
l'imâm JaTar al-Sâdiq. Voir Majlisî, Bihar al-anwâr, V, p. 319 et suiv.,
XIV, p. 840; ibn ‘Arabî, al-Futûhât al-makkiyya, Le Caire, 1329,1, p.
126-131 ; 'Abd al-Karîm Jîlî, al-Insân al-kamîl, II, p. 28 ; Suhrawardî,
Le Livre de la sagesse orientale, Paris, 1986, p. 156. Qutbu'l-dîn
Shîrâzî, commentant l’ouvrage de Suhrawardî, cite une tradition attribuée au
Prophète : « Honorez votre tante paternelle le palmier car elle a été créée du
surplus de l'argile d’Adam » (ibid., p. 347).
21. Les adeptes de la négation désignent ceux qui recourent à la théologie
négative, et les gens du terme désignent les croyants parfaits, en particulier
les soufis.
22. L’un des grands maîtres des débuts du soufisme, disciple de Ma'rûf Karkhî,
il est mort à Baghdâd en 253h/867. Il fut le maître de Junayd (Tabaqât
al-sûfiyya, p. 48-55 ; Hilya al-awliyâ’, X, p. 116-128; Tadhkira
al-awliyâ’ , p. 274-284). Rûzbehân rapporte son ascension dans le L’Ennuagement
du cœur.
26. Tradition du Prophète certainement apocryphe. Une autre version rapportée
par Rûzbehân lui-même dit « à la droite » au lieu de « dans les deux poignées »
(‘Arais al-bayân, sour. XVII = 1).
27. Il faut corriger les leçons des deux manuscrits ici car elles rendent la
phrase incompréhensible.
28. Celui qui décrit Dieu en niant ses attributs.
30. Il faut retenir ici la version du ms. Massignon qui comble une lacune du
ms. Mashhad.
34. Rûzbehân se réfère là à de nombreux passages coraniques. Mâlik est le nom
de l’un des anges qui président aux châtiments infligés en enfer.
36. Il s’agit de la deuxième partie de la formule de foi musulmane.
39. C’est-à-dire la prière prescrite.
40. Abû’l-Hasan al-Qurashî al-Farsî fut le contemporain d’ibn Khafîf et un
disciple de Junayd. A son sujet voir la longue note qui lui est consacrée avec
les nombreuses références dans ibn Junayd Shîrâzî, Hazâr mazâr, Téhéran,
1364, p. 395-396, et Shadd al-izâr, Téhéran, 1328, p. 370, note 1. Jâmî,
Nafahât al-uns, Téhéran, s. d., p. 219-220; Abû Nu'aym al-Isfahânî, Hïlya
al-awliyâ’, Beyrouth, 1985, t. X, p. 362-363 ; Sharânî, Tabaqât
al-kubrâ, 1.1, p. 97. Sa tombe se trouverait à Fasâ (Shîrâz-nâma, p.
143). Rûzbehân affirme qu'il avait un rang exceptionnel puisqu'il était doué à
l'instar de Jésus du prodige qui permet de guérir par l'imposition des mains
les lépreux, les aveugles de naissance {Mashrab : 316).
41. Le mot hubb, amour, ne correspond pas à la traduction persane qu'en
donne Rûzbehân. Le mot a peut-être été altéré dans les manuscrits. Il faudrait
alors lire khub, bien ou beau, selon la lecture dialectale persane. J'ai
cependant préféré maintenir dans la transcription la leçon hubb, qui
est celle des deux manuscrits.
42. Le texte doit être corrigé à cet endroit.
43. La lecture est tout à fait incertaine. Peut-être faut-il lire « les hommes
entourés de mystère » ou encore « les bien instruits », mais ce n'est qu'une
conjecture.
47. Sorte de luth à manche long.
49. Al-Shâfïî (150h/767-204h/820) est le fondateur de l'un des quatre grands
rites juridiques du sunnisme auquel Rûzbehân adhéra comme beaucoup de soufis
dès sa jeunesse. Pour une notice et les indications bibliographiques sur ce
personnage, voir H. Laoust, Les Schismes dans Vislam, Paris, 1983, p.
90-92.
50. Allusion au célèbre hadîth des voiles commenté entre autres par
Ghazâlî ; voir le traité traduit par R. Deladrière sous le titre Le
Tabernacle des lumières. Rûzbehân renvoie sans doute aussi à son traité sur
les voiles, L’Ennuagement du cœur, qui décrit les soixante-dix voiles
qui s'interposent entre Dieu et le Prophète qui en demande pardon tous les
jours soixante-dix fois.
51. Le cheval est désigné ici du nom Hayzûm ; il s'agit du cheval de l'ange
Gabriel.
52. Ceci montre encore une fois l'hostilité de Rûzbehân pour le shî'isme qui,
sous les Bouyides (932-1062), persécuta parfois les soufis, et qui disposait de
partisans importants dans la ville natale de Rûzbehân.
Visions d’après Vannée 570-57lh/1174-1175
82 - Je me vis du côté du levant.
Dieu - gloire à Lui - Se révéla à moi sous l’aspect de la beauté de l’éternité
sans commencement. Mon cœur fondit à cause de Son extrême grâce et de Son
extrême beauté. Puis, un moment après, je Le vis qui Se révéla encore à moi
sous cette même forme. Il Se révéla sous la forme de Turcs dont il n’existe pas
de plus beaux. Ils se rassemblèrent dans une plaine désertique du levant, chez
Dieu - gloire à Lui. Lorsqu’il Se révéla à eux, ils furent en proie à
l’égarement et ils furent frappés de stupeur, si bien qu’ils tombèrent
prosternés devant Lui du fait de la perfection de leur désir pour la majesté de
Dieu le Très- Haut. Puis je me vis moi-même assis, tranquille. Dieu vint à moi
et II m’apprit qu’il faisait le tour de tout l’univers à ma recherche, de sorte
que les gens de l’union ne voyaient rien d’autre que moi dans Sa contemplation.
Lorsqu’il disparut de ma vue, Je me vis qui semblait porter une robe
molletonnée à manches serrées. J’avais des cheveux sur la tête, et un bonnet
était posé par-dessus. Puis Dieu m’emporta depuis les tréfonds du mystère de
la munificence. J’allai à Sa rencontre et je pris la forme de la flèche que
l’on décoche de l’arc robuste, ou comme les vents qui soufflent avec violence.
Il ne m’arriva rien des océans, des vents, des montagnes, des cieux, de la
terre, de ce qui se trouve au- dessus d’elle ou en dessous qu’il ne le déchire
jusqu’à ce que je m’approche de Lui. Puis je Le vis, le Très- Haut, sans lieu,
sans direction dans le monde de la munificence et de la magnificence, sous la
forme même où je L’avais vu dans le levant. Lorsqu’il apparut, les anges se
rassemblèrent sous les dais de la superbe, revêtus de la forme des Turcs. Ils
portaient des habits rouges. Dieu - gloire à Lui - Se révéla à eux et ils
furent émus, troublés, dispersés comme le papillon voltigeant de tous côtés. Je
payai le péché provoqué par la beauté de Dieu le Très-Haut et je n’acquittai
ainsi que ce que Dieu voulut. Je vis soudain dans l’univers du trône la
contemplation de Dieu le Très-Haut sous l’aspect de la majesté, de la beauté et
de la splendeur, après avoir cherché dans les régions par les desseins des
consciences secrètes. Je m’y trouvai selon la volonté de Dieu. Je pénétrai dans
les océans des extases et de la joie à Le contempler dans la station de
l’intimité. Puis je Le quittai une heure durant. Puis II ôta de la distance et
de la non-distance le voile de la timidité, si bien que je Le vis sous cette
apparence. Il me fit approcher de Lui par la courtoisie, les démonstrations de
sympathie, de gaieté et de satisfaction. Il dit: «Bienvenue Rûzbehân ! » Je
poussai un cri, je me réjouis, je battis des mains1 et je fredonnai.
J’appris de Lui qu’il était à moi, et ce jusqu’à ce qu’un moment fût passé.
Puis Je disparus de Sa présence. Puis je suppliai pour que me soit remise la
félicité que j’avais éprouvée de Lui. Un moment passa. Puis II ouvrit un monde
qui vient après le trône au-dessus du piédestal, dans un pays où l’on ne peut
discerner de côtés. Dieu Se dévoila à moi par la manifestation des gloires de
la munificence. Je m’envolai de ma place vers Lui, et II me dit : « Que sont
ces soucis qui s’écoulent sur ton cœur? Ne suis-Je donc pas à toi ? Je
comblerai toute ton inquiétude, car Je suis le Vaste, le Libéral, le Généreux.
» Je demeurai dans la beauté de Sa contemplation à psalmodier, à chanter en
proie à l'émotion et à la joie, me réjouissant de Sa pérennité, de Sa majesté,
de Sa beauté et de Sa belle présentation. Puis je Le quittai. Ma félicité ne
s’était pas dissipée que je recherchai Son union une fois encore.
83 - Hier dans la nuit du vendredi,
il arriva que j’évoquai avec mes compagnons les vérités des secrets. Je leur
dis : « Celui qui reçoit l’annonce de Dieu le Très- Haut ne peut être qu’un
ange, un prophète ou un saint. L’annonce vient de Lui après le dévoilement et
la contemplation. Les anges possèdent une forme visible telle que, lorsqu’elle
se manifeste, l’inquiétude disparaît à sa vue. Les prophètes possèdent des
miracles tels que lorsque le miracle se révèle à partir d’eux, tout doute
disparaît à l’égard de leur sincérité. Les saints possèdent des prodiges tels
que lorsqu’ils se manifestent venant d’eux, aucun doute ne saurait subsister
au sujet de leur annonce. Quant à moi je ne fais partie d’aucun de ces trois
genres, car je ne compte pas parmi les gens des prodiges. Mon intention était
par cela de mettre en évidence les droits de la connaissance mystique, et les
rares sciences inspirées que Dieu le Très- Haut m’a attribuées en propre et qui
sont un avantage acquis par la manifestation de Dieu le Très-Haut jusqu’à ce
qu’ils aient compris que je vais par une parole jusqu’à une station située
au-dessus des stations des prodiges.
84 - Dieu - gloire à Lui - me parla
la nuit de samedi alors que j’étais dans ces états que j’ai rappelés, en disant
: « N’as-tu pas compris que J’étais assis à ton côté hier soir sous l'aspect de
la beauté et de la majesté ? Mon visage faisait face au tien. Je tenais dans Ma
main un miroir qui reflétait Mon visage et le tien2. Je regardais
ton visage, et Je portais le regard de ton visage vers le miroir dans lequel
apparaissaient Mon visage et le tien. » Ce fut comme si je regardai la parure
de Dieu - gloire à Lui - et je hurlai et je poussai des cris à plusieurs
reprises. Je pleurai et je suppliai sous l’effet de la perfection de Sa douceur
et de Son extrême générosité, lorsqu’il Se plaça Lui-même dans un vêtement de
Sa puissance. Et ce, jusqu’à ce qu’il me voie Lui- même car II comprit
l’impuissance de l’accident à se trouver vis-à-vis de la préétemité et des
gloires de l’éternité sans commencement lors de l’apparition de l’unité et de
l’éternité sans fin, qui sont telles que le temps, les phénomènes et le lieu
disparaissent dans la première aurore de Sa majesté comme la plume de l’oiseau
dans le feu d’Abraham. Il transcende toute pensée qui a surgi et surgira dans
le cœur de l’une quelconque de Ses créatures.
85 - Je fus dans quelques instants
de vision intérieure sous l’effet de l’ivresse et de la sobriété. Je portais le
vêtement des jeunes mariés. De ma tête tombaient des tresses semblables aux
tresses des femmes dont la tête et la poitrine sont dévoilées. J’étais comme un
beau roi qui sort de la chambre nuptiale entre les serviteurs. Je me vis en
train de voler dans le royaume angélique et je vis l’ensemble des gens de la
présence. Mais je ne vis personne d’une aussi belle forme que moi. Ils étaient
comme mus vers moi par le désir et l’amour. Je ne m’arrêtai pas auprès d’eux et
je continuai à voler au- dessus des voûtes de la réalité spirituelle jusqu'à ce
que j’atteigne Dieu - gloire à Lui. Je Le regardai, puis je regardai mon propre
visage. Sa grâce fut ma grâce, et ma grâce fut Sa grâce. Je fus dans une halte
issue de l’intimité que nulle d’entre les créatures de Dieu - gloire à Lui - ne
pourrait décrire, car c’est là le site de la qualification et de l’unification.
Je m’enfonçai dans les océans de la cécité3 à la recherche de la
vision de Dieu - gloire à Lui. Je levai la tête dans l’océan de la stupeur et
je vis un monde de magnificence tel que je ne voyais que magnificence sur
magnificence. J’en fus terrifié et je revins. Je vis dans une plaine déserte
les maîtres soufis recouvrir leurs gens de manteaux de la congrégation. Ils les
posèrent tous, et les ouvrirent. Alors je vis en eux des feuilles rouges dont
ils semblaient tirer du plaisir. Ils n’entrèrent pas en ébullition comme
d’autres appartenant au monde de l’imminence à cause de la fureur de cette
magnificence. Je vis parmi eux le maître Abû’l-Hasan ibn Hind, le maître Ja'far
al-Hadhdhâ et le maître Abû ‘Abdi’l-Lâh ibn Khafîf. Puis, après cela, je
recherchais Dieu de longues heures durant. Le Très-Haut se présenta à moi
revêtu du vêtement de la splendeur, brodé de perles et d’or rouge. Il y avait
sur Lui des lumières ressemblant à des colliers de deux rangs de perles
blanches et d’or rouge. Il me recouvrit d’un vêtement de grâce et de beauté
d’une forme telle que si les Houris des jardins du paradis pouvaient le voir
elles fondraient sous l’effet de sa beauté. Je Le vis sous cette apparence une
autre fois au milieu du lit où courent les chemins et c’est là l’une des
vallées du monde caché. Puis les extases du désir s’emparèrent de moi. Je Lui
demandai, au Très-Haut, d’accroître Sa vision. Je Le vis mais je ne pus pas le
supporter et je dis en moi-même : « Ô Tout-Puissant des cieux et de la terre,
quelle chose pourrait demeurer avec Toi alors que si je Te vois, je dois rendre
le bonheur qu’éprouve mon cœur par Ta beauté ? »
86-11 arriva que je me trouvai dans les dévoilements
des attributs et la manifestation de l’essence qui sont mes buts. Ma conscience
secrète tournoya dans les pays de l’être, et les êtres créés cherchant à sortir
des phénomènes. Je me vis comme sur la terrasse de mon couvent à Shîrâz. Je
regardai en l’air et je vis Dieu - gloire à Lui - au-dessus de notre marché
sous l’aspect de la majesté et de la beauté, tel que, par Dieu, si le trône lui-même
Le voyait revêtu de cette apparence il fondrait sous l’effet du plaisir que
produit Sa beauté. Je pénétrai dans les océans de l’extase, des états mystiques,
et des intuitions que répandent les flammes du désir, de la passion et de
l’amour. Puis je me vis assis dans la cour intérieure du couvent. Puis Dieu -
gloire à Lui - vint sous cet aspect avec encore plus de Sa beauté et avec lui ô
combien de roses rouges et blanches. Il les jeta devant moi. J’étais dans la
station de l’intimité, de la joie, et l’esprit était dans une condition telle
qu’il me sembla fondre. Alors les beautés de Ses attributs et les caractères de
Ses déterminations me furent dévoilés. Puis II disparut de ma vue. Je m’élevai
sur l’heure jusqu’au sommet du ‘Illiyûn. Je vis les prophètes, les saints et
les anges debout en rangs. Certains d’entre eux se rendaient vers ce qui
entoure la présence. Ils avaient l’apparence de la vénération. J’étais à cause
du désir pressé d’aller à Lui, pleurant, ému, stupéfait. Je posai la tête sur
les dais de la Gloire. Le sang coulait de mes yeux sur mon visage brûlant. Je
ne trouvai personne qui soit plus humblement soumis à Lui que moi-même.
J’éprouvais
un besoin extrême de Son union. Nous revînmes tous. Nous n’avions pas même pu
percevoir ne serait-ce qu’un atome des lumières de Sa munificence, si bien que
nous restâmes dans la stupeur. Je m’assis dans les stations de la stupeur. Je
suppliai. Ma conscience secrète plongea au fond des océans des représentations
imaginaires. Je les expulsai toutes de l’arène de ma pensée. Je fus occupé à
cela jusqu’à ce que se dévoile à moi la contemplation de la sainteté par la
détermination du rire. Et là ce furent les êtres créés et les phénomènes qui
rirent à cause de la saveur de ce rire.
87 - Je méditai sur le cas de la « nuit
du destin »4 au cours de la nuit du mois de Ramadân. Or l’usage
habituel que Dieu suivait avec moi consistait en ce qu’il me faisait voir la «
nuit du destin » chaque année. Il m’annonça l’arrivée de la « nuit du destin »
peut-être après la prière de l’après-midi, ou bien au moment du crépuscule. Il
me fit voir ses signes et les formes du monde du royaume angélique qu’elle
contient avant même qu’elle ne survienne. Je dis en moi-même au cours de la
prière : « Mon Dieu ! Ne m’interdis pas de voir la nuit du destin. » Et je vis
les contrées des cieux qui s’ouvraient jusqu’au sommet du ‘Illiyûn. J’y vis les
chérubins et les êtres spirituels égarés à cause de leur descente dans un
monde. Je vis la foule dans les jardins du paradis. Ridwân commandait aux
Houris du paradis et les voyait qui teignaient au henné leurs mains et leurs
jambes comme les jeunes mariées. Je vis quelques anges qui avaient pris des
tambours, des trompes et des instruments militaires. Je vis à la porte de la
présence de Dieu le Très-Haut - gloire à Lui - le tambour turc qu'ils étaient
sur le point de frapper. Je vis depuis la présence de Dieu le Très-Haut -
gloire à Lui - des roses rouges qui étaient sur le point de se répandre à
partir de toute la présence sur le monde et les univers. Je vis les prophètes
et les véridiques se séparer et se rassembler. Je vis Dieu - gloire à Lui -
qui était sur le point de Se dévoiler à la création entière sous l’aspect de la
splendeur et de la majesté. Il m’apprit que la « nuit du destin » était la
vingt et unième nuit et que les chérubins et les êtres spirituels, lorsqu’ils
se placent sous l’autorité de Gabriel au cours de la « nuit du destin », ont
pour habitude de rire et de se réjouir. Souvent je les ai vus ressemblant aux
Turcs, et souvent je les ai vus qui ressemblaient aux jeunes mariées portant
des tresses de femmes, le visage comme les visages des plus belles d’entre
elles. J’en ai vu aussi certains qui ressemblaient à des gazelles. Mais je
n’ai jamais vu d'ange dont le visage soit plus beau que Gabriel. Je recherchai
Dieu - gloire à Lui - au moment de l’aube au cours de cette même nuit. Il me
tint le discours qu’il avait tenu à Moïse au même endroit. L’une des montagnes
se fendit. Je vis dans la montagne du Sinaï une lucarne dans la montagne
elle-même sur le versant tourné vers l’orient. Dieu - gloire à Lui - se révéla
à moi de cette lucarne et dit : « C’est ainsi que Je suis apparu à Moïse. »
Alors je vis Moïse qui semblait L’avoir vu, le Très-Haut. Il dévala la
montagne, ivre, jusqu’au pied de le mont. Je vis la contemplation de la
douceur, et elle était encore plus belle que cette contemplation.
88 - Je tombai un jour sur le cas de
certains lecteurs du Coran et d’écrivains qui stigmatisaient les extatiques et
ceux qui réalisent d’entre les gnostiques, les unifiés parmi ceux qui sont
sujets au dévoilement, et les véridiques d’entre ceux qui contemplent. Ils
sortirent contre la prétention des maîtres et leurs étapes spirituelles. Puis
je regrettai cela, et je demandai pardon à Dieu le Très-Haut, pour eux, selon
ce que j’entendis de sa parole [au Prophète] : « L’expiation de la calomnie
consiste à demander pardon pour celui qui les a calomniés. » Puis je priai la
prière du crépuscule. Je vis un chien jaune dans les étendues désertiques, et je
vis l’ensemble des calomniateurs la bouche ouverte. Le chien attrapa entre ses
dents la langue de chacun d’entre eux dans leur bouche, et dévora leurs langues
en moins de temps que prend un clin d’œil. Et j’en finis avec cela. Lors de la
nuit du vingt du mois de Ramadân, il y eut quelqu’un qui dit : « Ceci est un
chien d’entre les chiens de la géhenne. Chaque jour son repas est constitué de
la langue des calomniateurs. Celui dont le chien a dévoré la langue, Dieu le
Très-Haut n’agrée pas son jeûne. » Je demandai alors à Dieu Son aide contre Son
châtiment. Je pleurai et j’implorai. Puis l’idée se présenta à mon esprit que
si la calomnie hérite de ce que j’ai vu, de quelle sorte de repentir fait-Il
hériter ces pleurs ? Je vis des anges aux très beaux visages venir prendre mes
larmes et les boire. Ils dirent : « Nous sommes les jeûneurs de Dieu le
Très-Haut, et nous rompons le jeûne avec tes larmes. » Puis je vis le Prophète
venir à moi depuis l’intérieur de Médine sous l’aspect vénérable d’un Turcoman.
Il portait une robe ajustée et un bonnet. Il sortit sa main droite de sa robe.
Il tenait de sa main gauche un arc et quelques flèches. Il ouvrit la bouche, il
prit ma langue, et il suça ma langue avec douceur. Puis je vis Adam, Noé,
Abraham, Moïse, Jésus et l’ensemble des prophètes et des envoyés venir à moi et
sucer ma langue. Puis je vis Gabriel, Michel, Séraphiel, Azraël et tous les
anges sucer ma langue. Et de même firent tous les saints et les véridiques.
Les extases et les cris et les sanglots s’emparèrent de moi. Puis Dieu le
Très-Haut releva le voile du royaume angélique sous l’aspect de la majesté et
de la beauté, les qualités des attributs dévoilés sous la forme d’Adam. Puis II
me fit voir Sa magnificence et Sa majesté dans une autre station, et ainsi
jusqu’à ce que je L’aie vu dans soixante-dix stations5, telles qu’à
chaque station c’était un attribut que je n’avais jamais vu auparavant. Puis II
me tint un discours de magnificence, si bien que je Lui répondis « me voilà »
à chaque discours. Puis II me fit asseoir à la table de la sollicitude. Je vis
sur Lui des couleurs plus intenses que tout ce dont mon cœur peut se souvenir
de comparable. Puis Dieu le Très-Haut, m’appela à partir de cela et je répondis
: « Mon Dieu ! Tu es au-dessus du manger et du boire. Chaque fois que mes
pleurs viennent du repentir les anges les boivent. Qu’en est-il de mes pleurs
lorsqu’ils viennent du désir et de l’intimité dans la contemplation ? » Il dit
- gloire à Lui : « C’est là Mon breuvage. » En effet ceci est dans les usages
de la bienveillance qu’il prodigue à Ses prophètes et à Ses saints. Et, certes,
Il transcende les attributs des phénomènes. Ne vois- tu pas comme II a dit à
Moïse: «Je serai ton hôte demain. » Moïse prépara un repas d'hôte et attendit
la venue de Dieu - gloire à Lui - par la réalisation intérieure de sa foi que
provoquait Sa parole, le Très-Haut. Un mendiant vint6. Il demanda
l’aumône à Moïse avec rudesse. Moïse dit : « Prends une jarre et remplis-la
d’eau du Nil. Puis viens et mange ce que tu auras puisé. » Le mendiant disparut
mais celui qu’espérait Moïse n’apparut pas. Après, les enfants d’Israël mangèrent
ce qui se trouvait sur la table d’hôte. Puis Moïse retourna dans la montagne du
Sinaï et dit : « ô mon Dieu, mon prince, Tu n’as pas respecté le rendez- vous.
» Le Très-Haut répondit : « Je suis venu à toi. Je t’ai réclamé de quoi manger,
et tu M’as envoyé au Nil. » Il dit : « Mon Dieu, mais tu transcendes de telles
images. » Le Très-Haut dit : « Ô Moïse ! ne sais-tu pas que lorsque tu nourris
un mendiant affamé, tu Me nourris ? » ce qui est une tradition. Puis je vis le
Très-Haut sous l’aspect de la superbe, de la préétemité et de la pérennité plusieurs
fois. Puis je Le vis dans la majesté de l’intimité sous la détermination de la
sainteté, alors que là ne subsiste plus aucune station. Je plongeai dans les
océans de la permanence et de la réalité préétemelle et postétemelle. Puis je
fus anéanti en tous mes attributs. Puis je descendis dans le monde du royaume
angélique. Je vis l’ensemble des êtres créés dans Sa munificence plus petits
qu’un grain de moutarde. Puis je voyageai sur les esplanades de la réalité
prééternelle, ivre, en proie à l’émotion. Puis II m’habilla d’un vêtement de Sa
grâce et de Sa beauté. J’étais là l’objet de l’amour de Dieu le Très-Haut. Il -
gloire à Lui - m’aima et me combla de faveurs telles que même si j’en parlais
nulle des créatures de Dieu le Très-Haut ne pourrait l’entendre si ce n’est
selon ce que Dieu veut. Puis II me revêtit de Ses attributs. Puis II m’unifia
par Son essence. Puis je me vis moi-même comme si j’étais Lui, si bien que je
ne pensais à rien d’autre qu’à moi-même. Puis je m’éveillai de cela et je
descendis depuis la condition seigneuriale jusqu’à la condition de créature.
Puis je souhaitai la station de l’amour jusqu’à ce que je me voie être
moi-même la maison de la majesté. Je vis Dieu - gloire à Lui - sous l’aspect de
l’équivocité et je demeurai dans la station de l’intimité pendant une heure,
absent de tout ce qui n’est pas Lui. De nombreuses extases s’emparèrent de moi,
accompagnées d’agitation et de pleurs issus de la station de l’intimité, et de
battements de mains provoqués par la contemplation de l’œil. Il m’appela
plusieurs fois. Et après cela, je me prosternai. Je vis sur mon dos les fardeaux
des lumières de la magnificence. Je demandai7 : « Mon Dieu ! qu’est-
ce que ceci ? » Il répondit : « La lumière de l’équilibre. » Je dis : « Mon
Dieu ! quelle est la signification de Ta parole “Le Compatissant se tient
tout entier en équilibre sur le trône8” ? ». Le Très-Haut dit :
« Lorsque Je révèle le trône et que Je Me révèle depuis le trône à qui Je veux,
c’est cela Mon équilibre sur lui. » Ceci, ô mon frère, est un récit qui
appartient aux adeptes de la négation parmi les gnostiques, et quiconque n’est
pas fermement établi dans la connaissance mystique et regarde dans ce livre
m’accusera d’anthropomorphisme, et son cou en sera frappé.
89 - Il m’arriva par la grâce de
Dieu le Très-Haut, pendant la « nuit du destin », vingt et unième nuit de
Ramadân, que je vis des formes étonnantes. Parmi l’ensemble, je vis certains
anges ressemblant à des Turcs et certains ressemblant à de jeunes mariées. J’en
vis certains au sommet de la montagne Qâf. J’en vis certains qui jouaient de
tanbûrs. Je vis au seuil de la présence Gabriel, qui chantait des psaumes
comme un jeune page. Tous les habitants de la présence, submergés par la joie
et le rire, descendirent des sommets des montagnes jusque dans les plaines
désertiques et les régions comme s’ils se congratulaient les uns les autres de
l’existence de la « nuit du destin ». Dieu le Très-Haut Se révéla au début de
Sa nuit et au milieu de Sa nuit, au début de Sa nuit depuis les tréfonds du
monde caché et au milieu de Sa nuit depuis la cime du ‘Illiyûn, comme s’il, le
Très-Haut, se révélait au milieu de roses rouges. Je n’ai jamais vu quelque
chose de plus beau au cours de l’ensemble de mes dévoilements. Puis II
descendit à la fin de la nuit sous l’aspect de l’équivocité de la majesté et de
la beauté. En face de Lui se trouvait le Prophète et II dit : « Ils
n’atteindront pas Ma proximité et Ma contemplation que Je ne l’ai voulu.
Lorsque Je veux accorder à quelqu’un une miséricorde, Je lui ouvre l’une des
portes des mondes cachés. Mais ils n’osent pas approcher de Moi9 car
Ma proximité est la proximité des connaissances mystiques, non la proximité [au
sens] de la distance. Qu’est-ce donc qui oppresse ta poitrine ? Moi Je demeure
par Mon essence et nul avant, nul après, nul dessus, nul dessous, nulle droite,
nulle gauche, nulle imagination, nulle conjecture, nulle proximité, nul
éloignement. Gloire à Moi !10 Je suis préétemel et postéternel sans
temporalité. Je suis existant, munificent, éternel sans spatialité. Les
essences sont prises de stupeur par ce qui se trouve entre le trône et la terre
au point que ne subsiste rien d’autre dans leurs cœurs que la stupeur. Toi de
même tu es au nombre des stupéfaits. Nulle ténèbre ne te recouvre. » Je dis : «
Mon Dieu ! je ne peux me contenter de cela. » C’était comme si je Le voyais et
ne Le voyais pas en même temps car j’étais dans une sorte de cécité. Puis cette
cécité me fut dévoilée et je Le vis à l’intérieur du monde caché. Mais je ne Le
vis pas comme je l’aurais voulu. J’implorai. Alors je Le vis dans l’extérieur
du monde caché. Mais je ne connus pas de Lui la vérité de l’union. Je me fâchai
et je me sentis oppressé. Je dis : « Il faut donc que tous les serviteurs
s’éloignent de Ta porte et qu’ils se prennent eux-mêmes comme axe
d’orientation. Qu’est-ce que cette angoisse ? » Puis II S’arrêta un moment.
Puis je Le vis, le Très-Haut, qui apparaissait dans le monde du royaume
angélique visible. Lorsque je Le vis sous l’apparence de la majesté et de la
beauté, Il approcha de moi et j’approchai de Lui. Il était tel que je le
souhaitais, mais je ne pouvais pas me contenir à cause du paroxysme de
l’extase, de l’état, des cris, des sanglots et de l’agitation que provoquait la
force de Sa grâce, de Sa beauté et de Sa douce union. Je demeurai ainsi un
moment. Survint dans mon cœur : « Comment fait-il avec les êtres créés et les
phénomènes ? et où sont la magnificence et la superbe ? » Alors je vis la face
de Dieu - gloire à Lui - sous l’aspect de la magnificence tel qu’il me sembla
que j’allais fondre.
90 - Je vis les êtres créés soumis
aux vents violents. Le début de ce dévoilement fut que je vis dans mon sommeil
cette nuit-là quelques contemplations de l’équivocité. Lorsque je m’éveillai,
Dieu - gloire à Lui - me tint un discours en ces termes : « Elle dit :
“Entre auprès d’elles” Quand elles le virent, elles l’adorèrent11. »
Et II dit : « Que sera belle la récompense de ceux qui font le bien12.
» Je sus que Dieu m’apparaîtrait et me donnerait ce qu’il donne à Ses
prophètes et à Ses purs. Soudain je contemplai les lieux de réunion des étapes des
voyageurs du monde caché. Je fus pris de stupeur face à l’œuvre qu’accomplit
Dieu le Très-Haut avec Ses saints. Je fus étonné de leur union avec Lui :
comment est-ce possible alors que le phénomène est un phénomène nouveau et que
la préétemité est l’ancienne préétemité ? Par quelle sorte de relation le
recherchent-ils ? Je m’installai au-dessus de Lui, et par Lui l’affirmation de
l’unicité s’éloigna de Sa perfection. Alors que je me trouvais ainsi, Il fit
apparaître soudain pour moi les rayons de la lumière levante des soleils des
attributs. Mon cœur éprouva une sensation agréable, et je Le vis comme si
c’était la station la plus proche que ce que j’avais jamais trouvé venant de
Lui, le Très-Haut. Ma mémoire se souvint de l’histoire de Moïse. Alors je le
vis13 se diriger vers la proximité de Dieu, sa vision de Lui, et
certaines de ses étapes spirituelles élevées et de ses nobles miracles, comme
on le rapporte dans les traditions. Ma mémoire s’estompa et je dis : « Mon
Dieu ! Tu transcendes toute relation avec les créatures. Or Tu as accordé à
Moïse ces miracles et là sont les étapes spirituelles, et une distinction par
les entretiens spirituels. Quelle sorte de proximité y a-t-il entre Toi et lui
? Moi aussi je suis l’un des fils d’Adam. Mais que m’as-Tu donc donné? » Il
m’apparut alors sous l'aspect de la majesté et de la beauté, et II me dit : «
Moïse, lui, est venu à Moi. Mais c’est Moi qui suis venu à Toi soixante- dix
mille fois14 du seul moment de ton coucher jusqu’au moment de ton
réveil. A chaque fois j'ôtais de ton visage le voile qui le recouvrait et comme
je te voyais endormi j’attendais ton réveil. » Lorsque j’entendis cela, la
houle déferlante des océans de l’affirmation de l’unicité me saisit, et me
quitta après qu’un moment eut passé. Alors mon cœur prit son envol dans le
monde du royaume angélique. Il monta par-dessus tout au-dessus, et la
magnificence et la majesté m’apparurent par les lumières de la superbe de
l’essence. Puis II dit : « N’as- tu pas lu dans une sourate : “Dis : Il est
Dieu, Unique, Dieu le Seul. Il n’a pas engendré et n’a pas été engendré. Et nul
n’est égal à Lui15”, et “Rien n’est à Sa ressemblance 16”
? Peux-tu voir quelque chose de l’être créé, peux-tu voir du lieu, peux-tu voir
du temps, peux-tu voir de la forme, peux-tu voir quelque chose des instruments
qui causent les phénomènes et de l’effusion des êtres créés ? Voilà, c’est Moi,
tu Me vois par l’aspect17 de la majesté, de la munificence et de la
surexistence. C’est là l’univers de l’unité et la station de l'affirmation de
l'unicité. » Je me rappelai des étapes spirituelles de notre prophète Muhammad
quand « Il approcha et fut suspendu18. » Y a-t-il dans la
contemplation autre chose que la contemplation de la sainteté ? Dieu - gloire à
Lui - me fit connaître par une inspiration le moment où II lui fit accomplir
Lui-même l’ascension nocturne dans la station de l’équivocité, là où il dit19
: « J’ai vu mon Seigneur sous la plus belle forme », et : « Ô Muhammad !
pourquoi donc la multitude sublime s’est-elle querellée ? » Il dit : « Je
répondis : “Ô Seigneur ! Tu es le plus savant”, jusqu’à ce qu’il parle une
autre fois. Alors il posa la paume de Sa main sur mon omoplate et je ressentis
un froid descendre devant moi, par quoi je connus ce qui fut et ce que sera
l’avenir20. » Et je compris que Dieu le Très-Haut m’avait comblé de
faveurs lorsqu’il me fit voir ce qu’il avait fait voir aux prophètes des étapes
spirituelles de l’affirmation de l’unicité et de l’amour. Ceci est une conquête
venue de Lui. Mais moi je Le recherche sous l’apparence de la préétemité, et
les déterminations de la superbe, et de la magnificence dans tous les instants21.
Et II m'enseigna que la station de l’affirmation de l’unicité et la station de
l’équivocité font partie des nécessités des articles de foi des adeptes de
l’amour et de l’affirmation de l’unicité.
91 - Je demeurai, une fois, assis
dans le conseil de la vigilance intérieure recherchant l'avènement de la
vérité. Les souvenirs s’amoncelèrent et les pensées se succédèrent. Je
combattis les démons et je repoussai les analogies qu’ils me suggéraient
jusqu’à ce qu’un moment fût passé. Or rien ne me fut ouvert. Ma conscience
secrète se déroba et mon cœur fut altéré par le goût amer de l’absence.
J’invoquai Dieu le Très-Haut, dans l’inconscience et la conscience, récitant
les paroles des adeptes de l’exultation. Je dis : « Quelle est donc cette
angoisse tandis que le tapis de Ton don est déployé dans le monde caché? Si Tu
m’apparaissais par la source de l’unité, qui donc dans les cieux et sur la terre
T’attaquerait? et si Tu m’accordais la contemplation demandée, après le
dévoilement de la majesté et de la beauté, qui depuis le trône jusqu’à la terre
Te contesterait, qui Te querellerait, qui T’attaquerait? N’es-Tu donc pas le
Terrible des cieux et de la terre ? Le changement qui affecte les phénomènes ne
T’atteint pas. La protection, la sécurité, voilà ce dont on cherche le secours
auprès de Toi. Tu traites Tes saints et les adeptes de Ton désir comme les
impies eux-mêmes dans leurs excès ne traitent pas les croyants qui tiennent
pourtant d’autres mots que ceux de l’entretien nocturne des adeptes de
l’exultation et l’intimité. » Il me condamna à la convoitise des lumières de
l’épipha- nie de l’essence dans les attributs et de l’épiphanie des attributs
dans les opérations théophaniques. Puis II m’apparut chaque heure revêtu du
vêtement de la condition seigneuriale dans des opérations diverses que les
soufis appellent station de l’équivocité. Chaque fois que je Le vis je criai,
je sanglotai, et je battis des mains. Ma conscience secrète et mon intelligence
éprouvèrent une sensation agréable, et Lui demandèrent l’abstraction de
l’unification. Après cela II ne me fit rien voir d’autre que les empreintes des
pas de la prééternité qui allaient depuis les tréfonds de l’éternité sans
commencement jusqu’aux hauts lieux qu’occupe ce qui est au- dessus des êtres
créés et des phénomènes.
92 - Je m’éveillai une nuit
contrairement à mon habitude, et je m’en inquiétai. J’étais au milieu de la
nuit extrêmement fatigué à cause de la fin de la sieste et de la vue des
mouvements. Des événements invisibles me firent bouger. Je fainéantais lorsque
quelqu’un dit : « Je suis pris de désir pour un compagnon. » C’était quelques
vers que j’avais entendu déclamer par des chanteurs. Je sus que c’était le
site du discours dans lequel je fus pendant une heure. Puis quelques personnes
frappèrent des coups distinctement et je compris qu’il, le Très-Haut, voulait
me faire lever. Je me levai et je fis mes ablutions. Je me dis en moi-même : «
La nuit est passée et le moment de l’aube s’en est allé. Comment accomplir les
vigilances intérieures ? » Je craignais que l’ouverture des portes du monde
caché ne me soient plus possible. J'entendis la voix d’un hibou. C’était une
voix agréable et puissante. Ce discours qui empruntait la voix d’un hibou ne
m’était pas destiné à ce moment- là. Je sus que Dieu - gloire à Lui - m’ouvrait
l’une des portes des trésors de Sa libéralité. Je priai deux prosternations et
je m’assis pour m’adonner à la vigilance intérieure. Mon cœur s’enfonça dans
les océans des opérations théophaniques, mais je ne trouvai rien d’autre que
cécité sur cécité. Puis je plongeai et je parvins jusqu’à l’univers des
opérations théophaniques de l’élite. Puis je traversai cela et j’atteignis les
lumières des déserts des attributs. J’étais là entre l’occultation et la
révélation. Dieu Se révéla depuis le monde de la puissance. Je demandai : «
Qu’est-ce que cette révélation ? » Il dit: «Il S’est révélé par la magnificence
et la superbe. » Je méditai sur cela, et je regardai. Soudain c'est la main de
Dieu - gloire à Lui - qui me fut dévoilée. Je vis dans les tréfonds du monde
caché une lumière étemelle qui allait jusqu’à l’univers des posté- temités, qui
semblait saisir par Sa main l’ensemble des êtres créés et des phénomènes à
l’image d’une balle. Les phénomènes furent réduits à néant sous Sa main, le
Très-Haut. Le Très-Haut me tint un discours en ces termes : « La main de
Dieu est au-dessus de leurs mains21. » Puis je ne me contentai
pas de ces dévoilements, et je méditai sur les gloires de la majesté. Le propos
du Prophète revint à ma mémoire : « Son voile est la lumière. S’il la
dévoilait, les gloires de Sa face consumeraient celles de Ses créatures dont
le regard arrive jusqu’à Lui. » Lorsque je réfléchis à cela, les lumières des
gloires de Sa face, le Très-Haut, m’atteignirent et je faillis être consumé par
l’opération de Dieu le Très- Haut directement. Je vis notre Prophète, Adam,
Noé, Moïse et les plus grands des prophètes effrayés à cause de la puissance
des gloires. Je m’enfuis avec eux. Dieu le Très-Haut me saisit par la force
préétemelle et me dévoila la majesté de Sa face. Je vis les phénomènes depuis
le trône jusqu’à la terre, qui semblaient être foulés sous Sa face comme le
plus petit grain de moutarde. Dieu - gloire à Lui - me tint un discours disant
: « Toute chose périt excepté Sa face23. » Cela me précipita
dans les océans d’extases. Je fus comme un papillon dans les rayons du soleil,
immense. Le Très-Haut obtint de Son serviteur le prix de l’objet de son
aspiration. Je connus que la sainteté est un pur don. Je priai Dieu le Très-
Haut de m’accorder une science. Mais je fus effrayé par la demande. Soudain
Dieu - gloire à Lui - me fit asseoir sous l’aspect de la majesté et de la
beauté. Il m’enivra du vin de Son union. Il me stupéfia par les parfums que
répand Son intimité. Il éveilla mon désir par les coupes de vin de Son
égaiement. J’éprouvai une délicieuse extase jusqu’à ce qu’un moment fût passé.
Je Lui réclamai alors la manifestation claire de Ses attributs et de la
perfection de la sainteté de Son essence. Soudain je le vis dans la demeure de
la majesté sur le tapis de la proximité. Mon désir pour Lui augmenta. Je
désirai de Lui qu’il me fasse fondre dans Sa grâce et dans Son union. Une heure
passa. Puis je désirai de Lui une contemplation encore plus grande. Je Le vis,
le Très- Haut, dans les étendues désertes du monde caché. Je me vis moi-même me
rouler par terre devant Lui dans ces étendues désertes. Je me roulai par terre
devant Lui du début à la fin du désert plus de mille fois, tandis que Lui, le
Très-Haut, me regardait de l’œil de la magnificence et de la majesté. Puis II
dit : « C’est ainsi que fit Moïse. Il se roula dans la terre dépouillé de ses
vêtements, cinq fois par jour24, humilié devant Dieu le Très- Haut,
abaissé devant Sa puissance. » Certes Dieu est au-dessus de l’itinéraire des
pensées des sanctifiés, de l’allusion des unificateurs, car II a une apparence
qu’il a décrite Lui-même de toute éternité et à jamais.
93 - Ma conscience secrète s’envola
dans les phénomènes. Je les vis tous vides de l’existence de la prééternité
de l’essence et des attributs. Dieu est au-dessus du lieu et du temps. Je me
dis en moi-même : « Voilà ce que sont les êtres créés et les phénomènes. Si ce
qui est à leur image était à l’instant de l’être, alors il en serait ainsi
jusqu’à la postétemité en haut et en bas, à droite et à gauche, derrière et
devant. Mais voilà, c’est Dieu le Très-Haut, qui transcende tout cela, et l’incarnation
en eux. Comment rechercher Dieu - gloire à Lui - et qui peut Le voir si Dieu le
Très-Haut ne veut pas que Son essence lui apparaisse ? Il demeure par Son
essence de toute éternité et à jamais. » Je fus pris de stupeur à rechercher.
Et soudain je Le vis sous l’aspect de la majesté et de la beauté dans ma maison
« sous la plus belle forme ». Je fus la proie de l’émotion. J'aimai. Je
désirai. Mon amour et mon affection augmentèrent. Dans mon extase et mon état,
mon cœur ne put évoquer le cas de l’anthropomorphisme et de la négation car,
dans Sa vision, le Très-Haut, les définitions des intelligences et des sciences
tombent. Un moment passa. Puis j’eus une vision une autre fois. Il montait
depuis le monde caché sous l’aspect de la majesté. Je demeurai des heures en
proie à la nuée de l’extase. Puis je Le vis au moment de l’aube. Il apparut
sous l’aspect de la majesté et de la beauté, de la munificence et de la
splendeur dans les étendues désertes du monde caché sur le seuil de la
présence. Au premier fil de l’aurore de la préétemité, je m’enfonçai dans le
sang répandu des substituts. Il me montra cela. J’en pris la teinte par le sang
des substituts. Je me dis : « Qui suis-je parmi eux ? Se pourrait-il que je
sois l’un d’entre eux? » Je Le vis d’une teinture plus subtile que cette
teinture, au-dessus de leur teinture. Et II m’indiqua que c’était mon propre
sang. Je fus saisi d’extase sous l’effet de la joie et je criai à plusieurs
reprises. Ma conscience secrète, mon cœur, mon intelligence et mon esprit faillirent
s’envoler dans l’atmosphère de l’égoïté et se trouver ainsi réduits à néant
dans les lumières de la gnose. J’eus peur de ce que je vis car cela annonçait
quelque tourment. Je L’avais vu, le Très-Haut, à certains moments du passé, qui
sembla m’égorger à plusieurs reprises. Mon sang fut répandu sur les marchés du
monde caché. Or après cela je fus précipité dans un immense tourment et je
cherchai assistance auprès de Lui contre cela en disant : « Je prends refuge en
Toi contre Toi. » Puis je me vis dans la demeure de la majesté sur le tapis de
l’intimité25 en compagnie de Dieu le Très-Haut. Il me proposa un vin
que je ne saurais décrire. J’atteignis la station de l’union, de l’intimité et
de la beauté. Que Dieu m’accorde ainsi qu’à toi ces stations sublimes jusqu’à
la postétemité de la postéternité.
94 - Au cours de la vingt-neuvième
nuit du Ramadân, entre les deux prières du soir, alors que je songeais à
quelques problèmes de ce bas monde, il arriva soudain que surgit dans mon cœur
une joie. Elle m’agita, me réjouis, m’emplis de désir et m’ébranla au point que
je fis les mêmes mouvements que les mouvements des victimes que l’on égorge et
qui en sont ivres, et au point que je tins des propos semblables à ceux
qu’elles tiennent dans l’ivresse. Puis, après cela, Dieu - gloire à Lui - Se
dévoila à moi et dit: «Jusqu’à quand seras-tu préoccupé ? Je ferai ce que tu
voudras. » Cela se produisit après qu’il Se fut approché de moi. Il avait
l’apparence de la majesté et de la magnificence. Il demeura avec moi pendant
des heures. Puis II Se révéla à moi depuis le monde du royaume angélique. A
chaque heure II Se révéla peut-être par des manières qui émanaient des
attributs préétemels et postétemels. Il m’appela à plusieurs reprises. Il
emporta toute ma mélancolie. L’intimité, la dilatation de soi, l’amour, le
désir, la passion, l’extase, les soupirs et les larmes s’emparèrent entièrement
de moi dans la contemplation. Or à cet instant je désirais l’accroissement de
la manifestation des gloires de la préétemité, et Dieu me parla en ces termes :
« Dieu a disposé pour chaque chose une mesure26. » Je compris
par cela des choses, dont le caractère trompeur27 des cérémonies de
la « nuit du destin ». Puis la majeure partie de la nuit passa et je
m’éveillai. J’étais dans la vigilance intérieure en train de psalmodier [le
Coran], Je vis Dieu - gloire à Lui - par l’une des lucarnes du royaume
angélique sous un attribut tel que, s’il Se révélait par lui à l’ensemble des
créatures, elles fondraient de délice et de douceur. Il m’adressa un discours
et me combla de faveurs plusieurs fois. Je demeurai ainsi jusqu’à ce qu’arrive
le moment de l’appel à la prière. Les portes du monde caché se fendirent en
deux. Or ma pensée voyagea par la détermination de la méditation dans les
phénomènes quêtant la beauté du Compatissant - qu’il soit exalté et sanctifié
-, et elle ne put pas traverser l’être créé car c’est par la science et non par
la contemplation qu’elle atteignit le lieu où finissent les phénomènes. Elle
ne vit donc rien d’autre après cela que cécité et fantaisie, et ne put rien
voir des lumières de la sainteté. Elle souffrit, revint et hésita pendant une
longue heure. Dieu - gloire à Lui - apparut sous la forme de la beauté et me
plaça dans Sa vision, animé d’un désir parfait pour Sa proximité et Son union.
Puis II disparut et j’implorai humblement. Puis II apparut sous l’aspect de la
majesté. Puis II suscita en moi une folie amoureuse et une passion pour Sa
face, le Très-Haut. Puis II m’abandonna et disparut et la douceur de Sa contemplation
- gloire à Lui - demeura dans mon cœur. Les parfums des haleines de la sainteté
imprégnèrent la station de l’intimité, et la lumière de la révérence s’éleva
sur mon cœur, comme s’il, le Très-Haut, fut subitement près de moi sous
l’aspect de la magnificence. Ma pensée et mon cœur furent embrouillés. Mon
esprit s’envola. Mon intelligence s’enfuit. Mes consciences secrètes furent
rafraîchies. Mon instant fut doux. La lumière de Sa pérennité se répandit sur
moi. Je vis Dieu - gloire à Lui - sous l’aspect de la munificence, mais je n’en
compris rien. Car lorsque je Le vis dans le monde du mystère, Il illumina
toute l’étendue des royaumes de Son univers angélique par la lumière de Sa
majesté. Il Se révéla sous un aspect que je ne saurais décrire. Il Se tenait en
face de moi avec Sa face - que soit exaltée Sa majesté - comme s’il était
dressé à manifester les réalités cachées des attributs et la beauté de la
majesté de l’essence. Puis les océans des gloires de Sa face me saisirent, et
II m’y plongea. Je ne vis point après cela les lumières de la superbe. Je m’en
retournai, m’en enfuyant, car c’est là que se tarit la représentation. La
saveur en demeura dans mon cœur et cette contemplation resta dans l’œil de mon
esprit comme si je Le voyais comme je L’avais vu pendant toutes ces heures. Et
II m’en fit hériter sous forme d’intimité et d’émotion.
95 - Je fus à l’instant de
l’oppression rejoint par les tristesses, enfouies sous l’amoncellement de la
fureur de l’absence, jusqu’à ce que Dieu - gloire à Lui - me réveille par la
détermination de l’imminence sous l’aspect de la beauté et de la majesté. Je
disparus dans les océans des extases. Puis Dieu m’apparut - gloire à Lui - dans
les tentures de la théophanie, et devant Lui montèrent de tous les chemins des
anges accompagnés par les cierges des êtres spirituels jusqu’à ce qu’ils
arrivent à moi. Je péris plusieurs fois sous l’effet de la manifestation de Sa
majesté, et II me combla de faveurs. Je demeurai en cela un certain temps tel
que le Très-Haut place l’ensemble de mes amis dans une station qui ressemble à
celle-là. Puis je vis le maître Abû ‘Abdi’l-Lâh ibn Khafîf, le maître Abû Ishâq
ibn Shah- ryâr28, Junayd Ruwaym, Bâyazîd al-Bistâmî et tous les
maîtres montés sur le dos de chevaux venir tous chez Dieu - gloire à Lui - et
se tenir devant Dieu. Al-Junayd et Abû Yazîd me témoignèrent de la compassion.
Certains des plus grands maîtres aspiraient à être plus proches de Dieu -
gloire à Lui - que moi de Lui. Ils étaient tous enflammés de désir pour Lui.
Ils criaient. Ils jetaient des projectiles. Ils étaient agités. Le monde
tremblait à cause d’eux. Je vis Dieu - gloire à Lui - sur une montagne sainte.
Il me rapprocha de Lui. C’était une montagne élevée. Dieu me fit asseoir à Son
côté et me proposa à plusieurs reprises les vins de l’intimité. Il me prodigua
des caresses sous une apparence dont je ne pourrais supporter de parler à
quelqu’une des créatures de Dieu. Il était dévoilé, et les lumières des beautés
des attributs apparaissaient à partir de Lui. Les soufis étaient au pied de
cette montagne, ne pouvant gravir la montagne. Dieu - gloire à Lui - nommait
cette montagne « montagne de la superbe », car les lumières de l’univers de
l’unicité étaient liées à cette montagne. Là je fus ivre. J’étais dans un tel
état que si les habitants du bas monde me voyaient ils fondraient à cause de
l’intensité de ma grâce. Dieu le Très-Haut, me revêtit des gloires de Son
apparence, et de mon visage et de mes tresses effusèrent des roses rouges. Or
une rose tomba de mon visage au milieu des soufis. Ils en poussèrent des cris
et dansèrent. Un moment passa et mon cœur ne pouvait se calmer de l’allégresse,
de l’intimité et de la contemplation. Dieu - gloire à Lui - me ravit de la montagne
de la superbe jusqu’à l’univers de la sainteté, de l’abstraction, de la
prééternité, de la condition prééternelle et de la condition postéternelle.
Des lumières, des gloires, de la majesté et de la beauté m’apparurent tels que
[ce qui va] du trône à la terre était plus petit qu’un atome à côté de cet
univers. Je demeurai un moment dans la contemplation de Dieu par la
détermination de la sainteté. Je comptais là parmi les extatiques, les amants,
les anéantis, les surexistants, les gnostiques, les ignorants et les savants.
Je désirais ardemment demeurer dans cette station car là se trouvent la vue de
la substance simple et la vision de la vision. Puis Son éclat me saisit et me
fit disparaître de Sa présence. Que Dieu le Très-Haut me prodigue ainsi qu’à
toi la contemplation continue de cet univers.
96 - A l’aube je m’assis à la
recherche de la contemplation du monde caché. Je me vis moi-même subitement
dans une plaine désertique étendue entre les montagnes. Il y avait entre moi et
la présence des voiles épais. J’entendis la parole de Dieu - gloire à Lui -,
qu’il prononçait de derrière ces voiles. C’était comme si j’entendais les sons
d’un terrible tonnerre et d’immenses foudres par exemple. Les êtres créés et
les phénomènes semblèrent fondre sous l’effet de la révérence qu’entraînait Sa
parole. Je ne compris pas ce que je L’entendis prononcer, et j’espérai de Dieu
- gloire à Lui - qu’il m’enseignât ce qu’il disait. Il dit : « Je dis : “Son
ordre consiste uniquement, lorsqu’il veut une chose, à lui dire 'Sois /' et
elle est. Gloire à celui dans la main duquel se trouve le royaume de toute
chose, et à Lui vous retournerez29" » Je me dis en
moi-même : « Les êtres fuient la violence de sa parole, comment quelqu’un
pourrait-il demeurer en face de Sa munificence et du dévoilement de Sa beauté ?
» En un instant ces voiles furent ôtés, et je Le vis, le Très-Haut, sous
l’aspect de la majesté et de la beauté, de la révérence et de la superbe. Il me
fit approcher de Lui et me donna plus de force jusqu’à ce que je puisse le voir
tel que je le désirais. Je vis tous les prophètes gisant dans les déserts du
monde caché, ivres, blessés, rouges de leur sang, sous l’effet de la violence
de Sa majesté et des assauts de Sa magnificence. Puis je Le vis encore plus
proche que ce qui Se révélait à moi de tous Ses attributs de grâce et de beauté
dans la station de l’exultation. Il me reçut gaiement et dit : « Sous cette
forme telle que tu Me vois, Je Me suis rendu pour toi dans ta ville et dans ton
quartier avant même que Je ne t’ai créé soixante-dix mille fois depuis l’univers
de la préétemité. » Je fus revêtu à cet instant de la forme de ceux qui sont
enivrés par la joie, l’émotion, les battements de mains, les sanglots et les
larmes. Un moment passa à cela, où j’étais entre la sobriété et l’ivresse,
entre la conscience et l’inconscience, et entre l’anéantissement et la
surexistence. Jamais je n’entendis tout au long de mon existence quelque chose
de semblable à ce que j’entendis des voix de la magnificence.
97 - Je me souvins des jours de
l’aspiration mystique, les dispositions de l’effort ascétique qui s’emparèrent
de moi, et leur disparition de mon cœur pendant une durée de vingt ans. Je
demeurai sans exercice spirituel et sans effort d’ascèse, si bien que les
invocations des maîtres et l’abondance d’exercices spirituels par lesquels ils
commencent disparurent de mon cœur, comme si je ne les trouvais pas louables
dans le conseil de la connaissance mystique, parce que la connaissance pour
moi était un avantage acquis par d’autres moyens [sinon] c’était la
connaissance du vulgaire. Mais je méconnaissais ma pensée ainsi, et je ne m’en
préoccupais que lorsqu’une pensée surgissait dans mon cœur. Une intuition du
monde caché me visita et Dieu - gloire à Lui - Se dévoila à moi deux fois, une
fois sous l’aspect de la beauté, une fois sous l’aspect de la superbe. J’eus la
vision de la beauté de Sa face, le Très-Haut, par l’œil du cœur, et II me dit :
« Celui à qui Ma face généreuse ne Se dévoile pas, comment pourrait-il
parvenir à Moi par les efforts et les exercices spirituels ? Cela est réservé
en propre à Mes bien-aimés et aux adeptes de Ma proximité parmi les gnostiques,
car il n’existe aucun chemin vers moi si ce n’est par Moi et par le dévoilement
de Ma beauté. » Je retournai après les extases, les états et l’intuition à la doctrine
de l’affirmation de l’unicité, au privilège de Sa faveur, selon ce qu’il veut,
à qui II veut, comme II le veut, car: «La faveur est dans la main de Dieu,
Il la donne à qui Il veut30. » La douceur en demeura jusqu’à ce
que je m’assoupisse. Lorsque je m’éveillai, la peur de la séparation surgit
dans mon cœur, et je me souvins des jours où les péchés passèrent et
précédèrent. Ma peur augmenta et j’implorai en disant : « Mon Dieu ! je crains
Ta fureur au jour de la résurrection que [mes péchés] soient mis à nu au milieu
des gnostiques. » Alors je me vis moi-même à cet instant au-dessus du sommet du
'Illiyûn, dans la présence de la puissance parmi les prophètes, les véridiques
et les anges, sous la détermination de la terreur et de la démence. J’entendis
de derrière un voile ce dont mon cœur trouva la quiétude, et toutes les
tristesses disparurent de mon cœur car je me vis moi-même dans la station de
l’exultation. Je me trouvai dans les océans de l’épreuve lorsque les accidents
du temps s’écoulèrent sur moi. Je demandai à Dieu le Très-Haut d’en être
délivré en disant : « Si Tu as fait don du trône jusqu’à la terre à la
minuscule fourmi elle-même, n’écarte pas de Ton royaume l’atome car dans Ta
main se trouvent les clés des destinées du non- être, par lesquelles sortent du
néant en moins d’un clin d’œil par Ton immense puissance soixante-dix mille
mondes d’entre les univers du royaume et du monde de la mort. Quelle est donc
cette mélancolie ? Quelle est Ton opinion? Ô maître des soucis des gnostiques!
Accorde-moi mon repos et délivre-moi de tous les soucis qui ont un autre objet
que Toi. N’as-Tu pas donné le royaume de Salomon à Salomon? n’as-Tu pas donné
le royaume de David à David ? et n’as-Tu pas donné le royaume d’Égypte à Joseph
alors que Tu ne leur devais rien, ô Très-Saint ? » J’étais à cet instant dans
une inter-
minable
tristesse et une douloureuse inquiétude. Je pris patience pendant une heure.
Soudain je vis Dieu - gloire à Lui - au milieu du monde du mystère sous
l’aspect de la majesté et de la beauté comme s’il, Lui qui est au-dessus et
dépasse le changement, était étonné de mes soucis, ce qui signifie qu’il ne
convient pas, comme pour toi, que sa pensée soit brouillée par les amertumes du
tourment. J’étais à ce moment entre ivresse et sobriété, entre sanglots et
larmes. Puis II disparut de ma vue. Puis je Le vis sous cet aspect et celui de
l’imminence. Je [Le] vis sous l’aspect d’Adam qui se dirigeait vers le monde de
la prééternité. Il avait l’apparence de la superbe et de la beauté. La monture
de l’éternité sans commencement passa devant moi. Il me regarda par l’œil de la
perfection, m’honora et m’abandonna à ma condition. Je retournai depuis les
esplanades de l’unité jusqu’au chaos de la condition créaturelle, troublé et
stupéfait. La beauté de l’éternité sans commencement s’ouvrit à moi depuis
l’univers de la sainteté, et me jeta dans le trouble si bien que je fus comme
celui qui est troublé et ivre. Dieu - gloire à Lui - S’éleva par la lumière de
la beauté de l’éternité sans commencement et emplit les êtres créés et les
phénomènes. Une lumière qui brille, revêtue d’une image - car certes « Il
possède l'image suprême31 » -, s’empara des régions des cieux et
de la terre comme des rayons de roses rouges et d’or rouge dans le buisson.
Elle étendit son empire sur toutes les choses. Je demandai : « Qu’est-ce? » Il
me fut dit : « Ceci est l’épiphanie du manteau de la superbe. » Puis II lança
dans mon cœur Sa parole, le Très-Haut : « Nous leur ferons voir Nos signes
dans les horizons et en eux-mêmes » jusqu’à Sa parole : « Il est de
toute chose témoin32. » Puis II disparut. Puis Sa face apparut
d’une lucarne du royaume angélique qui ravit mon cœur et mon esprit. Puis apparurent
Son essence et Ses attributs, et II approcha de moi jusqu’à ce que ne reste
plus qu’une coudée entre moi et Lui. Puis je regardais Sa majesté et Sa beauté.
J’en devins familier, j’aimai et je demeurai en cela durant des heures. Si
n’existaient ni la grâce de Dieu ni Sa compatissance lorsqu’il apparaît sous
l’aspect de la beauté, Il me calcinerait par les flammes de la superbe et de la
magnificence et les lumières des gloires de la condition sacro-sainte. Mon cœur
prit son envol dans l’atmosphère du ‘Illiyûn sous la forme du désir. Les
soleils levants des aurores de la contemplation jaillirent subitement et
l’ensemble des prophètes se mirent à rire par leur lumière. Je me vis moi-même
dans le désert du monde caché dans le dénuement. J’entendis la parole de Dieu -
gloire à Lui - de derrière les tentures de la magnificence, qui disait : « Sois
le bienvenu. » J’éprouvai de la joie, je fus stupéfait, je me réjouis, je fus
pris d’extase et ma conscience secrète et mon esprit furent heureux. Puis la
beauté de Dieu s’éleva sous l’aspect de la majesté et de la superbe. L’ensemble
des choses étaient belles de Sa beauté, illuminées par Sa lumière, mais entre
moi et Lui il y avait des esplanades et des déserts arides. Il possède une
épiphanie à partir d’un monde et dans le monde de l’accident. Je demeurai dans
le délice de l’intimité et dans la douceur de la contemplation.
98 - Je me vis hier soir comme dans
le désert de Chine, et Dieu - gloire à Lui - Se leva par la qualification de
l’équivocité sous la forme de Turcs. Il m’accueillit à chaque instant par un
dévoilement dans cette station. Je trouvai à Le contempler dans mon cœur la
lumière de l’union et la faveur de la beauté. Et je Le vis en une heure sept
fois sous cette forme. Dieu dépasse l’apparence des phénomènes, car II est
déterminé par l’apparence de la sainteté, de l’abstraction, et de l’affranchissement
de tout ce qui n’est pas relatif à Sa munificence. La pensée vint dans mon cœur
des moyens de subsistance et de quelques terres : qu’en adviendrait-il après
moi ? Le paradis se dévoila à moi. Je vis ses fleuves, ses arbres et ses
palais. Je vis mon épouse qui portait le vêtement des habitants des jardins du
paradis. Elle avait le même aspect que celui de ses habitants. Elle attendait à
la porte de l’un des palais comme si elle espérait ma venue. Or mon séjour
auprès d’elle dans le bas monde ne dura qu’un moment. Je vis une assemblée de
mes épouses, de mes fils, de mes filles et de mes parents. Je fus saisi par
l’extase, et mon cœur fut heureux de les voir. Puis je vis l’univers du
'Illiyûn. Les voiles de la présence furent relevés, et je vis par-delà une
montagne bleue la beauté des tombeaux de Dieu comme s’il allait de [la
montagne] Qâf jusqu’à [la montagne] Qâf. Je demeurai dans Sa majesté et Sa
beauté, stupéfait et m’y habituant. Il acheva cela. La nuit vint, et la plupart
s’en furent. Je vis les illuminations des dévoilements issus des univers du
monde caché. Je ne m’en contentai pas, et cette lumière et cette splendeur
approchèrent de moi. Puis Dieu - gloire à Lui - apparut. Il m’assit - que soit
exaltée Sa superbe - par Sa face vis-à-vis des chemins de la munificence hors
de la contemplation des phénomènes. Il dit : « Regarde-Moi par l’œil de la
vision ! » Mon cœur, mon esprit, mon âme, mon intelligence et ma forme
corporelle au sein des lumières de Sa majesté furent plongés dans les océans de
l’intimité et de l’extase. Lorsque ma conscience secrète se fut apaisée, je
dis : « Mon Dieu ! Sois mon oreille, ma vue, ma langue, mon cœur, mon esprit,
mon intelligence et tous mes membres ! Plonge-moi dans les océans de Ta divinité
au point que je regarde Ton essence et Tes attributs sans voile pour l’éternité
sans fin par la détermination de la passion, du désir, de l’amour et de la
connaissance mystique33. » La miséricorde de la découverte intérieure
des illuminations de la théophanie survint dans mon cœur depuis l’horizon de la
préétemité. Je nageai dans les océans des méditations et des invocations. Les
filets des concentrations visionnaires furent étendus sur les déserts du monde
caché pour capturer les oiseaux des lumières du royaume de gloire et du royaume
angélique. Je vis dans les commencements des dévoilements dans mon cœur
l’allégresse de l’union. Puis Dieu - gloire à Lui - Se dévoila à moi. Il
chevauchait la monture (Hayzûm) de la préétemité dans le désert de l’éternité
sans commencement. Ma conscience secrète s’agita au point qu’il ne me resta
plus aucune tranquillité. L’aimant de l’unité ravit un cœur qui brûla vivant
jusqu’à la station de l'imminence. Je criai à Dieu, soumis au désir et à
l’affection, car mon instant était celui de l’agitation, de l’intimité dans la
perte et la découverte, l’occultation et la théophanie. Les soleils des
levants de la munificence passèrent jusqu’aux couchants du monde caché et
suscitèrent en moi le désir et l’intimité. Les calamités des états mystiques et
les visitations des réalités cachées survinrent en moi. La houle de l’océan
des lumières des attributs fondit sur moi, me fit plonger au fond de
l’ouverture de l’abîme de la pérennité. Je me vis une fois dans l’atmosphère de
la pérennité de l’égoïté, une fois dans les déserts de la prééternité, une fois
dans les océans de la condition postétemelle. Dieu - gloire à Lui - m’apparut
dans chaque état par l’un de Ses attributs qu’il garde cachés aux yeux des
créatures et qui sont les vêtements de la grâce de l’essence d’une beauté
étrange et d'une majesté étrange dans un état étrange. C’est là que les
gnostiques tombent amoureux de Lui, que ceux qu’enflamme le désir sont troublés
par Lui et que les unifiés sont anéantis sous Sa puissance.
99 - Je me vis comme être dans les
jardins humides des états mystiques au milieu des déserts. Les maîtres se
tenaient là avec leurs habits incrustés de pierreries et leurs coussins. Chacun
tenait à la main une poêle avec laquelle ils me jetèrent des pierres qui se
succédaient comme si on lançait les pierres d’une catapulte. Or notre maître et
prince Abû Yazîd s’employait à exciter la plupart d’entre eux à agir ainsi. Mon
instant expira là et je demandai l’aide de Dieu. Alors Dieu - gloire à Lui -
apparut et leur lança d’énormes rochers si bien qu’ils se calmèrent tous et
jetèrent leurs poêles. Ils approchèrent de moi et me traitèrent avec bienveillance.
A cet instant je parvins aux dais de la superbe. Je vis l’ensemble des
prophètes, des envoyés, des anges et des saints avancer vers Dieu dans la présence.
Le plus proche de Dieu le Très-Haut parmi eux fut notre Prophète, puis les plus
anciens des envoyés comme Adam, Idrîs, Noé, Abraham, Moïse et leurs pareils
parmi les prophètes. Ils se pressèrent contre moi comme s’ils voulaient prendre
le dessus sur moi. Dieu le Très-Haut S’approcha de moi par la gauche. Il était
comme une colonne d’or rouge. Il Se tourna vers moi et dans Sa face régnait la
lumière de l’épiphanie de Dieu - gloire à Lui. Là, Dieu le Très-Haut m’honora.
Or lorsqu’ils me virent sous l’aspect dont Dieu le Très- Haut m’avait revêtu,
des portes de la munificence chaque prophète et véridique prit une gorgée des
vins de la présence. Ils me montrèrent lequel d’entre eux boirait pour moi et
pour l’amour de moi. Puis je vis Dieu - gloire à Lui - avec une boisson qui
leur montrait qu’il en prenait à cause de moi et pour l’amour de moi. Et c’est
là la perfection de Sa grâce destinée à Son serviteur. Je m’éveillai dans la
nuit, dans la joie et le bonheur, chantant en produisant des sons naturels et
magnifiques comme le bourdonnement des abeilles. Je fis les ablutions et je
priai deux prosternations. Dans ma prière l’extase s’empara de moi car lorsque
je priai, Dieu m’adressa de nobles appels et de subtiles invocations dans la
prière de requête. Il ouvrit à mon cœur les portes de la requête et il facilita
à ma langue [l’énonciation de] ce qui se trouvait dans mon cœur. Les secrets
de l’affirmation de l’unicité et les subtilités de l’exultation s’écoulèrent sur
ma langue. La pluie des vérités, des finesses et des mots propres à la langue
des prophètes tombée du nuage du monde caché inonda ma conscience secrète. Puis
je Lui demandai la vue de la pure substance et la vision. Mais ma concentration
visionnaire ne s’éleva pas jusqu’à ce qui se trouve par- delà l’être créé. Je
ne savais pas qu’il était chez moi. Il m’apparut et dit : « Où te trouves-tu
alors que Je suis chez toi ? » Puis II disparut. Puis II fondit sur moi soudainement.
Puis II me saisit et me fit tourner dans les sphères célestes de la constance
et les dais de la majesté. Je Le vis dans la demeure de la majesté « sous la
plus belle forme », tel que si les chérubins le voyaient sous cette aspect ils
en fondraient tous de l’effet que provoquent Sa grâce et Sa beauté. Puis II me
fit pénétrer dans l’univers des gloires de l’essence. Entre moi et Lui il y
avait des gloires et des océans de sainteté qui brillaient davantage que les
atomes de l’être créé. C’était des voiles dont je ne pus pas m’approcher à une
distance d’une tête d’aiguille. Là, les êtres créés et les phénomènes furent
anéantis. Je restai stupéfait à cause de la subtilité de ma représentation de
l’aspect de Dieu - que soit exaltée Sa majesté. Je m’en retournai comme
quelqu’un qui est terrifié et qui éprouve une perte. Je fus dans un délicieux
instant de pureté, car il n’y a là rien d’autre que la pureté de l’invocation
dépouillée de l’agitation qui appartient à l’état mystique. L’aurore de l’union
s’éclaira soudain. Les nuées de l’épiphanie de la beauté de Dieu passèrent. Je
Le vis qui semblait préméditer l’apparition de Sa personne afin qu’augmente
mon désir de Lui. Puis je le recherchai après la moitié de la nuit. Je dis en
moi-même : « Ah ! si seulement je voyais Dieu - gloire à Lui - sous l’aspect de
la prééternité. » Il m’apparut sous la plus belle forme et dit, tourné vers
moi : « Douterais-tu donc que Je sois le seigneur des mondes ? » Puis je Le
vis au-dessus du trône dans les chambres nuptiales de l'intimité, qui apparaissait
sous l’aspect de la beauté et de la majesté. Il n’y avait personne en face de
Lui si ce n’est Gabriel en larmes. Il déchirait son habit sous l’emprise
qu’exerçait sur lui la beauté de Dieu. Ce moment passa. Je fus préoccupé par
un souci concernant la pluie et la neige qui se succédèrent sans que les
gloires ne se dévoilent depuis le ciel. Je vis un désert dans lequel coulait un
immense fleuve ressemblant à une perle. Je vis Khidr et Élie avec l’ensemble
des substituts qui lavaient là leurs vêtements. Je ne vis rien de plus agréable
en cet instant car je pensai que cela signifiait l’accalmie de la pluie, mais
Dieu est le plus savant.
100-11 arriva une nuit que ma poitrine fût oppressée
par une dispute avec ma famille et par leurs plaintes concernant certaines nécessités.
Je m’éveillai après la moitié de la nuit, ayant perdu l'espoir des révélations
du monde caché. Ma conscience secrète s’apaisa, mon for intérieur se maintint
et mon esprit fut traité avec bienveillance. J’attendis les merveilles des
dévoilements de l’univers du royaume angélique. Je vis Dieu - gloire à Lui -
sous l’aspect de l’équivocité au-dessus de mon assemblée. Mon instant fut doux,
ma conscience secrète fut excitée, mon désir augmenta, mon extase fut
multipliée. Je fus agité. Je criai. Puis II disparut de ma vue et l’univers du
royaume angélique s’ouvrit. Je vis des océans de perles délicates. Il - gloire
à Lui - en tira des joyaux qu’il répandit en grande quantité sur ma tête. Les
prophètes et les anges firent de même jusqu’à ce que j’atteigne l’univers de la
préétemité. Dieu - que soit exaltée Sa majesté - apparut par l’aspect de la
condition préétemelle. C’est là le site de l’anéantissement de soi. Puis II
disparut de ma vue et à partir de Lui j’entrai en fusion dans un état de
pulvérisation, d’après Sa parole - gloire à Lui : « Où sont apportés les
fruits de toute chose comme nourriture venue de Nous34. » Puis
II me dit : « N’est-ce pas que d’au-dessus du trône jusqu’au séjour fixe de la
terre Je suis le gouverneur des créatures et que dans mes mains sont les clés
de toute chose? J’agis à ma guise dans mon royaume comme il est indiqué.
N’est-ce pas que le cours des destinées émane de ma volonté ? Dis : ceux-là
sont les oiseux, les plaignants qui M’incriminent. Qu’ils fassent taire leur
récrimination, et qu’ils Me remercient à proportion de Ma grâce sinon je les
exterminerai. » Je fus effrayé par cette réprimande car II avait déployé la
réalité d’autorité.
101 - Je m’éveillai hier après la
moitié de la nuit à l’approche de l’aube. Mon sommeil fut un sommeil paisible.
Je m’assis pour la vigilance intérieure. Je vis sur une banquette de ma maison
Dieu - gloire à Lui - dépouillé des vêtements de la munificence, montrant les
deux mamelles de la majesté et de la beauté, qui se conduisait comme se conduit
l’aimé chez l’amant; et de la beauté de Sa face, le Très-Haut, effusait une
grâce telle que si la montagne Qâf Le voyait en image S’élever derrière elle
sous cet aspect, elle fondrait à cause de la douceur de Sa beauté et de la
grâce de Son union. Je restai en cela des heures. Les sanglots et les larmes
s’emparèrent de moi. Puis II me dévoila quelque chose du monde de la sainteté.
Je Le vis dans l'univers du royaume angélique et dans le monde de la majesté
sous l’aspect de la beauté, et II Se révéla par Sa beauté ressemblant à ce
monde. Alors je vis tout ce que j’avais vu sous l'apparence de la beauté de
Dieu, et je ne vis aucun des prophètes, des saints et des anges si ce n’est
sous cette beauté. Je vis notre Prophète. Il était plongé dans cet aspect,
qualifié de cet attribut, et semblait danser, et ainsi pour tous les prophètes
et les anges. Il me fit venir encore plus près de cela, je Le vis comme si je
voyais obliquement la lune par une nuit de pleine lune et les astres auprès de
Lui. C’était là un vêtement des merveilles de la station de l’équivocité.
C’était là Dieu - gloire à Lui - et ces astres étaient les anges. Le plus
proche de Lui parmi eux était Gabriel. Ils semblaient ne jamais rien avoir à
attendre de chez Lui car ils étaient comme amoureux de Lui et Lui les comblait
de faveurs comme s’ils étaient sa famille. Il me fit approcher et accrut encore
ma proximité de l’univers de la constance et de l’antécédence. Je m’arrêtai en
face de la munificence et Le regardai pendant des heures. Puis II suspendit sur
moi les portes du royaume angélique et Il me fit hériter de ces stations par
une intimité, une passion et un amour immenses. Puis Dieu le Très-Haut fit
descendre sur mon cœur une sérénité intérieure telle que toutes les angoisses
appartenant au bas monde s’enfuirent sous son effet. Que Dieu accroisse pour
nous ainsi que pour toi Son imminence et la noblesse de Ses proximités.
102 - Je franchis l’orient de la
préétemité. Je vis dans un désert du monde caché Dieu qui S’élevait sous
l’apparence de la beauté, revêtu de la forme des Turcs. Dans Sa main se
trouvait un luth si bien qu’il me sembla qu’il jouait de ce luth. Il m’émut
jusqu’à augmenter l’amour et le désir. Je perdis le repos à cause de la
réalisation intérieure de la saveur de la beauté et de la grâce de l’union.
Puis je Le vis dans l'univers de la préétemité qui s’éloignait vers l’univers
de l’éternité sans fin. Or il n’y a là ni lieu, ni côtés, ni lumière, ni ombre,
ni apparence, ni forme. Mais il fut éclairé par l’épipha- nie de Dieu, et II me
trouva là perdu. Il me fit approcher des lumières de Ses formes et me fit
plonger dans les océans des gloires de Son essence. Puis je Le vis. J’étais
dans ma chambre comme s’il se présentait soudain à moi. Il était d’une grâce et
d’une beauté telles que je ne pourrais le décrire. Je pleurai sur Lui et je lui
lançai des cris. Je dis : « Mon Dieu ! laisse-moi Te regarder un moment, et
fais partir de mon cœur tout ce qui n’est pas Toi depuis le trône jusqu’à la
terre, ô bien-aimé des cœurs des gnostiques ! ô prunelle des yeux de ceux qui
sont frappés de stupeur! » Il s’arrêta un moment. Puis je Le vis à la porte de
la maison de mes amis qui les appelait en leur disant : « Ô gens de Ma
citadelle », ce qui veut dire : « Levez-vous pour la dévotion. » Mais le temps
en était passé et il diminua ainsi mon ivresse. Le moment des oraisons était
passé. Je méditai sur les vérités de l’affirmation de l’unicité et les degrés
des extases. Je dis en moi-même : « Que sont ces formes de nature équivoque qui
m’ont arraché des subtilités des réalités séparées et par lesquelles je fus
empêché par un voile d’atteindre les vérités? » La source des attributs me fut
dévoilée dans des opérations théophaniques. Ma tête fut agitée de mouvements et
se mit à tourner involontairement. Sa vue me plongea dans l’océan de l’extase
et de l’état mystique comme le font volontairement les adeptes de l’effort. Je
dis : « Ô mon âme ! comment se fait-il que ma tête bouge ? Si Dieu le
Très-Haut ne Se dévoilait pas à moi dans le vêtement des opérations
théophaniques, je ne serais pas préoccupé par les pas de l’épreuve de l’amour
car toute chose est plongée dans l’épiphanie de Dieu et II est visible de toute
chose par les regards des consciences secrètes. » Lorsqu’un moment fut passé,
je me vis moi-même dans les déserts de la préétemité. Je vis Dieu - gloire à
Lui - sur les routes des voies de l’éternité sans commencement se diriger vers
les éternités sans fin. Je pris part avec Lui à ce voyage. Il me fit voir comme
s’il se mettait en route depuis les tréfonds de la prééternité de la préétemité
pour moi. Mais la distance là, est sans limite car un pas de ces voies est,
pour employer une image, plus long que d’au-dessus du trône jusqu’à la
fondation des terres. Lorsque je cheminai avec Lui, je dis : « Mon Dieu ! (et
II avait l’apparence de la majesté et de la beauté) comment pourrais-je
supporter de franchir la distance des éternités sans fin avec Toi? Je voudrais
Te regarder un moment. » Il S’arrêta pour moi et je regardai Sa beauté et la
majesté de Sa face, le Très-Haut, ému et amoureux à la fois. Puis je me vis en
personne sous les dais du roi dans l’univers du royaume de gloire, plongé dans
un océan de sang. Or ce sang provenait de mes yeux. Je fus immergé dans cet
océan de longues heures. Alors Dieu le Très-Haut me saisit et je fus la proie
de l’émotion. Il me fit asseoir sur le tapis de Sa proximité et II me versa à
boire des vins sublimes. Puis je Le vis dans la demeure de la majesté. Puis je
Le vis dans les tavernes de l’union parmi mes compagnons d’entre les gnostiques.
Puis II me saisit et me maintint entre Ses mains. De Lui apparurent des
gloires. Ces gloires frappèrent l’univers si bien que l’univers s’envola pour
échapper à ces coups, car les êtres créés et les phénomènes se dissipent sous
Sa munificence et la manifestation de Sa magnificence. Puis je vis l’ensemble
des prophètes, des véridiques et des anges rapprochés dans la présence de Dieu
le Très-Haut soumis à l’émotion et à l’excitation car Lui, le Très-Haut, leur
apparaissait. Puis un voile cacha Dieu sauf à al-Mustafâ. Il avait une allure
de grâce et de beauté et se tenait à la porte de la demeure de la majesté comme
le chambellan auprès du sultan. Il voyait Dieu et devisait avec Dieu. Il ne se
trouvait personne avec lui dans cette station si bien que je compris que
c’était la station bénie35. Mais je Le voyais, le Très-Haut, de
loin, tout au long de ces voiles. Puis Dieu le Très-Haut m’apparut sous
l’aspect de l’unicité, me saisit avec la violence de la puissance et m’emporta
jusqu’à l’univers de la préétemité. Je fus ravi et asservi jusqu’à ce qu’il me
fasse entrer dans les phases de la primauté. Je vis océans sur océans,
magnificence sur magnificence, esplanades sur esplanades, si bien que je
faillis être anéanti dans le ressac des océans de l’éternité sans commencement.
Lorsqu’il comprit mon impuissance à porter les fardeaux des calamités de
l’affirmation de l’unicité, Il m’abandonna et S’en fut. Et je retournai à
l’endroit où je me trouvai.
103 - Une nuit les représentations imaginaires
propres à l’âme, les représentations imaginaires de nature satanique et les
représentations imaginaires propres à l’esprit se présentèrent à moi. Je
franchis leurs voiles et j’en vis les subtilités. Je méditai sur leurs formes.
Mon cœur s’enfuit de la vision de certaines et ma poitrine fut oppressée à la
vue de certaines. Je restai stupéfait de ce qui m’arrivait jusqu’à ce que la
beauté de Dieu m’apparaisse soudain. Il était d'une grâce et d’une beauté que
je ne pourrais décrire. Je dis : « Mon Dieu ! Qu’est-ce donc que ces analogies
par lesquelles j’ai été retranché par un voile de moi-même avant la
contemplation ? » Il répondit : « Ceci est pour celui qui m’a recherché dans
les prémices des dévoilements de Ma majesté jusqu’à ce qu’il puisse Me distinguer
parmi ces voiles. Et c’est là la station de la connaissance mystique car celui
qui ne Me distingue pas d’eux ne Me connaît pas. C’est la station de la lutte
spirituelle des adeptes de la contemplation. » Puis II me fit pénétrer dans le
voile du monde caché et me fit voir Ses attributs sous une profusion de
vêtements de majesté et de beauté. Puis II disparut et je priai humblement en
face de Lui pour le délice de l’union et la saveur du désir de la beauté que
j’avais trouvés. Puis je Le vis, le Très-Haut, sous l’apparence de la condition
préétemelle qui apparaissait à partir de l’univers du monde caché. Je vis
Khidr, Élie, et l’ensemble des princes des substituts et des maîtres spirituels
à leurs côtés, vêtus de costumes ressemblant à ceux des soufis itinérants. Ils
marchèrent avec grâce portant ces costumes à l’orée des déserts du monde caché
et ils se jetèrent dans ces déserts en face de Dieu le Très-Haut. Puis je vis
le Prophète en compagnie de l’ensemble des prophètes, des envoyés et des anges
qui faisaient ce qu’avaient fait les substituts et les maîtres. Ils tremblaient
dans ces déserts en face de la puissance de Dieu le Très-Haut. Je me tenais
debout là à pleurer sur Dieu, par Dieu et pour Dieu. Puis la jalousie fondit
sur moi. Puis je vis l’être créé s’anéantir sous les assauts de Sa munificence.
Puis je vis dans ces déserts sortir un lion que je ne pourrais décrire car il
était couvert du vêtement de la magnificence de Dieu le Très-Haut. Tous les
prophètes, les saints et les anges prirent la fuite devant lui. Je me tenais
là. Il se porta contre moi une fois et il lança un furieux assaut contre moi.
Il s’éloigna de moi et il s’arrêta là quelques instants. Puis Dieu isola pour
moi une réunion dans la demeure de l’intimité. Il avait l’aspect de la beauté.
Il n’y avait là aucune de Ses créatures comme s’il, le Très-Haut, m’avait
réservé l’union. J’avais l’allure de celui qui est pris par l’ivresse à cause
de l’abondance et de la démence.
104 - Au milieu d’une des nuits je
songeai dans mon cœur à mon trépas. Mon cœur charnel36 se réjouit
d’une lumière qui tomba dans mon cœur. Mes membres s’ouvrirent. Ma chevelure et
ma peau s’illuminèrent. Je vis les habitants du royaume angélique m’accueillir
avec de beaux visages, vêtus d’habits qui suscitent l’étonnement, et d’un
aspect tel que jamais je ne vis rien de plus beau. Puis je vis Gabriel, Michel,
Séraphiel et Azraël, les porteurs du trône et l’ensemble des anges. Ils avaient
la tête couverte d’un morceau de tissu en signe de respect. Et ainsi en était-il
de notre Prophète et de tous les prophètes et les saints. Puis je vis Dieu -
gloire à Lui - qui m’apparut par l’aspect de l’équivo- cité. Il me fit voir
qu’il semblait susciter l’étonnement. Puis II vint à moi accompagné de
l’ensemble des prophètes, des envoyés, des anges et des saints. Il me prit par
la main et m’emmena jusqu’à l’univers de la majesté et de la beauté dans une
présence de jardins et d’allégresse. Les Houris ôtèrent leurs voiles de leurs
têtes. Les coupes tournèrent et elles étaient pleines de vins. Les anges
chantèrent. Dieu - gloire à Lui - me dit : « Voilà ce que sera ton trépas. »
105 - Dans un moment de langueur et
d’angoisse qui oppressait ma poitrine, il me sembla voir Dieu arrêté dans des
déserts du royaume angélique au sein de l’univers de la préétemité ; il
approchait après les dévoilements de Sa beauté comme s’il me faisait voir les
beautés de Son existence. Il produisit cela en moi jusqu’en pleine matinée en
une allégresse et un doux instant. Des jardins de roses me furent dévoilés. Et
j’étais loin de recevoir le don de la contemplation de Dieu le Très- Haut
lorsqu’il Se révéla à moi du milieu des tiges de roses rouges. Il y avait avec
lui des roses rouges. Il me confia et m’enseigna que les dévoilements ne
peuvent apparaître que par le dessein de Dieu le Très-Haut et par l’élection
préétemelle. La manifestation des beautés des attributs m’emplit de joie et II
réjouit mon cœur de ce qu’il, le Très-Haut, vint à moi et Se donna sans instrument.
Puis II me fit voir Sa beauté en une profusion de vêtements de munificence, de
gloire et de superbe, jusqu’à qu’il m’eût fait voir l’œil de la préétemité par
l’aspect de l’équivocité et l’aspect de la primauté. Je fus durant le temps de
l’amour et l’écoulement de ses dispositions dans le délice de la contemplation
de la nature spirituelle. Je me sentais affranchi de ce que Dieu le Très-Haut
me montre les formes du royaume angélique par la forme corporelle de l’homme à
partir de l’excès de mon amour pour les beaux visages. Il me fit voir à
profusion Sa beauté, le Très-Haut, par la détermination dont a parlé le
Prophète dans son propos : «J’ai vu mon seigneur sous la plus belle forme. » Or
Ma vue37. » Alors je
sus qu’il viendrait porteur des présents des secrets et de l’embrasement des
lumières. Demeura dans mon cœur le souvenir de certaines stations au cours des
contemplations qui me furent dévoilées certaines nuits. Demeura dans ma tête
leur multitude enfiévrée. Ces qualités sacro-saintes me touchèrent. Les
extases et les réalisations intérieures s’emparèrent de moi à leur évocation.
Lorsque je pénétrai dans les océans de la pureté des invocations, Dieu -
gloire à Lui - Se dévoila à moi sous l’aspect de la beauté et de la majesté du
côté du pôle nord. Il dit : « A Moi mon serviteur ! à Moi mon serviteur ! à Moi
! » Mon cœur fut heureux d’une douceur telle que, si les habitants de la terre
en goûtaient, leurs intelligences se sentiraient légères et leurs cœurs
s’envoleraient.
106 - Je Le vis aussi, le Très-Haut,
sous l’aspect de la beauté du côté de l’orient jusqu’à ce que mon cœur atteigne
la station de l’errance. Il Se révéla portant un vêtement de roses et de
lumière rouges. Il était accompagné d’un mirage qu’il me faisait voir comme
s’il m’amenait à moi-même. Puis II disparut et j’entrai dans les océans du
monde caché jusqu’à ce que j’arrive au voile de la préétemité. Il, le
Très-Haut, apparut sous l’aspect de la préétemité et m’immobilisa. Je vis
l’ensemble des êtres créés et des phénomènes plus petit qu’un grain de moutarde
au sein de Son esplanade. Après cela je ne trouvai pas de chemin qui mène à
l’univers de la préétemité. Je ne pus regarder les tréfonds de l’éternité sans
commencement car là les océans de la primauté sont furieusement agités et il ne
s’y trouve aucun lieu où puisse se poser le regard. Dieu est certes au-dessus
de ce qui passe dans les considérations des adeptes de l’anthropomorphisme et
les pensées des adeptes du négationnisme. Je fus dans les contemplations des
représentations imaginaires propres à l’esprit. Je vis parmi leurs troupes les
effets des lumières de Dieu dans les yeux des opérations théophaniques spécifiques
des attributs. Lorsque la vue de ces attributs passa, Dieu m’apparut revêtu des
caractères de la préétemité. Mais ce qu’il révéla de Lui était revêtu de
l’aspect de la beauté réservée qui est l’équivocité de l’attribut issue de
l’œil de l’essence. Je contemplai les subtilités des attributs sous un vêtement
varié jusqu'à ce qu’il me fasse entrer dans les voiles des chambres nuptiales
de la majesté et de la sainteté. Je vis un voile de roses rouges que Dieu le
Très-Haut embellissait de la lumière de Sa splendeur. Lui, le Très-Haut, était
dévoilé parmi les voiles dans l’univers de la sainteté. Je vis derrière chaque
voile un groupe de personnes gisant devant moi. Dieu - gloire à Lui - dit : «
Voilà ! derrière chacun des voiles il y a cent Gabriel mis à mort par le sabre
du désir. » Puis II me saisit et me fit entrer dans l’univers de la
munificence, de la surexistence et de la préétemité. Je Le vis, le Très-Haut,
sous l’aspect de la primauté dont les esprits et les intelligences fuient les
coups. Ô mon frère ! Je suis tombé dans des stations de contemplation de la
majesté que je voudrais décrire aux mondes afin qu’ils en tombent amoureux et
qu’ils acquièrent une certitude au sujet des gloires de Sa superbe. Et cela
vient de mon amour pour Lui, de ma compatissance envers Ses créatures et de mon
soupir pour eux. Comment se sont-ils détachés de Lui pour rien tandis que je me
suis prosterné devant Dieu en éliminant de mes voyages nocturnes l’affluence
des pensées des suggestions diaboliques et les venues renouvelées des pensées
condamnables ?
107 - Je vis l’une de mes épouses qui
avait été rappelée à Dieu devant moi. Elle avait un morceau de sucre blanc
dans la main. Je le mis dans ma bouche. Puis je la vis qui se trouvait au
milieu de montagnes de sucre. C’était un univers de sucre blanc qui brillait
comme une lumière38. Je vis mon père, ma mère, mes enfants et
petits-enfants dans cet univers. Ils se réjouirent de me voir. Puis je vis Dieu
- gloire à Lui - qui Se révéla depuis le monde caché au-delà de cet univers. Il
passa soudain à côté de moi. Puis les pensées de l’épreuve se présentèrent à
ma conscience secrète. Dieu - gloire à Lui - m’annonça : « Nûn. Par le calame
et ce qu’ils tracent ! Tu n 'es pas par la grâce de Dieu possédé ! Tu auras
certes une rétribution sans exception39. » Cette pensée s’en fut
par la grâce de Dieu le Très-Haut. Puis II Se révéla à moi d’un univers de
splendeur et de roses sous l’aspect de la majesté et de la beauté. Il était
revêtu d’un attribut tel que tu me verrais comme être l’ami intime de la présence,
le chef du royaume angélique, l’amant de l’époque, le cavalier de l’esplanade
de l’amour : « C’est le feu de Dieu allumé qui monte jusqu’aux entrailles40.
» Je ne compris pas ce que sont ces feux. Dieu Se révéla à moi depuis
l’univers de la superbe et de l’unité. Il me revêtit de Sa lumière et de Sa
splendeur, et je restai à Le contempler un long moment. J’entendis diverses
sortes de discours. Puis cette ascension et cette voie passèrent. Puis
j’entendis un héraut dire : « Ceux de la sainteté sont venus ! » Alors je vis
les grands maîtres, Junayd, Ruwaym, Sarî, Ma'rûf, Abû Yazîd al-Bistâmî,
Dhû’l-Nûn Misrî, notre maître Abû ‘Abdi’l-Lâh ibn Khafîf, notre maître
Abû’l-Hasan ibn Hind et les maîtres des soufis. Puis je vis tous les compagnons
et tous portaient l’habit rapiécé. Ils dansaient. Ils étaient la proie de
l’extase. Certains des grands tenaient à la main un tambour. Il jouait du
tambour. Il portait un habit rapiécé. Puis ils se rassemblèrent auprès du Prophète.
Il se leva de Sa tombe, le visage ressemblant à la rose rouge exhalant comme un
parfum de musc fort. Il portait un habit rapiécé. Et c’est ainsi que je vis
l’ensemble des prophètes. Le premier d’entre eux était Adam et le dernier
Muhammad. Je vis Gabriel avec les anges généreux qui portaient un habit
rapiécé. Le Prophète précédait l’ensemble des créatures en face de Dieu -
gloire à Lui. Dieu - gloire à Lui - nous apparaissait. J’étais parmi eux comme
le compagnon pris d’ivresse. Je chantais, tenant à la main un luth dont je
jouais. Dieu le Très-Haut me distingua de toutes les créatures en m’accordant
une imminence. Il m’entretint de secrets étonnants et de nouvelles étranges.
Louange à Dieu qui accorde Sa grâce et qui rétribue abondamment. Ma poitrine
fut oppressée par les lumières de l’épreuve, l’accablement des illuminations de
la contemplation et l’affluence de la langueur, comme si mon cœur fuyait Dieu
le Très-Haut et décidait de disparaître dans les vallées des ténèbres de la
nature et de pénétrer dans les demeures des concupiscences et des accidents,
hors de la station de la vigilance intérieure et de l’observation de l’univers
de la préétemité. Or cela vient de la fureur de Sa munificence, le Très-Haut,
dans la mesure où II éprouve Ses serviteurs à l’esprit embrouillé par les
calamités du voile.
108 - Je m’assis une nuit et je
pensais à ma charge et à mon rang jusqu’à ce que je sois plus fort dans l’univers
des représentations imaginaires et que je m’habitue aux analogies d’origine
satanique. Ma conscience secrète sortit dans les confins de l’univers des
réalités de fureur. Elle ne fit pas attention à la présence et ne regarda pas
les lieux d’échéance de la théophanie. Elle baissa le regard pour ne pas
apercevoir la contemplation des lumières du monde caché. Des heures passèrent
ainsi. Je vis subitement la demeure de la majesté. Dieu - gloire à Lui - Se
révéla à moi sous l’aspect de l’équivocité. Les sanglots, les larmes,
l’émotion et la démence qui s’emparent des extatiques au sein des perceptions
de la contemplation de la majesté me submergèrent. Puis II Se révéla à moi une
fois encore. La demeure de la majesté se trouva emplie de Dieu - gloire à Lui.
Ma conscience secrète, mon cœur, mon intelligence, mon esprit, mon apparence
extérieure et mon intérieur furent heureux. La félicité, la gaieté, l’intimité
et la joie s’installèrent en moi. Tout voile et tout reproche s’en furent loin
de moi. Je restai à espérer plus de demeures et réjoui par la douceur de
l’union. Puis suivre les conduites de la condition créaturelle et supporter les
fardeaux dans l’espoir de la condition seigneuriale me furent agréable.
J’envoyai mon cœur vers l’univers des phénomènes. Il atteignit la terre. Puis
II tournoya du royaume angélique inférieur jusqu’au royaume angélique
supérieur et il tourna au-dessus du trône. Ne resta plus rien avec lui des
êtres créés. Puis il traversa le désert de la prééternité qui s’étend entre la
réalité phénoménale et la préétemité. Il arriva aux contemplations de la
condition seigneuriale où sont les dévoilements des illuminations des
opérations théophaniques spécifiques auxquelles est suspendu l’être créé. Puis
il fut proche de la station de la stupeur dans la condition seigneuriale, de la
vision des lumières de l’opération théophanique, des traces de la munificence
et de la fureur de la préétemité. Puis la magnificence de Dieu le Très-Haut et
Sa majesté lui apparurent, et ce fut comme s’il se trouvait entre les masses
des océans qui débordent. Puis il vit Sa terrible superbe qui est la forme de
l'essence préétemelle. Il resta stupéfait à la vue de l’essence. Il ne lui fut
accordé ni perception, ni science, ni connaissance, mais Lui, le Très-Haut, lui
fit voir Sa personne sans dévoilement41. Il resta là des heures et
il hérita de cette station émotion, démence, sanglots et larmes. Puis il entama
les voyages de la préétemité et il vit Dieu - gloire à Lui - sous la forme de
la beauté. Il Se présenta à lui comme s’il apparaissait d’un univers de roses
et de lumière. Il le combla de faveurs étranges. Puis Dieu le Très-Haut lui
apparut d’un autre monde des mondes de roses rouges. Là se trouve la présence
de l’élite. Le Très-Haut le vit. Il le prit par la main. Il l’embrassa et II
annonça dans les univers de la sainteté: «Voici un roi à qui appartient le
royaume. » Alors de cette station apparurent une passion particulière et un
amour particulier, une intimité et une surexistence. Puis m’apparut Sa beauté,
au Très- Haut, sous diverses sortes de gens, chacune étant une faveur adressée
à moi pour la conservation de ma personne après mon anéantissement dans les
déterminations de l’éternité sans commencement. Il me versa à boire les vins
de l’intimité et de l’imminence. Puis II partit et où que je me tournais je Le
vis qui était le miroir de l’être créé. Et c’est là Sa parole : « Quelque
part que vous vous tourniez, là est la face de Dieu42. » Puis II
me tint un discours après l’abondance de mon désir pour Lui. Et ceci eut lieu
après que j’eus une pensée me disant en moi-même : « Je désire voir Sa beauté
sans interruption aucune. » Il dit : « Souviens-toi de l’état de Zulaykhâ et de
Joseph43. Zulaykhâ façonna son corps pour Joseph dans six
directions, de sorte que Joseph ne put regarder en quelque direction que son
corps ne s’y trouve. Et il en fut ainsi pour ce qui te concerne dans la demeure
de Ma majesté. » Je vis le Très-Haut de tout atome alors qu’il est affranchi de
l’incarnation et de l’anthropomorphisme. Toutefois II est un mystère que ne
peut contempler que celui qui est plongé dans les océans de l’affirmation de
l’unicité et celui qui connaît le secret des opérations de la préétemité dans
la station de l’amour. Alors que je demeurais longtemps en proie à l’agitation
et à l’excitation, mon cœur songea à quitter le pays des merveilles pour ma
patrie. Je voulus savoir comment serait mon état. Dieu - gloire à Lui -
m’apparut et parla de telle manière que dans ma poitrine s’écoula quelque
chose comme Sa parole, le Très- Haut : « Afin que tu sois élevé sous mes
yeux44 » [et que] « Tu vogues sous Nos yeux45.
» Il dit : « Je suis Celui qui t’apporte la bonne nouvelle. » Puis l’idée me
vint dans mon cœur : « De quelle nature est ma condition ici ? » Tous les
habitants de ce pays étaient couchés devant moi tels des gens endormis gisant à
terre. Il voulait par cela montrer qu’il les avait disposés ainsi pour moi et
me faire comprendre qu’ils n’ont aucune importance dans mes stations face à
Lui. Son intention était que l’être créé soit vide car Lui seul me suffit dans
toute mon aspiration. Puis II me saisit par les extases, les visitations
intérieures et l’écoulement des secrets jusqu’au moment du réveil vers le
milieu de la nuit. Ceci fait partie de quelques-uns de mes voyages. Ô mon ami
! Que Dieu t’accorde ainsi qu'à nous davantage de Son imminence et de Ses
secrets subtils ! Lorsque mon cœur se tourna vers le monde de la prééternité,
les merveilles de Ses opérations théophaniques, le Très-Haut, m’apparurent
dans le royaume angélique de la magnificence. Puis ce sont les océans de
l’unité qui m’apparurent et leurs vagues m’emportèrent jusqu’à la contemplation
de la superbe. Je vis la beauté de la préétemité sans comment ni aspect.
L’ensemble des êtres créés et des phénomènes diminuèrent dans la majesté de Sa
magnificence, si bien qu’il n’en resta plus aucune trace lorsque commença à
briller la puissance de la splendeur de l’éternité sans commencement. J’étais
là dans le site de l’imminence. Mais la houle de l’océan de la surexistence me
saisit, et s’il n’y avait pas la générosité de Dieu - gloire à Lui - qui me
retint dans les assauts de la superbe j’aurais péri46 en moins d’un
clin d’œil. Il sembla qu’il, le Très-Haut, me faisait voir les formes de
l’unicité. Ce fut comme s’il ordonnait que je regarde l’immensité de Sa beauté
et de Sa majesté. C’est là une grâce venue de Lui. Je m’approchais. J’étais à
cet instant la proie de l’émotion et des sanglots. Puis II m’apparut soudain
après que cet état eut dépassé le monde de la sainteté comme s’il était un
marin et des océans. Je vis Dieu - gloire à Lui - sans comment tandis que dans
les dais de Sa superbe plongeaient les prophètes et les anges sous la forme de
femmes à la peau blanche. Je m’envolai vers la proximité de mon seigneur -
qu’il soit loué et sanctifié - et ce fut comme si j’étais à la droite du trône.
Je fus comme un voleur au milieu de l’innocence. Je fus comme quelqu’un
qu’enflamme le désir, je volai un instant, je tournoyai un instant et je
m’assis un instant comme l’ému en proie à l’agitation. Dieu - gloire à Lui - me
tint un discours lorsque je fus proche de Lui. Il dit en langue persane : «
Ainsi tu étais, ainsi tu t’es libéré. » Puis cet état passa mais je demeurais
en lui éprouvant une joie telle que je faillis fondre de délice et de
contentement. Je souhaitai la contemplation de l’équivocité sous la forme de la
beauté au point que je souhaitai jouer du luth en proie à un état d’ivresse,
d’amour et de désir de Lui. Je Le vis sur les rives des fleuves des jardins du
paradis, qui portait un vêtement de roses rouges. Son visage, le Très-Haut,
était accueillant, exprimant la satisfaction et la réjouissance. Là les
dispositions des troupes de l’amour s’emparèrent de moi. Puis je me vis
moi-même dans une maison emplie de lumière. Sous cette maison je vis un homme
d’entre mes compagnons qui était décédé et qui semblait me faire un signe.
C’était un homme qui prétendait à quelques stations et qui réclamait l’amour.
Dieu - gloire à Lui - Se révéla à moi de la lumière de Sa sainteté avec
l’apparition de la contemplation de Sa face. Je devint là comme un moucheron
qui vole dans les vents violents. Puis je vis l’ensemble des créatures passer
sous cette maison jusqu’aux plus terribles des créatures. On aurait dit
qu’elles avaient besoin de moi et de cette station. Là disparut la crainte
qu’éprouvaient les créatures toutes ensemble à l’égard de la violence de la
majesté de Dieu le Très-Haut qui s’exerçait sur moi. Puis les illuminations de
la sainteté et les lumières de la surexistence - gloire à Lui - tournèrent
autour de moi. Il transcende tout ce qui n’est pas lié à Sa qualité. Ma
conscience secrète convint de rechercher la grandeur et la gloire à partir de
l’univers du monde caché. Je traversai les phénomènes et j’atteignis le seuil
de la préétemité. J’entendis la parole de Dieu - gloire à Lui - sortir de la
cachette de l’éternité sans commencement. Il dit : « J’ai créé l’être pour Me
chercher et Je suis arrivé à la station de la sainteté. Qui est comme toi dans
l’univers ? Moi Je te cherche jusqu’au plus bas de Ma préétemité. » Alors II
m’apparut sous l’aspect de la divinité, de la sainteté et de l’abstraction, si
bien que tout autre que Lui du trône jusqu’à la terre disparut dans les assauts
terribles. Je Le contemplai d’une contemplation des yeux. La vision de
l’essence de la magnificence apparut dans la vision de la beauté de la
surexistence. Et c’est là une chose étrange étant donné que l’épiphanie de la
beauté paraît sous la forme de la magnificence. Ma conscience secrète s’agita.
Mon intelligence fut réduite à rien. Mon cœur charnel fut mis en pièces. Je fus
là pendant des heures. Puis II dit : « Tu Me cherches et Je te cherche. Si tu
regardais, tu Me trouverais en toi sans traverser les régions du monde caché. »
109 - Avant cette visitation j’étais
préoccupé par certains propos des gens de mon assemblée où j’avais entendu
quelques bavardages du genre des propos anthropomorphistes. Je commentais Sa
parole au Très- Haut, disant que celle-ci est préétemelle et que ce qui est
autre que Sa parole est une invention. Le Très-Haut dit : « J’ai éloigné Ma
parole de la souillure. N’aie pas peur car c’est Moi qui dirige en personne
chaque fois que tu accomplis l’invocation dans ton assemblée. » Je Le vis -
qu’il soit loué et exalté - et tous les chérubins et les êtres spirituels
envahirent avec Lui mon assemblée. Je vis les habitants de la présence de
l’élite cir- cumbuler dans mon assemblée. Je vis Gabriel, de la gorge duquel
s’écoulait ce dont s’abreuvaient les gens dans une grande mosquée, revêtu de
l’apparence d’un adolescent. Lorsque l’assemblée trouva plus de force, je vis
toutes les montagnes se livrer à l’invocation. Je vis certaines d’entre elles
distinctes d’autres. Certaines d’entre elles avaient la cime qui dépassait d’autres,
ressemblant aux hommes. Il me sembla voir les cieux venir dans mon assemblée
sous la forme de personnes, et de même pour le trône et le piédestal, le jardin
du paradis, et le feu de l’enfer, et tous les esprits des prophètes, des
véridiques, des martyrs, des Houris, des adolescents et des enfants. Ils
venaient pour la présentation de Dieu le Très-Haut. Puis Dieu - gloire à Lui -
dit : « C’est ainsi que j’agis à chaque fois qu’une assemblée est consacrée à
l’invocation. » Je fus à cet instant dans les océans des extases, sanglotant,
violemment agité et ému, jusqu’à ce que ma conscience secrète trouve le repos
et que les portes du royaume angélique se soient refermées. Dieu transcende
toute considération qui n’est pas liée à Sa majesté, et II est affranchi de la
contemplation des phénomènes et de l’analogie des êtres créés.
110 - La nuit du vendredi j’observais
Dieu le Très-Haut après la moitié de la nuit. Je passai un moment et rien ne me
fut ouvert. Puis, après cela, Il m’apparut sous la forme de la majesté et de la
beauté, de la grâce de la préétemité et de la splendeur de l’éternité sans
commencement. Il me ravit. Il me rendit amoureux, criant et pleurant, me
réjouissant de Sa majesté et de Sa beauté. Je Le vis sous l’un des aspects de
Sa surexistence, dans la station de l’intimité et de la sainteté tel que, si
les premiers ou les derniers Le voyaient, ils s’envoleraient, ils se sentiraient
légers et erreraient éperdus dans les étendues désolées et les déserts arides.
Leurs articulations seraient réduites en miettes et leurs intelligences
seraient détruites. Que Dieu augmente pour nous ces bienfaits préétemels par Sa
grâce et Sa générosité. Puis je m'assis pourvoir l’apparition le monde caché.
Je sortis par ma conscience secrète de l’endroit où cessent les phénomènes et
j’atteignis les esplanades de l’éternité sans commencement. Dieu - gloire à Lui
- vint à ma rencontre et dit : « J’ai voyagé vers toi par le cœur depuis les
vallées de l’ipséité. Or dans chaque vallée l’être qui s’y trouve est plus
petit qu’un grain de moutarde. Je ne me proposai pas d’autre but que venir à
toi pour te rendre visite. Je t’ai souvent rendu visite alors que tu étais
assoupi du début de la nuit jusqu’à ton réveil. » Puis II Se révéla par mille
attributs dans mille stations, dont chacune était déterminée par la
réjouissance et la satisfaction. Chaque fois que je Le vis par un attribut, Il
me dit : « Je t’aime. Il ne doit pas rester en toi de tristesse car on
l’éprouve après cela à cause de l’absence. Or Moi Je reste à toi. Ne sois pas
triste ! Ne sois pas angoissé à cause des pensées conscientes et des calamités.
» Lorsque je vis cela et que je dis à partir de Lui ce que j’entendis de Lui,
j’entrai dans les océans des extases. Les sanglots et les larmes me submergèrent.
Je n’ai pas oublié dans ce dévoilement plus que ce que j’en ai dépeint. Les
portes du royaume angélique me furent ouvertes. Je vis dans les déserts du
monde, caché sur un tapis de lumière, les grands imâms rassemblés en cercle. Je
vis al-Shâfi'î, Abû Hanîfa, Mâlik et Ahmad [ibn Hanbal]. Ils portaient des
vêtements blancs et des turbans blancs, se réjouissant et se félicitant à la
vue de mon visage. Puis je vis les prophètes au-dessus d’eux. Je vis notre
Prophète Muhammad parmi ses compagnons, au-dessus de l’ensemble des créatures,
qui en sortit et se dirigea vers moi, réjoui et souriant. Il me combla de
faveurs et dit : « J’ai vu les saints et les maîtres. J’ai vu Gabriel, Michel
et les pôles des chérubins. Puis j’ai atteint le plus grand royaume angélique.
J’ai vu le trône et le piédestal. Puis j’ai vu un univers de perles blanches.
Dieu - gloire à Lui - est venu à ma rencontre sous la forme de la beauté et de
la majesté, l’œil des attributs tourné vers moi et manifestant de la
satisfaction. Les réalités cachées de la majesté et de la beauté sont apparues,
et des lumières de Sa munificence des perles et des joyaux se sont répandus.
Jamais je n’ai vu depuis le trône jusqu’à la terre quelque chose de plus blanc
que ces joyaux. »
111 - Il arriva que je m’assoie à la
moitié d’une nuit du mois de Rajab. J’étais inquiet pour les créatures à
cause de la violente maladie qui les frappait toutes. Je trouvai un ami intime
dans ma pensée. Je vis tout le monde sous l’apparence de l’ami intime. Cela se
produisit au moment où les nuées de la fureur fuyèrent l’être créé et où se
manifestèrent les effets de la générosité de Dieu le Très-Haut et la grâce de
Sa faveur. Je m’assis un moment. Je songeai : « Est-ce que s’enracinera en moi
le but de mon aspiration que sont les dévoilements du monde caché et les
contemplations du Seigneur - gloire à Lui ? » Les portes du royaume angélique
me furent ouvertes les unes à la suite des autres. Puis je vis Dieu - gloire à
Lui - sous l’aspect de la majesté et de la beauté, qui apparaissait par la
première porte. Il dit: «J’ai ouvert pour toi sept mille portes d’entre les
portes de la présence de Ma gloire et de Ma superbe. » Puis II me fit entrer
dans la première porte. Je séjournai là mille ans. Puis II me fit entrer dans
toutes les portes et je séjournai dans chacune d’entre elles mille ans. Lorsque
je sortis de l’ensemble des portes je Le vis, le Très-Haut, sous une apparence
différente de Ses attributs. Je Le vis à chaque porte par un autre attribut
tel que si les êtres Le voyaient par cet attribut ils périraient tous de
plaisir. Il m’est impossible de décrire ce que j’ai vu de Lui en fait de beauté
et de majesté, de splendeur et de gloires. Puis j’eus une vision à la porte de
la présence particulière. Et là c’est l’esplanade de l’éternité sans
commencement. Notre prophète Muhammad vint de la droite de la présence. Il
était comme la perle blanche47 et portait un vêtement de perles.
C’est ainsi que je vis Adam qui portait un vêtement fait de perles. Le Prophète
me donna l’accolade et embrassa mon visage. Adam fit de même. Adam m’accorda
beaucoup de faveurs comme le père envers le fils. Puis je vis Abraham, Moïse,
Jésus et l’élite des prophètes. Je me dirigeai vers la proximité de la présence.
Je vis Gabriel revêtu de l’apparence corporelle des Turcs. Il était comme la
rose rouge, et de même pour Séraphiel et tout autour de lui la présence. Je
vins à toucher la proximité de la présence et je vis Dieu - gloire à Lui - plus
beau encore que ce que j’avais vu. Il Se révéla à moi à plusieurs reprises,
chaque fois par un attribut différent. Je vis les merveilles de la retraite à
partir de Lui. Soudain II Se révéla sous l’aspect de la gaieté et de
l’allégresse. Les beautés des attributs m’apparurent jusqu’à ce qu’il ravisse
mon cœur plus encore qu’il ne l’avait ravi tout au long de mon existence par
cet éclat et ces dévoilements et contemplations. Puis les esplanades de la
splendeur, les gloires de la prééternité, les lumières de la surexistence et
les océans de la magnificence m’apparurent. Après cela Dieu disparut dans les
voiles du monde caché. Je demeurai ainsi plongé dans la stupeur, à goûter le
délice de l’extase et de l’état, les larmes et les soupirs jusqu’à ce que je
revienne au premier état. Ce dévoilement provient des raretés des sciences
occultes dont les créatures ne peuvent connaître les vérités par des sciences
raccourcies et des intelligences débiles.
112-11 arriva que j’étais assis avant la moitié de la
nuit au chevet de mon fils Ahmad qui souffrait d’une forte fièvre. Mon cœur était
sur le point de fondre de chagrin. Soudain je vis Dieu - gloire à Lui - sous la
forme de la beauté. Il Se montra bienveillant envers moi et envers lui alors
qu’il était assoupi. L’extase et la démence s’emparèrent de moi. Il fit taire
l’agitation de mon âme jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus s’éveiller. Ce me fut
une grande violence et je dis : « Mon Dieu ! Ne m’éprouve pas alors que
j’attends de toi la consolation ! » Il dit : « Ne sois pas triste car Je
t’appartiens. » Je dis : « Mon Dieu ! Pourquoi donc ne me parles-tu pas comme
tu as parlé à Moïse? » Il dit alors : « N’es-tu donc pas satisfait que celui
qui t’aime M’aime et que celui qui te voit Me voit48 ? » Lorsque
j’entendis cela une profusion d’extases me submergea si bien que je me levai.
Dieu - gloire à Lui - lança un appel aux tréfonds du monde caché. Il dit : « Ô
guérison ! » et une guérison vint à lui. Or le pays était envahi par la maladie
comme on ne l’avait jamais vu. Alors il souffla la guérison dans le pays et
elle se répandit sur toute la Perse. Je fus la proie de l’extase de l’état et
des cris. Il se montra bienveillant envers mon fils et II lui versa à boire un
breuvage. Puis après cela je Le vis à plusieurs reprises par des attributs
variés jusqu’à ce que je Le vis sous l’aspect de la majesté et de la beauté, de
la divinité, de la surexistence et de la prééternité. Puis Dieu se dressa -
gloire à Lui. Puis je vis l’ensemble des phénomènes du trône jusqu’à la terre
devant lui comme la plus petite chose. Puis II me dévoila le manteau de la
superbe et de la magnificence, et II disparut de ma vue. Puis, à la suite de
cela, après m’être apaisé de l’extase, je vis les sept saints dans l’atmosphère
de l'espace. Puis Khidr et le pôle vinrent à leur suite. Le pôle chevauchait
sur une monture. Il passa et il prit la tête. Puis il me jeta un regard
bienveillant. Il ressemblait à la rose rouge. Je les saluai à plusieurs
reprises. Mon cœur éprouva une agréable sensation à les voir, et je compris
qu’ils étaient venus pour l'agrément de mon cœur.
113-11 arriva que j’étais assis la nuit du vendredi à
Shîrâz plongé dans la vénération après la moitié de la nuit. Je tournoyai par
ma conscience secrète au-dessus de l’abîme de l’éternité sans commencement
entre deux occupations, la recherche de la pure préétemité sous la forme de la
primauté, et la recherche de la contemplation de la beauté au moment de
l’apparition du but des jardins du paradis dans le vêtement de l’opération
théophanique. Or pendant un moment, rien ne fut dévoilé de l’univers du royaume
angélique. Je fus stupéfait par ma condition. Alors je vis Dieu - gloire à Lui
- sous la forme de l’imminence qui me fut accordée de Lui. Je dis en moi-même :
« Où étais-je tandis que Dieu - gloire à Lui - était avec moi ? » Je Le vis à
plusieurs reprises sur moi sous la forme de la majesté et de la beauté dans
l’ensemble des régions de l’être créé. Il arriva que je me vis au-dessus du
mont Sinaï. Je vis Dieu - gloire à Lui - venant des jardins de l’éternité sans
commencement. C’était comme si se répandaient là des roses rouges et blanches,
des perles et des joyaux. Moïse, Abraham et Muhammad étaient en compagnie des
plus nobles des chérubins. Ils criaient, ils tournaient, ils balbutiaient et
riaient, certains en proie à la stupeur, d’autres dans la joie et l’enjouement.
Ils avaient l’air de fuir les assauts de la munificence. Puis je vis Dieu -
gloire à Lui - et en face de lui coulait un fleuve de vin. Il me versa à boire
des vins, et il me dit des mots tels que s’il parlait avec les rochers massifs
en employant ces mots ils s’envoleraient de joie. Il me désigna par mon nom à
plusieurs reprises. Il m’appela, me parla à l’oreille et me revêtit du vêtement
de la grâce et de la splendeur jusqu’à ce que je sois lancé entre les gens du
royaume angélique contemplant les lieux de réunion aimés. Puis II me combla de
faveurs. Puis II disparut de ma vue. Puis quelques instants passèrent. Puis je
Le vis, le Très-Haut, en haut des échelles de l’univers du trône et au-dessus
du trône. Je Le vis dans l’univers de l’éternité sans commencement sous la
forme de la solitude. Des moments passèrent. Puis II m’appela et je L’aimai
plusieurs fois. Puis je me vis moi-même dans l’enceinte sacrée de la Ka’aba.
Dieu - gloire à Lui - Se révéla à moi à l’intérieur de la Ka'aba sous la forme
de la beauté, de la splendeur et de la majesté. Il y avait là le Prophète avec
les prophètes et les anges qui tournaient autour de la Ka'aba. Je vis le trône
qui sembla descendre et accomplir la circumbu- lation autour de la Ka'aba. Je
trouvai de Dieu ce que je trouvai et j’entendis ce que j’entendis, et il est
impossible de divulguer ces secrets parce qu’ils appartiennent aux sciences
occultes qui émanent des attributs réservés et aux opérations théophaniques
réservées, et parce que ne peuvent les contempler que des gnostiques qui ont bu
aux océans de l’affirmation de l’unicité et qui connaissent Dieu par la
définition des ignorances, l’épuration des attributs et de l’essence de ce qui
vient en pensée dans les cœurs des créatures depuis le trône jusqu’à la terre.
Car Dieu dépasse toute considération qui n’est pas conditionnée par Sa
munificence.
114 - Il arriva que je m’arrêtai au milieu d’une
assemblée de gens de la demande. Il n’y avait aucun avantage à espérer de leurs
demandes. Mon cœur fut oppressé par ce que je vis de leurs demandes, car leurs
demandes n’étaient que prétentions humaines envers Lui. Un groupe aussi
m’incita à ne pas voir le gouverneur. Ce me fut une telle violence qu’il fut
difficile pour mon âme d’entrer les voir. J’éprouvais un violent souci jusqu'à
ce que ma poitrine fût sur le point de déborder
en
bouillonnant. Je m’endormis sur cette impression et je plongeai dans le sommeil
accoudé. Je m’éveillai à la moitié de la nuit, et c’était la nuit de mercredi
du mois de Sha’bân de l’année [cinq cent] quatre-vingt- cinq. J’étais
dans les affres du sommeil et Dieu - gloire à Lui - me tint un discours citant
Sa parole : « Ils veulent éteindre la lumière de Dieu avec leurs bouches,
mais Dieu est celui qui parfait Sa lumière bien qu’il répugne aux impies49.
» Ce discours se produisit lorsque ma nature corporelle fut enlevée à la
torpeur du sommeil. Je m’assis. Je fis les ablutions. Je priai deux prosternations.
Ma poitrine fut extrêmement oppressée jusqu’à ce que je m’impose l’invocation
des noms de Dieu le Très-Haut, afin de sortir de l’angoisse qu’éprouvait ma
poitrine à cause de Lui. Or je ne trouvai pas la douceur de ce discours.
Lorsque j’en eus fini avec ces deux prosternations et avec la prière qui les
suivit, j’attendis que s’ouvrent les portes du monde caché. Je vis Dieu -
gloire à Lui - proche de moi. Il me dévoila une beauté dans la beauté de Sa
face, le Très-Haut, et un attribut des attributs de Sa splendeur avec les
attributs de la superbe. Mais la superbe possède coups et assauts. Mais entre
moi et Lui était un éloignement et pas de distance. Il me dit : « Pourquoi
t’inquiéter alors que Je t'appartiens sous l’aspect de la superbe ? » Il me fit
porter une réalisation intérieure d’extase telle que s’il la faisait porter
aux montagnes du bas monde elles fondraient. Puis je Le vis. Puis je Le vis.
Puis je Le vis plus encore que l’on ne pourrait le dénombrer. Puis les lumières
de Ses attributs brillèrent de tout leur éclat avec le dévoilement de Ses
attributs et de Son essence à partir de toutes les créatures50. Puis
II me fit voir Sa personne51, le Très-Haut, par la qualité de la
descente de la science sublime et de l’au-delà de l’au-delà sur la monture
[Hayzûm] de la magnificence. Sa magnificence emplit le trône, le piédestal,
les cieux et la terre. Puis II me fit tourner dans le royaume angélique le plus
grand, et II me dévoila les tréfonds de la préétemité et les entrailles de
l’éternité sans commencement sous la forme de l’abstraction, de la grâce et de
la majesté. Puis Il m’apparut sous l’un des aspects de l’équivocité. Tous les
chérubins étaient au seuil des dais de Sa superbe, revêtus de l’apparence de la
grâce et de la beauté. Ils avaient des tresses comme celles des femmes et des
Houris et portaient le vêtement des habitants des jardins du paradis. Ils se
dispersèrent et se rassemblèrent. Je vis Gabriel sous la forme de la grâce et
de la beauté tel que je ne saurais le décrire. Il passa à côté de moi avec sa
grâce et sa beauté. Je vis les prophètes et les saints immergés dans les
lumières des gloires de Sa majesté. Je fus entre une occultation et une
théophanie, étourdi, stupéfait, sanglotant, pleurant, enflammé de désir, ému et
revêtu de l’apparence des gens ivres. Toutes mes inquiétudes et tous mes
chagrins s’en furent et mon cœur s’emplit de joie grâce à Son intimité et à Sa
beauté. Après cela je priai et j’intercédai auprès de Dieu le Très-Haut pour la
communauté de Muhammad. Or ceci se passa en un temps où s’abattit sur Shîrâz
une terrible maladie, une mort, un affaiblissement et où l’on priait pour
demander la pluie52. Puis je demandai à Dieu le Très-Haut de me
délivrer de fréquenter la cour des princes. L’un des ordres de Dieu - gloire à
Lui - survint après l’aube. Il me dispensait de les voir et de les fréquenter
en ce temps. Dieu est très haut et je place mon espoir en Lui car II
m’affranchit par Sa grâce de ce qui est autre que Lui. Je cherche refuge en Lui
car II me suffit.
Le livre du dévoilement des secrets est achevé avec
Vaide de Dieu le Très-Haut, et louange à Dieu en toute chose, dans les derniers
jours du mois de Jumadâ'Z/ des
mois de Van six cent soixante-cinq53.
NOTES
1. Il s'agit pour Rûzbehân d'une manifestation de joie et de satisfaction
lorsque le mystique voit apparaître « le croissant de lune de la contemplation»,
qu’il goûte le discours divin et contemple Dieu sous le vêtement équivoque de
sa manifestation (Mashrab : 87).
2. Il y a dans ce propos un renversement de l'image du miroir que Bistâmî
formule : « Mon Dieu ! Tu es devenu miroir pour moi, et je suis devenu miroir
pour Toi»; c'est la version de Rûzbehân qu'il a accompagnée d'un long
commentaire (Sharh : 105-108). C'est aussi l'inversion de la tradition
rapportée par 'Ayn al-Qudât Hamadânî, selon laquelle le cœur du croyant est
comme le miroir tel que, lorsqu'il regarde en lui Son Dieu se révèle (Jamhîdât,
Téhéran, 1370, p. 260).
3. Allusion au Prophète qui est qualifié de ummî, illettré, à plusieurs
reprises dans le Coran. La ummiyya est un type de sainteté qu'il
faudrait désigner comme une sorte d'état d'enfance caractérisée par la
suspension du jugement, voire une forme de nes- cience, pour laisser les
connaissances d'inspiration apparaître avec l'émerveillement qui les
accompagne. Voir les développements sur cette question à partir d'ibn ‘Arabî, M.
Chodkiewicz, Un océan sans rivage, Paris, 1992, p. 52-54.
4. Il s'agit de la nuit au cours de laquelle le Coran fut révélé et où les
portes du ciel sont censées s'ouvrir. L'expression est d'origine coranique;
voir Coran, XCVII =1-3.
5. Allusion aux soixante-dix étapes qu'il faut franchir pour atteindre la
connaissance mystique que Rûzbehân a décrites dans L’Ennuagement du cœur.
6. La leçon des manuscrits est ici erronée et demande correction.
7. Tout ce passage et le chapitre suivant se trouvent aussi dans le Kashf
al-asrâr, édité par N. Hoca, Istanbul, 1971, p 111-112.
9. Il faut suivre ici la leçon de T édition N. Hoca, op. cit., p. 112.
10. Reprise du célèbre paradoxe d'Abû Yazîd al-Bistâmî, « Gloire à Moi !
», comparable à celui de Hallâj, « Je suis la vérité [ou Dieu] ».
11. Coran, XII-31. Le verset coranique cité place les visions de Rûzbehân dans
le cadre de T histoire de Joseph.
13. Une même lacune dans les deux manuscrits utilisés - ce qui montre encore
une fois leur parenté étroite - nécessite ici de compléter par la version de
l'édition N. Hoca (op. cit., p. 112).
14. L'édition N. Hoca offre une lecture légèrement différente : « Moi Je
suis venu à toi. N'es-tu donc pas satisfait ? Je suis venu à toi soixante-dix
fois... » La phrase suivante manque en revanche dans cette version (ibid.).
17. L'édition N. Hoca omet une grande partie de la phrase et en offre une
lecture légèrement différente : « Peux-tu voir quelque chose des êtres créés
à moins que tu ne Me voies sous l'aspect de la munificence, de la majesté et de
la surexitence ? » (op. cit., p. 112).
19. Le dialogue qui suit est la paraphrase de celui qui a déjà été cité
ici-même au § 5.
20. Pour ce passage, voir les notes du § 5 ici-même.
21. Tout ce passage se trouve aussi dans le Kashf al-asrâr édité par N.
Hoca, Istanbul, 1971, p. 111-112.
24. Le chiffre correspond aux cinq prières quotidiennes prescrites en Islam.
La vision rapportée par Rûzbehân est une sorte d'explication du sens de la
prière.
25. L'expression est reprise des récits traditionnels d'ascension, mtrâj,
et est régulièrement employée par Rûzbehân; voir J. Bencheikh, Le Voyage
nocturne de Mahomet, Paris, 1988, p. 68.
27. Il s'agit là du fait de cacher une idée sous-entendue derrière le sens
apparent d'un mot. Les deux phrases de Rûzbehân ici recèlent effectivement des
ambiguïtés. Ainsi c'est le même mot qui désigne la mesure dans le verset
coranique cité et le destin dans la « nuit du destin » dont il est question ;
de même le terme qui désigne les cérémonies désigne aussi l'ornementation de
cette nuit et plus encore la victime offerte en sacrifice, dont il est question
dans le chapitre précédent et dans ce même chapitre, où Rûzbehân s'y compare.
28. Ishâq al-Kâzarûnî (m. 426h/1036) est le shaykh murshid fondateur de
la Kâzarûniyya, ordre auquel se rattache celui de Rûzbehân (Shîrâz-nâma,
p. 145-146).
33. Paraphrase d'une tradition sur la sainteté célèbre dans le soufisme.
35. C'est la station réservée au Prophète dans le Coran.
36. Il s'agit du cœur physique qui contient le cœur spirituel.
38. Cette vision ne peut pas ne pas rappeler l'image du sucre blanc qu'utilise
Najm-i Râzî pour désigner le pur esprit muhammadien et son émanation, Mirsâd
al-'ibâd, p. 21 et suiv. et p. 37 et suiv. Cité par H. Landolt dans
Isfarâyinî, Le Révélateur des mystères, p. 58, 107, 117.
41. Le ms. Massignon dit « sans comment ».
43. Voir le récit de cette histoire dans le Coran, sourate XII.
46. Le mot est illisible dans les deux manuscrits.
47. Cette expression est pour Rûzbehân le nom qui désigne la Compatissance ou
l'Esprit énonciateur, le premier créé, qui est le Prophète pour lequel la
création a été formée par Dieu. Voir Sharh : 304; ‘Arâ’is al-bayân,
ms. Berlin, fol. 320a-321b; Mashrab : 11.
48. Ceci est encore un indice de la sainteté muhammadienne. Ce propos rappelle
en effet un propos du Prophète selon lequel celui qui voit Muhammad voit Dieu.
50. Le ms. Massignon dit : « [...] de tous les côtés ».
51. Le ms. Mashhad dit : « Il me fit voir Son apparence... »
52. C'est le même charisme dont les descendants de Rûzbehân prétendront être
doués.
53. Le ms. Mashhad dit : « [...] l'an mille soixante-quatre ». Les deux dates
sont celles des copies et non celles de la rédaction de l'ouvrage.
Not: Bazen Büyük Dosyaları tarayıcı açmayabilir...İndirerek okumaya Çalışınız.
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